Ce 25 avril, de nombreux cinémas UGC ressortent le chef-d’œuvre de Miyazaki pour seulement une journée.
1 L’un des derniers contes modernes ?
Paru pour la première fois sur les écrans français en avril 2002, Le voyage de Chihiro avait valu à Hayao Miyazaki, alors sexagénaire, son premier Oscar. Alors que le cinéaste japonais vient de recevoir le troisième de sa carrière (si l’on compte l’Oscar d’honneur décerné par John Lasseter en 2014), ce chef-d’œuvre de l’animation mondiale s’apprête à ressortir de nouveau dans nos salles obscures. L’occasion pour celles et ceux qui n’ont pas encore découvert cette aventure à la fois sombre et enchanteresse qui n’a rien à envier aux meilleurs contes de fées de l’histoire de la littérature.
Une prouesse qui n’est pas à prendre à la légère, car même si la critique compare souvent (à raison) ce film d’animation au Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, nous avons ici affaire à une œuvre complètement originale. À une époque où les références du genre au cinéma sont soit des adaptations littéraires, soit des réappropriations de récits issus de la tradition orale, Le voyage de Chihiro propose une histoire contemporaine créée de toutes pièces. Rien d’étonnant lorsque l’on connaît les nombreux contes qui ornent la bibliothèque de Miyazaki.
2 La réapparition de Chihiro
Lorsque les parents de la jeune Chihiro sont punis de leur cupidité en étant transformés en cochons dans un parc à thème désertique, celle-ci doit se débrouiller seule pour les tirer de ce maléfice. L’idée qu’une fillette de 10 ans livrée à elle-même dans un monde fantasmagorique hostile soit l’héroïne de l’histoire n’est pas anodine. Lors d’une interview recueillie par le critique et historien du monde de l’animation Charles Solomon, le réalisateur a exprimé avoir « créé ce film à l’intention des cinq jeunes filles d’amis qui viennent séjourner dans ma cabane dans la montagne chaque été… J’ai lu certains des mangas que leurs filles y ont laissés, et ce qui m’a frappé c’est à quel point on ne leur donnait rien d’autre à lire que des romances cheap. Ce n’est pas ce qui fait réellement rêver les petites filles de dix ans. »
Ainsi, lorsque la sorcière Yubaba retire à Chihiro une partie de son prénom, ce n’est pas seulement son destin qui en jeu, mais aussi celui des préadolescentes qui pourraient s’identifier à elle. L’effacement fantomatique (d’après une traduction littérale du titre original) qui frappe le prénom de l’héroïne est aussi celui dont est victime l’imaginaire des lectrices des shōjos qui font fureur au moment de la sortie du film. Et si la petite fille peut s’évertuer à s’emparer de son destin, rien n’empêche les jeunes spectatrices d’en faire autant.
3 Une œuvre anticonformiste
La rébellion de Chihiro, c’est aussi celle de son auteur. C’est une œuvre qui n’a pas peur de nager à contre-courant, et ce, à bien des égards. Il y a d’abord le rejet total de la culture kawaii qui envahit les mangas adressés aux jeunes lectrices, évoquée précédemment. Il y a ensuite, dès l’ouverture du film, la critique du capitalisme sauvage et de l’avarice qui s’empare des hommes (au point de les métamorphoser en des créatures porcines à en faire frémir Circé elle-même). Toutefois, le dernier aspect révolutionnaire de l’œuvre ne se situe pas au niveau de sa narration, mais de sa mise en scène.
Au moment de la sortie du Voyage de Chihiro, tout le monde annonce la fin de l’animation 2D. La route d’Eldorado et Atlantide, l’empire perdu se cassent les dents au box-office alors que le premier épisode de la franchise L’Âge de glace est un succès retentissant. Parvenir à remporter un Oscar pour un film animé majoritairement dessiné à la main dans le contexte de l’époque relève déjà de la prouesse. Lorsque l’on sait que la dernière œuvre d’Hayao Miyazaki vient juste de réitérer ce tour de force de nos jours, nous comprenons mieux pourquoi l’animateur japonais est considéré comme l’un des maîtres absolus du medium, dans le monde entier.