Depuis quelques années, la bande dessinée franco-belge s’est réemparée du genre et propose aujourd’hui nombre de récits se situant dans ce bon vieux Far West. Le western, qui pouvait paraître désuet, s’est refait une jeunesse et séduit à nouveau le public.
Il suffit d’une visite en librairie pour remarquer que le western en bande dessinée se porte bien. L’Ouest, les Indiens et les cowboys occupent une belle place sur les étalages, signe que le lectorat s’est réconcilié avec ce genre iconique du 9e art.
Le nouveau western
Après avoir acquis ces lettres de noblesses avec des séries telles que Blueberry ou Comanche à la fin du siècle dernier, ou l’éternel Lucky Luke, le genre a connu une période creuse. Antoine Ozanam, scénariste de Mauvaise réputation chez Glénat, se souvient des difficultés à trouver une maison d’édition pour sa BD : « Faire du western faisait partie du plan de départ, mais au début des années 2000, il est assez difficile de placer ce genre. »
Dans Mauvaise réputation, Ozanam raconte, avec le dessinateur Emmanuel Bazin, la vraie vie d’Emmett Dalton, dernier de la fratrie à l’illustre patronyme. « J’ai découvert l’histoire d’Emmett, ce type qui vit d’abord la première vie dont tous les petits garçons ont envie, monter à cheval, faire n’importe quoi. Et juste après, il vit le rêve américain », détaille le scénariste. Le seul lien entre ces deux périodes ? Julia, l’amour de sa vie. « Une vie bien plus romanesque que tout ce que j’aurais pu imaginer », sourit Ozanam.
D’après lui, les éditeurs « étaient assez frileux, car ils pensaient que c’était un genre un peu mort ». « Même au début de la reprise, quand je leur présentais le projet qui n’est pas un western spaghetti, ils ouvraient de grands yeux. Cela a pris du temps », précise-t-il. Il a fallu attendre quelques succès comme la série Bouncer de Boucq et Jodorowsky, dont chaque tome se classe parmi les meilleures ventes à sa sortie, ou Jusqu’au dernier de Félix et Gastine, récit complet largement plébiscité par le public avec plus de 75 000 exemplaires vendus.
Citons également d’autres albums comme La Venin d’Astier, Marshal Bass de Macan et Kordey, les Lucky Luke de Bonhomme ou les ouvrages collectifs menés par Tiburce Oger. Sans oublier la série phare de ces dernières années qui se place dans la lignée des œuvres historiques du genre : Undertaker de Dorison et Meyer et ses quelque 600 000 albums écoulés pour les cinq premiers volumes.
Un excellent terrain de jeu pour la fiction
Anthony Pastor abonde en ce sens. Quand l’auteur de La Femme à l’étoile parle de son envie d’écrire et dessiner un western à ses éditeurs de Casterman en janvier 2021, la validation ne se fait pas attendre. « Peut-être qu’ils se sont rendu compte qu’il y avait un public pour ça et que c’était une bonne façon de faire de la fiction », analyse-t-il.
La Femme à l’étoile propose la rencontre entre Zachary et Pearl, deux fugitifs au lourd passé qui s’unissent pour faire face à la société qui les recherche, et engage un huis clos au milieu d’une nature enneigée. Pour Pastor, le point de départ, « c’est l’envie de raconter une histoire d’amour et de prendre le temps d’explorer une relation entre ces deux personnages. Le western permet de se concentrer sur l’essentiel ».
De manière générale, le western est un cadre idéal pour raconter des histoires : « C’est un genre très marqué par des codes et très théâtral, très tragique et, en plus, on peut y évoquer des sujets hyper contemporains. Le western se nourrit de nouveaux thèmes, c’est ce qui se passe aujourd’hui avec des livres comme Hoka Hey [publié chez Label 619/Rue de Sèvres et récompensé par le Prix des libraires Canal BD, ndlr] ou les derniers Undertaker, dans lesquels ils s’attaquent au droit à l’avortement », ajoute-t-il.
Le secret du western moderne se cache peut-être là : laisser des auteurs jouer avec un genre ultraconnu et y insuffler des thématiques qui résonnent avec notre société actuelle.
Le western peut être féministe
C’est une réflexion de ce type qui a permis à Ladies With Guns, bande dessinée explosive dans laquelle cinq femmes très différentes occupent le devant de la scène, de voir le jour. La dessinatrice Anlor, pas franchement fan de western, s’est laissée convaincre quand on lui a expliqué qu’il s’agirait d’une BD « assez décalée avec un point de vue féminin sur cette époque et ces mœurs ».
Pour faire simple, l’idée de Ladies With Guns, dont le troisième tome est sorti le 12 janvier dernier, était « de prendre les stéréotypes des personnages féminins qu’on aperçoit dans les westerns et leur donner un rôle à jouer ». L’objectif est aussi de confronter ces femmes « à des situations qu’on a beaucoup vues, comme un braquage de banque, et se demander comment des femmes agiraient ».
« Les codes du western, nous, on en joue. On prend des stéréotypes et on les revisite », détaille Anlor. Et de continuer : « Ce qui fait la richesse de la BD en ce moment, c’est que le genre est revisité à des sauces plus personnelles. Il y a vraiment un éclatement, au sens positif du terme, des genres. Il faut partir de ces codes et trouver une solution personnelle pour innover. »
Parler de notre monde moderne et d’enjeux personnels
Le western est un bon prétexte pour explorer une période cruciale dans l’histoire de nos sociétés. Pour Antoine Ozanam, il permet de « parler d’un moment où tout se met en place pour faire du XXe siècle ce qu’il est devenu ». Anthony Pastor renchérit : « On se confronte à la culture américaine qui est un fondement de nos sociétés contemporaines. C’est représentatif de l’arrivée du capitalisme, de l’individualisme et du fait d’avoir des sociétés avec plein d’origines différentes. »
En plus d’évoquer des sujets de société contemporains, le western peut renvoyer les auteurs à des thématiques beaucoup plus personnelles. « Je suis à moitié espagnol et ce côté appartenance à une terre dans le western me parle beaucoup », évoque ainsi l’auteur de La Femme à l’étoile, qui a passé une bonne partie de son enfance dans la péninsule ibérique.
Du côté du scénariste de Mauvaise Réputation, dont la conclusion est à découvrir depuis le 3 janvier en librairie, la vie d’Emmett Dalton a également éveillé en lui des souvenirs de l’enfance : « Dans ses écrits, il a une espèce de nostalgie de l’enfance, de sa première vie et je pense que c’est la même que je peux avoir quand je dis que je jouais aux cowboys et aux Indiens. Il le vit de la même façon. »
Quelle suite pour le genre ?
Aujourd’hui, le western en bande dessinée se porte mieux que jamais. Même si Ozanam souligne la nature « cyclique » de l’industrie, Pastor a bon espoir pour ce genre « très attaché à la BD française ». « On a envie d’aventures, de grands espaces. Cette notion de voyage est hyper importante dans le western et je pense qu’il a encore de belles années devant lui », déclare-t-il, avant de se demander, inquiet, si la jeune génération sera au rendez-vous d’ici « 10-15 ans pour la BD en général… »
En tout cas, chacun des auteurs rencontrés est toujours occupé à sillonner l’Ouest américain. Après avoir conclu le premier cycle de Ladies With Guns, Anlor est à l’œuvre sur le tome 4, qui ouvrira le prochain triptyque de la série écrite par Olivier Bocquet. Après son ouvrage en bichromie, Anthony Pastor retrouve les pinceaux et passe aux couleurs multiples pour un autre one-shot évoquant les relations d’un fils avec ses pères, prévu pour janvier 2025. Quant à Antoine Ozanam, il planche sur plusieurs westerns, dont un centré sur Butch Cassidy, et se prépare à conclure sa série d’aventure Klaw, avec son quinzième tome qui devrait arriver courant 2024.