Barbara Abel sillonne actuellement la France pour présenter son dernier thriller, Comme si de rien n’était (Recamier). Présente à Lille à l’occasion d’une rencontre-dédicace au pop-up Fnac de Series Mania, avant un arrêt à Lyon pour Quais du Polar, celle que l’on surnomme « la reine du polar belge » a répondu aux questions de L’Éclaireur. Retour sur son parcours, son processus d’écriture et le challenge de l’adaptation.
En tant que “reine du polar belge”, vous êtes la mieux placée pour répondre à cette question : quelle est la recette d’un bon polar ?
Écrire un bon polar nécessite énormément de travail. On imagine que ça me vient comme ça, mais ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord, ça nécessite beaucoup de recherches. Après, il y a quelques petites recettes. En général, je pars d’une situation qui me paraît suffisamment riche pour être développée, mais je ne sais jamais où je vais. Ça signifie que tout mon travail – en dehors de l’écriture et du style – au niveau du scénario de mes romans ou des séries doit me surprendre. Si je veux surprendre mon lecteur, il faut que je sois la première surprise.
Quand je termine un chapitre, je me demande ce qu’il pourrait se passer ensuite. Quel est le virage à prendre ? Quelle information ou quel personnage vont pouvoir surprendre le lecteur ? Je fais beaucoup de recherches sur Internet, et je réfléchis beaucoup. Ma deuxième recette, c’est que la première idée qui me vient, je ne l’utilise pas, je la laisse tomber. La deuxième, non plus. La troisième, je commence à y réfléchir, mais je vais commencer vraiment à m’intéresser à la quatrième idée.
« Je pense que si on a du plaisir à écrire, le lecteur aura du plaisir à lire. »
Barbara AbelAutrice
Si j’ai cette première idée, la majorité des gens aussi vont l’avoir. C’est la chose la plus évidente. Il ne faut jamais s’attacher à la première idée, mais essayer de gratter le plus possible. Je mets aussi toujours en scène des gens ordinaires : c’est très important que je puisse m’identifier à mes personnages, car cela signifie que le lecteur pourra également le faire et ainsi développer une empathie avec le personnage et s’intéresser à ce qui va lui arriver. Donc, ma recette du bon polar ? Partir à l’aventure, me surprendre et m’identifier !
Quel est votre processus d’écriture ? Allez-vous à la rencontre de policiers et de scientifiques ou bien laissez-vous faire votre imagination ?
Comme je ne suis pas policière, je suis obligée de faire des recherches et de me renseigner auprès de professionnels. Par exemple, dans un de mes romans, il y avait un personnage qui était diabétique. Je ne suis pas diabétique, mais j’étais obligée de me renseigner sur la vie d’un malade. Comment attrape-t-on le diabète ? Quelles sont les conséquences ? Pour mes recherches, j’ai appelé le centre belge du diabète et j’ai discuté avec des professionnels. Pour toute la partie policière, j’ai un coach, un capitaine de police français avec lequel j’ai développé des liens d’amitié. Dès que j’ai une question, je peux lui envoyer mes pages, qu’il valide ou pas, et il m’explique comment ça fonctionne.
Je ne fais pas vraiment du polar, je fais davantage du thriller. Cependant, il faut que ce soit hyper crédible, très précis aussi. Il faut que l’on y croie, sinon, ça ne marche pas. Si, à un moment donné, le lecteur se dit : “Ce n’est pas possible”, il va forcément décrocher, il ne va plus croire au personnage et va s’en détacher. Pour ça, je dois faire un travail de documentation.
Dans vos romans, la thématique de la famille est très importante. Qu’est-ce qui vous fascine tant à son sujet et dans la dynamique des personnages ?
Peu importe le thème ou la situation que l’on aborde, à partir du moment où l’histoire se déroule au sein d’une famille, toutes les émotions sont amplifiées. Être trahi par un collègue, c’est très triste. Être trahi par un ami, c’est très triste. Être trahi par un père, une mère, un frère ou une sœur, c’est dramatique. Je trouve que dans la famille, tout prend des proportions plus grandes. Et c’est un microcosme intéressant.
Chacun y a sa place, chacun tient son rôle. C’est une sorte de minisociété avec laquelle on peut jouer en tant que romancière. Tout le monde a une famille, ça a un écho pour tout le monde, que cette famille soit présente ou absente, qu’elle soit positive ou négative. Par exemple, si je mets en scène deux sœurs, je ne suis pas obligée de raconter certains liens. C’est déjà inhérent à ces deux personnages-là, car le lien de sororité ou le lien de fraternité, tout le monde peut le comprendre. Il y a quelque chose qui est très fort au niveau émotionnel, et c’est ça qui m’intéresse.
Plusieurs de vos romans ont été adaptés en films et en séries. On pense à Derrière la haine avec Anne Hathaway et Jessica Chastain sous le titre Duelles. Que ressentez-vous quand on porte vos récits à l’écran ?
C’est une joie immense. Je ne suis absolument pas inquiète. D’abord, parce que mon roman est là, personne ne peut y toucher. Il est dans les librairies tel quel. En plus, étant scénariste moi-même, je sais très bien que ça n’est pas du tout le même média. Toute adaptation nécessite une sorte de trahison, c’est normal.
Je raconte une histoire qui est destinée à être lue alors que le réalisateur ou le scénariste va raconter une histoire qui est destinée à être vue. Ça n’a absolument rien à voir. Par ailleurs, dans mon cas, quoiqu’il arrive, je suis gagnante. Si le film est bien, on dira que c’est normal, car le livre est génial. Si le film est mauvais, on dira que le livre était mieux. Il ne peut absolument rien m’arriver. Derrière la haine a déjà été adapté pour France 2 en 2019 par Olivier Masset-Depasse. Aujourd’hui, un film avec Jessica Chastain et Anne Hathaway est en préparation, c’est formidable. Je dois me pincer tous les matins pour être sûre que c’est à moi que ça arrive. C’est un conte de fées. Je suis aux anges, vraiment !
Le polar est un genre qui est essentiellement représenté par des hommes. Avez-vous la sensation qu’il s’ouvre progressivement aux romancières et leur laisse une place suffisante ?
Il faut vraiment faire le distinguo entre le polar et le thriller. C’est vrai que le polar est plus masculin, mais le thriller est plus féminin. Quand j’ai commencé il y a 20 ans, il y avait Fred Vargas, Sylvie Granotier, Maud Tabachnik. Il y avait des plumes féminines, mais c’était assez rare. Quand je partais dans les salons en France, il y avait une majorité d’hommes. Aujourd’hui, ça fait quand même quelques années qu’il y a de plus en plus de femmes. Nous sommes vraiment de plus en plus nombreuses à trouver une vraie place dans ce genre littéraire là. Je pense à Karine Giebel, à Sonja Delzongle, à Angélina Delcroix. Je pense à Sandrine Denjean. Il y a aussi Petroni Rostania, Johana Gustawsson…
À lire aussi
Il y a vraiment des jeunes autrices qui arrivent et qui trouvent leur place de manière tout à fait légitime parce que l’on ne raconte pas les histoires de la même façon que les hommes. L’un ne prend pas la place de l’autre. Il y a de la place pour tout le monde. Par ailleurs, les auteurs de polar sont des êtres absolument délicieux. Ils sont tellement contents de nous accueillir et de nous faire de la place. J’adore ce milieu-là aussi pour ça !
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui rêve de se lancer dans l’écriture ?
Déjà, il faut beaucoup lire et lire le genre littéraire que l’on veut développer. Pour s’inscrire dans une voix originale et marquer de sa patte un genre, il faut pouvoir en contourner les codes, mais avant de les détourner, il faut les connaître sur le bout des doigts. Lire permet d’avoir une connaissance large de l’univers dans lequel on veut évoluer.
Et il faut beaucoup écrire. L’écriture est comme un muscle ; c’est du sport. Quand on commence un nouveau sport, si on n’en a jamais fait, c’est très dur au début. Mais si on en fait tous les jours, au fur et à mesure, ça va devenir moins difficile. Il y aura des moments difficiles, d’autres moins pénibles aussi, mais, dans tous les cas, une dextérité et un savoir-faire vont se développer.
« Toute adaptation nécessite une sorte de trahison, c’est normal. »
Barbara AbelAutrice
Quand je termine un roman, en général, je ne me mets pas tout de suite au suivant. Il y a plusieurs semaines qui passent entre la sortie du livre et sa promotion. Je peux donc passer un certain temps sans écrire. Quand je m’y remets, au début, c’est laborieux, c’est compliqué et c’est mauvais. Mais ce n’est pas grave, il faut continuer et écrire tous les jours, même si ce n’est qu’un paragraphe. Plus on écrit, plus on se rend compte qu’au fur et à mesure de la pratique le style se délie. Il faut continuer, même si on sait que le début est mauvais. On y reviendra après et on réécrira ce passage. Il faut dire que je suis pour la création dans le plaisir !
Je pense que si on a du plaisir à écrire, le lecteur aura du plaisir à lire. La création dans la souffrance, ce n’est pas du tout mon truc. J’ai beau avoir des moments difficiles parce que les idées ne viennent pas, parce que j’ai l’impression que c’est vide et mauvais, parce que je suis désespérée, malheureuse et en détresse, j’écris quand même avec beaucoup de plaisir.
Le métier d’écrivaine n’est pas rassurant, parce que je n’ai aucune sécurité de l’emploi. Pour le moment, ça marche bien, je suis très contente, mais ça peut s’arrêter du jour au lendemain. Je n’aurai pas de parachute doré. Autant prendre du plaisir à écrire !
Vous dites qu’il faut écrire tous les jours. Avez-vous une rigueur de travail, une organisation à laquelle vous ne dérogez jamais ?
Je sais que je suis plus apte à travailler le matin quand je viens de me réveiller, quand mes neurones sont frais et que j’ai la tête bien au calme. Après, ce n’est pas toujours possible. Il arrive que j’aie des rendez-vous le matin et que je doive donc écrire l’après-midi, parfois le soir. Mais j’ai la chance de pouvoir organiser mon emploi du temps.