Diffusée ce 11 avril sur Arte, Machine nous conte l’histoire d’une jeune femme recherchée par les services secrets de l’armée. De retour dans sa ville natale, elle est embauchée dans une usine en pleine restructuration pour laquelle elle va (littéralement) se battre. Porté par un duo d’acteurs très convaincant, le show a reçu le prix de la meilleure série française à Series Mania. À quelques heures de sa diffusion, JoeyStarr et Margot Bancilhon nous ont fait entrer dans les coulisses de cet ovni télévisuel.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Margot Bancilhon : Le challenge d’interpréter un rôle aussi physique. J’aime beaucoup ce personnage de femme forte et solitaire, et sa trajectoire m’intéressait beaucoup. Ce passage de la lutte solitaire à la lutte solidaire était très intéressant et me parlait. Je ne connaissais le marxisme que dans les grandes lignes, donc ça m’a aussi permis d’apprendre plein de choses. De plus, Machine est une histoire de famille. Ça marque ma quatrième collaboration avec Fred Grivois. Je ne savais pas complètement dans quoi je m’embarquais, mais je savais au moins avec qui je le faisais, et ça me plaisait. C’était chouette de retrouver les copains et de repartir dans une aventure commune.
JoeyStarr : Quand j’ai survolé le pitch de départ et que j’ai vu “kung-fu”, “marxisme”, “cyclisme” et “syndicalisme”, je me suis dit que ce projet était curieux. Je voulais aussi me frotter au registre de l’action pour la première fois, et le personnage de JP me plaisait beaucoup. J’ai toujours aimé les héros seuls contre tous, à contre-courant… Ce genre de grain de sable qui fait dérailler la machine. Je ne connaissais pas vraiment Marx et cette question du legs est très intéressante. Dès nos premiers échanges, Fred m’a dit qu’il voulait raconter aux jeunes générations qui était ce philosophe – et il l’a fait d’une manière géniale.
Comment avez-vous préparé vos personnages, aussi bien au niveau physique que psychologique ? Vous êtes-vous (re)plongé dans les écrits de Karl Marx ?
M. B. : Pour être très honnête, j’ai lu le manga [sur la vie et les pensées de Karl Marx, ndlr], mais je ne me suis pas lancée dans la lecture de ses livres.
J. S. : Je te rassure, moi non plus (rires).
M. B. : Le manga était suffisant ! Pour moi, la préparation était surtout physique. J’ai fait une formation cascade et un apprentissage des chorégraphies de bastons durant une semaine. J’ai aussi fait un entraînement de mon côté, avant le tournage, car j’étais très maigre à ce moment-là. Je sortais de De Grâce, dans lequel j’incarnais un personnage très très fin, et je me suis dit que je devais être crédible dans ce rôle d’ancienne militaire pour Machine. J’avais envie de prendre du muscle, donc j’ai fait des séances avec un coach sportif qui pratiquait aussi de la boxe thaïe, ce qui m’a permis de bien m’entraîner, trois mois avant d’arriver sur le plateau.
J. S. : Pour jouer un ancien toxico converti à Marx, j’ai dû puiser dans mon cursus. Je viens d’un milieu populaire, donc j’ai côtoyé pas mal de personnages de ce genre dans ma vie. On ne le sait pas forcément, mais j’ai aussi fait du cycle dans ma jeunesse et je continue la pratique, encore aujourd’hui. Plusieurs fois par semaine, je fais un semblant de tour de Paris avec une ceinture électrique à 5 heures du matin. [Il se tourne vers Margot, qui le regarde avec un air étonné, ndlr] Ah, je t’ai pas dit ?
M. B. : Non, c’est extraordinaire ! J’ai fait beaucoup de sport pour la série, mais j’étais complètement à la ramasse quand il fallait pédaler. Il me mettait des traces !
Comme vos personnages, finalement !
M. B. : Complètement ! Pour le coup, c’était facile à jouer (rires) ! Je déteste le vélo, je suis bancale, je souffrais, et lui, il traçait et faisait des demi-tours (rires) !
J. S. : Moi, c’est pas du sport ce que je fais, c’est du décrassage en fait. Je me lève à 5 heures du matin, je prends le vélo et pouf ! En plus je n’ai pas de braquet, j’y vais quoi ! J’ai aussi la ceinture électrique…
M. B. : Qui fait travailler les abdos ?
J. S. : Ouais. C’est pas du sport, c’est…
M. B. : C’est de la violence, là (rires) !
J. S. : Non, du décrassage !
La série parle aussi de traumatismes, que vos personnages gèrent chacun à leur manière. Êtes-vous plutôt comme JP, à les confronter, comme Machine, à les enfouir en essayant de les oublier, ou à les transformer pour en faire quelque chose de plus beau, comme de l’art ?
J. S. : Chez moi, la mauvaise foi est un muscle, donc je pratique les deux. À l’humeur, je peux les confronter ou les enfouir pour avoir la paix. Nous n’avons pas le même âge tous les deux, donc peut-être que tu les gères autrement, toi.
M. B. : Non, je crois qu’il y a simplement un temps pour tout. À certains moments, tu es capable de confronter tes traumatismes, et à d’autres, tu en es incapable, car c’est trop tôt. La vie fait bien le travail et ça oscille. Je ne dirais pas que l’art permet de les transformer, mais, en tant qu’actrice, les traumatismes me permettent parfois de toucher des émotions que je ne m’accorde pas dans la vie. Il y a une forme de transmutation qui se crée, mais ce n’est pas volontaire. Ce n’est pas thérapeutique, finalement.
Que ce soit à l’écran ou dans les dialogues, la série est rythmée par de nombreuses citations. Quelles sont celles qui vous guident au quotidien ?
J. S. : Je viens du rap, donc j’en écrivais pas mal, mais je pense qu’on peut tous être changés par une phrase ou une image.
M. B. : Les mantras qui m’accompagnent changent au fil du temps et de ma propre évolution. Certains vont me parler pendant dix jours, un ou quatre mois, puis plus du tout, du jour au lendemain. Je réfléchis, mais je crois que je n’en ai pas vraiment en ce moment.
J. S. : Si, moi j’en ai un ! Je dis souvent à mes fils : “La perfection n’étant pas de ce bas monde, je suis votre père et on va y arriver.”
M. B. : Ah, pas mal !
J. S. : J’ai aussi : “Capable de tout pour rien”. Ça, c’est quand je pratique la médiocrité.
Quel est votre rapport aux séries ? Pensez-vous qu’elles doivent être engagées et bousculer les spectateurs, comme Machine ?
M. B. : En tant qu’actrice, ça me tient à cœur de pouvoir servir. J’essaie de le faire du mieux que je peux dans ma vie de tous les jours, avec mes petits outils. Je m’interroge parfois sur le sens de tel ou tel projet, comment je peux servir à travers le cinéma… Je ne dis pas que les séries ou les films dans lesquels je m’aventure doivent absolument avoir du sens. Parfois, ils sont simplement divertissants et c’est très bien. Parfois, ils permettent de planter des graines de conscience. Parfois, ils vont confronter et bousculer le spectateur… Je pense qu’il faut de tout et qu’il y a un public pour tout.
J. S. : Je suis complètement d’accord avec toi. J’ai commencé la musique de manière involontaire et je ne sais faire les choses que pour moi d’abord. Il faut que ça m’abreuve, que ça m’apprenne quelque chose ou que ça m’emmène quelque part. Avec le temps, j’ai appris qu’on ne devait pas toujours être dans le message et que le divertissement peut aussi être impactant.
On l’a dit : la série montre des personnages engagés, dont JP. Qu’est-ce qui vous anime ? Quelles sont les luttes ou les sujets qui vous font agir et réagir ?
J. S. : J’ai trois garçons et j’essaie de les rendre vigilants parce que je ne serai pas toujours là pour eux. Je me suis toujours abreuvé d’infos à gauche à droite. Mon horloge interne a besoin de savoir ce qui se passe autour de moi, comment évoluent nos contemporains. Donc le premier legs que j’aimerais faire à mes enfants, c’est ça : la vigilance, le fait de savoir communiquer avec les autres et avoir une lecture de l’époque (qui est agressive et grinçante). Je ne veux pas non plus les rendre paranos, mais je veux qu’ils s’intéressent naturellement aux autres pour savoir dans quel monde ils évoluent.
M. B. : Je te rejoins là-dessus. J’ai l’impression qu’on est au bout d’un système. Ça se délite de partout, tout se fissure. Il y a plein de choses qui me révoltent et qui me questionnent. Je ne suis pas engagée publiquement, mais je le suis au quotidien. L’écologie me touche énormément, je suis féministe et très attentive à la cause des femmes, la problématique des agriculteurs m’a aussi beaucoup touchée… En ce moment, je suis en grand état de sidération sur beaucoup de points. J’attends de voir, mais j’espère qu’il y aura de meilleurs débouchés.
J. S. : Plein de gens se disent ça : on attend de voir et c’est ce qui fait que…
M. B. : Après, chacun agit comme il peut. J’essaie d’être la plus cohérente possible. Ce n’est pas facile de l’être dans la société dans laquelle on évolue, mais, par exemple, j’ai fait le choix de partir de Paris, d’être à la campagne, de me faire un jardin de permaculture, d’avoir des poules… C’était aussi un choix politique. C’était un choix pour ma fille, c’est de l’ordre de la transmission. Je me suis beaucoup interrogée : “Qu’est-ce qui compte ?”, “Qu’est-ce qui a du sens aujourd’hui ?”, “À quoi on s’accroche ?” Et en même temps, c’est difficile d’être complètement cohérente, parce qu’on a des vies qui ne nous permettent pas de l’être à 100 %. Donc pour répondre à votre question, j’ai plein d’engagements, il y a beaucoup de choses qui me touchent, qui me révoltent et qui m’abasourdissent.
J. S. : Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? Juste d’être un peu plus nombreux.
Alors, que penserait Karl Marx de notre société actuelle, lui qui est un personnage à part entière de la série ?
M. B. : Là, il se retourne dans sa tombe (rires) !
J. S. : Il aurait clairement simulé un AVC.