Plusieurs fois récompensée, Les Soprano, s’est imposée dès 1999 comme une série emblématique du petit écran. Entre révolution et hommage aux sagas mafieuses, elle est devenue une œuvre indétrônable.
Après avoir marqué l’univers de la télévision, Les Soprano sont de retour au cinéma, avec le prequel Many Saints of Newark : Une Histoire des Soprano. Sorti le mercredi 3 novembre dans les salles obscures françaises, le long-métrage réalisé par Alan Taylor retrace l’ascension de Dickie Moltisanti. Ce dernier est l’oncle du célèbre Tony Soprano, à qui Michael Gandolfini prêtera ses traits après que son père, le regretté James Gandolfini, ait campé ce rôle dans le show. Une occasion rêvée de replonger dans l’univers de cette famille aussi passionnante que dysfonctionnelle sur fond de mafia crapuleuse. L’occasion aussi de comprendre comment la série créée par David Chase a su s’imposer comme l’une des meilleures de tous les temps. À ce jour, le programme produit par HBO a récolté plus de 200 nominations et 100 récompenses lors de plusieurs cérémonies comme les Emmys Awards, les Golden Globes ou encore les Television Critics Association. La sortie du film était un bon prétexte pour revenir sur les aventures du Parrain ultime du petit écran.
La recette d’une série culte : entre renouveau et hommage à l’univers des gangsters
Avant, les récits sur les gangsters appartenaient au cinéma. Sergio Leone, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Brian de Palma ou encore Henri Verneuil ont fait de ces criminels les personnages centraux de leurs histoires. Au fil du temps, les films de mafieux se sont diversifiés. Les costumes trois pièces et les borsalinos ont laissé place à des adaptations plus modernes. Le format a également changé et les règlements de comptes se sont invités du côté des séries. D’abord en 1984 avec le feuilleton La Mafia puis plus récemment avec Boardwalk Empire ou des shows populaires comme Peaky Blinders et Narcos. De New York à Mexico en passant par Birmingham, les aventures de ces hors la loi ont passionné plusieurs millions de téléspectateurs et abonnés aux plateformes de VoD.
Difficile d’évoquer les films et les séries de gangsters sans faire référence à son vivier principal : la mafia italienne. Depuis deux décennies, les vendettas et les magouilles de ces protagonistes aussi captivants que violents n’ont cessé de fleurir sur nos écrans. Une omniprésence en grande partie justifiée par l’impact des Soprano, qui a revisité les codes de la saga mafieuse, notamment à travers son personnage phare : Tony Soprano.
À lui seul (ou presque), il représente l’essence de la série. À travers une ambivalence aussi charismatique qu’attachante, James Gandolfini est parvenu à offrir une interprétation magistrale du baron de la mafia. Là où cette figure emblématique du septième-art a toujours été représentée comme un adversaire redoutable, David Chase a redistribué les cartes en choisissant de raconter le parcours d’un mafieux au bord de la crise de nerfs. Le créateur de la série a fait évoluer l’image du criminel, en lui offrant notamment une (certaine) moralité et en faisant de lui un père de famille, mais aussi celle de l’anti-héros en lui offrant davantage de profondeur. La sensibilité de Tony est souvent contrastée par la violence que l’on attend de ce chef de gang, notre héros étant ainsi le reflet d’une dualité passionnante.
Ce constat s’applique également à tous les personnages des Soprano, que ce soit Carmela, l’Oncle Junior ou Christopher Moltisanti. La série apparaît comme le format idéal pour offrir une appréhension travaillée des personnages. Elle a par ailleurs su le faire avec une élégance frôlant la perfection en filmant une galerie de protagonistes remplis de contradictions, de faiblesses et de névroses.
Pour autant, Les Soprano n’oublie pas de conserver les codes des œuvres mafieuses érigées avant elle. Les fusillades, les règlements de comptes ou encore la menace du FBI sont monnaie courante. Si les scènes d’action sont aussi surprenantes qu’éphémères, elles n’en sont pas moins jouissives et rappellent les bons vieux classiques du genre.
Le programme s’invite dans notre quotidien et dans celui de nos séries modernes. Ces dernières ont considérablement évolué sous l’influence de ces personnages emblématiques mais aussi grâce à une mise en scène unique. Là où la plupart des shows faisaient monter la tension en se concluant sur des cliffhangers haletants, Les Soprano préfère terminer sur des notes absurdes et anodines. Un repas de famille, Tony isolé ou encore la vie courante de ses soldats… Tout est finalement prétexte à dénouement. La série a également fait du format 45 minutes – 1 heure celui de nombreuses productions, sans parler du budget colossal alloué désormais aux tournages des épisodes.
Un succès qui attire les superstars d’Hollywood
Que ce soit devant ou derrière la caméra, de nombreux artistes reconnus ont contribué au succès de la série. On se souvient notamment de Steve Buscemi, l’acteur de Reservoir Dogs qui a prêté ses traits au cousin de Tony Soprano, mais aussi Lorraine Bracco, Michael Imperioli ou encore Tony Sirico, ces derniers ayant évolué auparavant aux côtés de Martin Scorsese pour Les Affranchis. En coulisses, Les Soprano est orchestrée par un David Chase bien inspiré, qui a également pu compter sur les talents d’un clan de scénaristes prometteurs parmi lesquels on retrouve Matthew Weiner, le créateur de Mad Men et Terence Winter, l’auteur à qui l’on doit Boardwalk Empire.
Perçue comme un personnage unique de la série, la bande-originale a également été saluée à travers les six saisons. Chaque morceau a été choisi avec soin par David Chase aux côtés du producteur Martin Bruestle et de la responsable de la musique, Kathryn Dayak. Les styles sont variés, chaque générique dévoile une nouvelle chanson et certaines scènes ont été pensées et tournées uniquement pour accompagner un morceau choisi au préalable.
L’onde de choc des Soprano à travers le temps
Au moment de sa diffusion, Les Soprano se nourrit de la pop culture. L’exemple le plus parlant reste Silvio Dante (Steven Van Zandt), une copie assumée et amusante d’Al Pacino dans Scarface. Or, ce qu’on ne réalise pas encore au moment du series premiere, c’est que le show est sur le point de devenir un objet de pop culture à lui tout seul. Les Simpson, American Dad, SNL et même Coca Cola vont réutiliser les codes des Soprano et plus particulièrement son générique bercé par les notes de « Woke Up This Morning » d’Alabama 3. Le clan de Tony n’est plus seulement une famille du petit-écran : il est un modèle à suivre dans le paysage audiovisuel.
Les Soprano est le reflet d’une certaine société. David Chase dépeint l’Amérique à la fin du XXe siècle à travers les yeux de la communauté italo-américaine. Leur héritage culturel tient une place majeure dans la série. Les personnages tentent de se construire, tiraillés entre la nostalgie de leur Italie natale et leur place dans une Amérique républicaine. Les Soprano met en scène les limites du rêve américain et le rejet d’une génération qui n’arrive pas à se positionner dans la société. Des problématiques encore actuelles et qui nous rappellent à quel point le show porté par James Gandolfini est intemporel.
Les Soprano a renversé l’univers des séries autrefois dominé par les sitcoms. Elle est encore aujourd’hui considérée comme un élément incontournable de la culture du divertissement. Son casting multi récompensé et son analyse psychologique, sociétale parfois métaphysique en ont fait une œuvre fondamentale. La série mafieuse est devenue une véritable session de thérapie pour ses personnages mais aussi pour son public.