Trois grands noms de la littérature américaine, trois romans très attendus et trois bijoux qui vont émerveiller votre printemps littéraire.
| Holly, de Stephen King
Avec le temps, les nouvelles parutions de Stephen King font de moins en moins l’événement. Il faut dire qu’avec plus de 100 romans au compteur, dont des titres entrés dans la légende comme Shining (1977), Carrie (1974), Le Fléau (1978), La Ligne verte (1996), et tant d’autres, on a l’impression qu’il est désormais difficile d’être à la hauteur. Mais c’est mal connaître le King et son appétit gargantuesque pour la fiction. Il continue pierre après pierre à bâtir la plus grande cathédrale romanesque de notre temps. Son œuvre est comme une toile d’araignée, un piège terrifiant où les histoires et les personnages sont reliés, où les univers communiquent pour ne jamais nous lâcher.
Il confie ici le premier rôle à un personnage inattendu. On avait aperçu Holly Gibney dans Mr Mercedes, premier tome d’une trilogie de polars dont Bill Hodges, vieux flic fatigué, était le héros magnifique. Elle n’était alors qu’une figure subalterne, pour ne pas dire décorative, la cousine de l’une des victimes, une vieille fille névrosée. Magie de la littérature, on la retrouve dix ans plus tard, métamorphosée, dans la peau d’une enquêtrice hors pair, employée par l’agence de détectives Finders Keepers créée par Bill Hodges avant sa mort. Elle traque sans relâche les meurtriers qui peuplent ce bas monde.
Pas de fantastique ni de paranormal ici, simplement la manifestation la plus effroyable de la monstruosité des hommes. Rodney et Emily Harris sont profs d’université et voient la retraite se profiler. Mais la vieillesse, très peu pour eux. Le couple suit une cure de jouvence d’un genre un peu particulier. Au déjeuner et au dîner, ils rivalisent d’imagination pour déguster les jeunes éphèbes qu’ils ont capturés. Holly nous offre un duel d’anthologie entre une flic féroce et deux vieux notables détraqués qui ne sont pas sans rappeler le Hannibal Lecter de Thomas Harris. Du pur plaisir de lecteur, le King à son meilleur.
| Un ciel si bleu, de TC Boyle
Depuis Water Music, premier roman culte paru il y a plus de 40 ans, TC Boyle s’est imposé comme l’un des grands écrivains américains de notre temps, mais surtout comme l’un des plus acides. En dressant le portrait, avec sa poésie rock et son humour sarcastique inimitable, de certaines figures de la marge comme l’intrigant Docteur Kellogg, inventeur des corn flakes, le fantasque sexologue Alfred Kinsey, l’architecte marginal Franck Lloyd Wright ou l’universitaire gourou de Harvard Timothy Leary, il est devenu le peintre des idéaux brisés de « L’Amérique ».
Mais, depuis quelques livres, il bâtit en parallèle un autre pan au beau milieu de son œuvre, une veine qui emprunte à l’écologie et à la biologie pour questionner ce qui fonde notre humanité. Un ciel si bleu, son nouveau roman à paraître, fait ainsi suite aux Terranautes ou à Parle-moi. Il se sert de ses personnages comme des sujets d’une expérience anthropologique radicale pour tester notre résistance ou, pire, estimer nos chances de survie face aux défis environnementaux qui se présentent à nous.
Sur plus de dix ans, on suit les heurts et malheurs d’une famille californienne plongée dans les premières heures de l’Apocalypse. Deux parents, incarnation du monde d’avant, essaient tant bien que mal d’agir pour offrir un futur à leurs enfants, un fils et une fille radicalement opposés sur l’échiquier écologique. L’un est entomologiste et convaincu que les insectes sont l’avenir de nos assiettes, l’autre est une beauté écervelée qui considère la nature et les animaux comme des divertissements périssables. Alors que la Californie brûle et que la Floride se noie, catastrophes naturelles et drames intimes vont se lier comme une preuve définitive que nos vies toutes entières dépendent de notre rapport à la terre. Une dystopie caustique qui résonne longtemps dans l’esprit du lecteur.
| Baumgartner, de Paul Auster
Sy Baumgartner a 70 ans et se morfond depuis maintenant une décennie, depuis qu’Anna est partie, emportée par une vague violente lors d’un bain de mer à Cape Cod. Professeur de philo à la dérive, tourné entièrement vers le passé, il s’enfonce dans la solitude. Mais ce qui s’apparente à une oraison funèbre se mue rapidement en bouillonnement et en pulsion de vie. Au gré de rencontres impromptues, en se replongeant dans les brouillons poétiques de sa femme disparue, dans les textes philosophiques qu’il a écrits ou en arpentant les décombres de son existence, notre héros s’offre un second souffle inespéré.
Au carrefour d’une vie inventée, d’une vie rêvée et d’une vie vécue, Paul Auster écrit le grand roman du deuil dépassé. L’usure du temps, les souvenirs, les amours perdues : le romancier vieillit et ça se sent. Mais sa plume, elle, est toujours aussi fascinante, vivace, inusable. Ce roman, écrit aux premières heures de son cancer, est certes traversé par une inquiétude, celle d’écrire là son dernier livre, mais c’est une certitude qui en rejaillit finalement : la vie ne vous lâche pas la main si facilement.