Les deux plus grands prix littéraires remis Outre-Atlantique viennent de paraître en France. Critiques conquises de deux romans éblouissants.
| Les Sept Lunes de Maali Almeida, de Shehan Karunatilaka
41 ans après le triomphe des Enfants de minuit (1981), Les Sept Lunes de Maali Almeida est récompensé par le prestigieux Booker Prize, et on ne peut s’empêcher d’entendre un écho troublant. Il y a comme une filiation, un héritage entre Salman Rushdie et Shehan Karunatilaka. Si l’un est d’origine indienne et l’autre originaire du Sri Lanka voisin, ils sont les incarnations d’une même littérature qui déploie un réalisme magique bercé de folklore et de mythologie, assorti d’un humour sardonique au service d’une œuvre follement romanesque et politiquement féroce.
Avec une deuxième personne du singulier si dure à utiliser, mais si redoutable quand elle est maîtrisée, le romancier nous conte la folle aventure de Maali Almeida, un photographe de guerre, joueur patenté, homosexuel caché qui se réveille un jour dans l’au-delà. Comment diable est-il arrivé là ? Selon la tradition sri lankaise, il dispose d’une semaine – sept lunes – pour solder ses comptes avec cette vie passée. C’est largement assez pour démasquer son meurtrier.
En toile de fond de cette enquête rocambolesque menée à cheval entre la vie et la mort, Shehan Karunatilaka peint une puissante fresque politique, celle du Sri Lanka des années 1990, ravagé par la guerre civile. Car Maali Almeida dispose d’une dernière carte à jouer : cachés dans son appartement, des centaines de clichés racontent toute l’atrocité des affrontements. Un témoignage bouleversant qui, s’il est révélé au grand jour, pourra peut-être mettre fin à ce conflit sanglant. Preuve que, même avec un pied dans la tombe, on peut changer le cours du monde. Un épatant thriller doublé d’un brûlot politique corrosif.
| Demon Copperhead, de Barbara Kingsolver
Pour proposer une réécriture contemporaine, transposée dans les Appalaches, du roman le plus personnel d’un géant de la littérature anglaise, le David Copperfield de Charles Dickens, il faut avoir un sacré culot et une bonne dose de talent. Ça tombe bien, Barbara Kingsolver a les deux. Déjà avec Un autre monde, paru il y a quelques années, elle nous avait conquis.
Cette fable envoûtante nous faisait parcourir le continent américain à travers les yeux d’un adolescent puis d’un jeune homme, écrivain en devenir, Harrison William Shepherd. Du Mexique des années 1930, celui de Frida Khalo, Diego Rivera et même Leon Trotski à l’Amérique de McCarthy, elle disséquait les relations houleuses qu’entretiennent souvent l’art et la politique dans l’histoire des États-Unis.
Aujourd’hui, un autre adolescent prend les rênes de son nouveau livre, un ébouriffant roman d’apprentissage. Au cœur d’un territoire sauvage, ravagé par la misère et la crise des opioïdes, elle met en scène les tribulations tragiques de Demon Copperhead, un jeune garçon né sous la mauvaise étoile, fils d’une mère toxicomane et d’un père disparu. De services sociaux en familles d’accueil, d’espoirs en désillusions, se dévoile la furieuse odyssée d’un gamin qui survit à la seule force de son instinct, comme tant de laissés pour compte du rêve américain.