LT-21 nous a bouleversés. Dans cette nouvelle série OCS, le monde est frappé par une pandémie qui efface les souvenirs de tou·te·s les infecté·e·s. La réalisatrice Mélisa Godet (La Gravité) et les acteur·rice·s Léonie Simaga (Le Parfum vert) et Arnaud Valois (120 Battements par minute) nous ont ouvert les coulisses de cette production captivante.
Sans surprise, le nom du virus nous rappelle le Covid-19. Que retenez-vous de cette période de confinement ?
Mélisa Godet : Je l’ai vécue avec un conjoint pharmacien qui travaillait tout le temps, donc j’étais seule avec mes deux enfants. Je les aime d’amour, mais c’était très long. S’occuper de petits tout en continuant à bosser depuis chez soi, faire des zooms avec un bébé d’un an demi qui fait l’andouille sur mes genoux et balance des trucs pendant les réunions… C’était sportif !
Léonie Simaga : Pour le coup, j’ai vraiment kiffé (rires) ! J’étais chez mes parents, en Bretagne. On avait un jardin, on faisait notre vie sans se marcher les uns sur les autres, puis on se réunissait pour passer du temps ensemble. Il faisait très beau… C’était comme une espèce de petit paradis. Un jour, on était en train de manger, et j’ai réalisé que je n’avais jamais passé autant de temps avec mon père depuis que j’étais née.
Arnaud Valois : Même durant l’enfance ?
L. S. : Il bossait beaucoup et on ne faisait pas grand-chose avec lui le week-end. Là, c’était la première fois de notre vie qu’on passait 24 heures sur 24 ensemble. Je l’ai même vu jouer aux boules avec ses petits enfants (rires). Je n’aurais jamais imaginé voir ça un jour.
A. V. : Au début, il y a eu une stupeur générale. C’était hyper anxiogène et on regardait le décompte des morts chaque jour. Au bout de deux semaines, on a réalisé que cette maladie était très grave, mais que la vie continuait. J’ai eu cette sensation incroyable de vivre un truc que personne n’avait jamais vécu. Le temps était comme suspendu, c’était fou. Petit à petit, j’ai mis mon angoisse de côté pour prendre soin de moi. Je me suis recentré sur les choses essentielles.
L. S. : Ce qui était unique, c’est que tout le monde était sur pause. Quand tu prends des vacances, tu sais que les autres continuent à vivre et que le temps file. Tu rates des événements, tu culpabilises… Là, tout était gelé. On pouvait savourer chaque instant.
L’idée de LT-21 vous est-elle venue durant cette période ?
M. G. : Non, elle m’est venue avant le confinement. On commençait à parler d’une épidémie en Chine et on nous assurait qu’elle ne franchirait pas les frontières. Au même moment, OCS cherchait des projets de séries sur le thème de l’amnésie. Je me suis donc inspirée de ce virus qui était encore loin de la France pour imaginer cette histoire d’épidémie qui ne ferait aucun mort, mais qui effacerait la mémoire de tous les malades.
Êtes-vous effrayés par cette possibilité d’amnésie totale ?
M. G. : Oui, clairement. Je me suis beaucoup documentée en écrivant la série, et je suis tombée sur des témoignages de personnes qui ont perdu la mémoire après un traumatisme physique ou émotionnel. Je n’imagine pas le vertige que l’on peut ressentir lorsqu’on se réveille dans sa chambre d’hôpital et qu’on ne reconnaît pas sa mère, son père ou son partenaire. Je pense que c’est vertigineux pour tout le monde : pour celui qui oublie et ceux qui sont oubliés. Ils se disent qu’ils ne retrouveront jamais la personne qu’ils ont aimée.
A. V. : Je pense que c’est plus dur pour celui qui se souvient. Celui qui oublie peut recommencer une nouvelle vie. À l’inverse, l’autre conserve tous les souvenirs.
L. S. : Vivre une situation comme celle-là est inimaginable. Ce qui est intéressant avec LT-21, c’est que c’est une comédie romantique au carré, voire au cube. Mon personnage, Asia, est confronté à l’amnésie de son compagnon. Mais, au final, son amour est boosté par cette espèce de miroir sans tain. Cette situation lui permet de réaliser à quel point elle aime Gabriel. Elle continue de le soutenir, de lui rappeler qu’il est doué dans son domaine… C’est rare d’avoir des personnages qui connaissent un amour si pur.
L’un des personnages, Naidra, voit justement cette amnésie comme une opportunité d’être qui elle veut et de recommencer à zéro…
M. G. : Effectivement, c’est une vision assez positive. Mais elle prend ce parti parce qu’elle sait que la vie qu’elle a laissée derrière elle n’était pas terrible. Elle préfère l’abandonner définitivement. Elle ne va pas essayer de reconstituer une mémoire, mais décider d’être qui elle veut. Le personnage incarné par Patrick Bouchitey porte cette question d’une manière plus philosophique. Il dit : “Laissons ce virus remettre la mémoire des gens à zéro et espérons que l’humanité fera mieux la prochaine fois.” C’est une vraie question : si on avait cette opportunité, serait-on capable de faire moins d’erreurs ?
A. V. : C’est pas gagné (rires). Mais il faut garder espoir.
Et si vous aviez l’opportunité de repartir à zéro, qui aimeriez-vous être ?
L. S. : C’est fou comme question. C’est difficile…
A. V. : Moine bouddhiste pour moi.
M. G. : Je ne sais pas trop…
A. V. : Toi, ce serait d’être sans enfants (rires).
M. G. : Non, je les aime trop ! Mais si je me réveille avec la sensation de ne les avoir jamais connus, ils ne devraient pas me manquer. C’est ça qui est bizarre… Si je pouvais recommencer à zéro, j’essaierais d’être plus libre, de me permettre plus de choses.
L. S. : Moi, je prendrais la tête du groupe dans lequel je serais.
Vos personnages ont de forts caractères. Vous reconnaissez-vous en eux ?
L. S. : J’ai énormément de points communs avec Asia. Je me retrouve en elle dans beaucoup de situations, notamment dans cette idée d’aimer quelqu’un qui nous voit, qui nous aime énormément, puis qui ne nous voit plus du tout. Ces sentiments de solitude, de dévotion et d’endurance me sont très familiers. Je partage aussi son courage, son irascibilité et sa dureté. Concernant les différences, je ne sais pas trop… Qu’est-ce que tu en penses, Mélisa ?
M. G. : Déjà, tu n’es pas médecin.
L. S. : Oui, mais j’ai la même approche rationnelle des choses qu’elle. Je pense que la vraie différence, c’est la maternité. Elle n’a pas d’enfant et ce n’est pas un sujet pour elle. Moi, je suis tout l’inverse. Mes enfants sont les personnes qui m’apportent le plus de vie, de joie et de bonheur dans la vie.
A. V. : Si je devais faire la liste des points communs avec Gabriel, ce serait le fait de s’occuper des autres et de fédérer. Cependant, je n’ai pas sa dureté quand il passe de l’autre côté du miroir. Il s’obstine à vouloir se protéger d’Asia, et ce sentiment ne m’est pas familier. Aussi, il est très fort avec les enfants et je ne le suis pas (rires). Je ne suis pas non plus chercheur, je n’aurais pas pu faire des études aussi longues.
L. S. : Je vois un lien entre Gabriel et ton personnage dans 120 Battements par minute, et je me demande si tu ne partages pas cette caractéristique avec eux. Je pense à ce côté héroïque, le fait de ne pas avoir peur de se faire du mal. Le soin des autres justifie cette intrépidité.
A. V. : C’est vrai que ça vient de moi. Quand j’aime, je vais jusqu’au bout des choses et je ne me pose pas de questions.
Ça me fait penser à cette scène où Gabriel sauve Charlie, qui est un enfant malade, et prend le risque de se faire contaminer à son tour. Comprenez-vous les réactions de vos personnages ?
L. S. : Je suis sûre qu’il l’aurait fait dans la “vraie vie”.
A. V. : Oui, clairement.
L. S. : Je pense que Gabriel a eu raison d’agir, mais je comprends aussi Asia, qui n’est pas intervenue. Si tout le monde prenait ce genre de risque, il n’y aurait plus de médecins et on ne trouverait pas de solution. Ça pose aussi cette grande question : faut-il secourir un enfant, ou le laisser mourir et potentiellement sauver des milliers de personnes ? C’est un dilemme éthique.
A. V. : Je pense que derrière son côté héroïque, Gabriel ne pense qu’à sa gueule à ce moment.
M. G. : Non, je dirais plutôt qu’il est instinctif. Il pose son cerveau et agit.
L. S. : Si personne n’agit, c’est surtout la faillite de l’humanité. Heureusement qu’il y a des personnes comme Gabriel. Ça me fait penser à la psychanalyste Anne Dufourmantelle, qui est morte en sauvant un enfant de la noyade. C’était une très bonne nageuse, elle savait le risque qu’elle prenait, mais elle a préféré se sacrifier pour ce bébé.
Revenons sur un sujet plus joyeux : quels sont vos plus beaux souvenirs de tournage ?
M. G. : Il y a eu des moments forts, mais je n’ai pas un souvenir précis. C’est quelque chose de plus global, avec un sentiment de gratitude qui concerne toute cette équipe formidable. Il y avait une espèce d’osmose qui était très chouette. Les conditions de tournage étaient parfois difficiles, mais tout le monde a énormément travaillé et a montré beaucoup d’engagement. Il y a eu des journées cataclysmiques, comme celles passées sur des zodiacs en pleine mer. On rigolait, on vomissait, et à la fin on se regardait en se demandant ce qu’on avait tous vécu (rires).
L. S. : Je ne rigolais pas du tout à ce moment !
A. V. : Cette journée était démente. En fait, c’était assez incroyable de tous se retrouver dans ce décor hors du temps, sur la côte sauvage entre Quiberon et Lorient. C’est des souvenirs vraiment très très très très chouettes.
M. G. : Il y avait clairement un côté colonie de vacances.
A. V. : Oui ! Une colonie studieuse et intense, mais on a quand même bien rigolé.
L. S. : Pour moi, c’est cette gémellité qui s’est installée avec Mélisa. Je sentais qu’elle était là, avec moi, et qu’elle me soutenait. Ça passait par des petits détails, mais ça m’a marquée. C’était comme une ombre toujours présente et très bienveillante. Après, je dois avouer que ce tournage a été très dur.
À quel niveau ?
L. S. : Tous ! C’était très difficile d’un point de vue physique, très exigeant sur l’interprétation…
A. V. : Il fallait s’imaginer des situations et se mettre dans des états qui sont loin de la normalité.
L. S. : Le fait de ressentir autant de désamour de la part de Gabriel a été terrible. Je n’avais jamais expérimenté ça…
A. V. : Le rejet ?
L. S. : Non, ça je l’avais déjà abordé avec Hermione dans la pièce Andromaque, mais c’était bref et il y avait une résolution rapide, comme la mort. Là, c’était long et très ingrat.
Avez-vous rencontré d’autres difficultés lors du tournage ?
A. V. : La préparation a été intense. J’ai dû prendre dix kilos pour incarner mon personnage, car j’étais trop sec et on voulait avoir un rendu plus “normal”, le corps d’une personne qui passe son temps dans son labo ou chez lui, avec sa femme. Quelqu’un qui ne se lance pas dans des séances de sport à six heures du matin, quoi (rires). Après, la difficulté a été le manque de temps. Sur le plateau, on devait enchaîner les scènes, car on avait un planning à respecter. C’était parfois artistiquement douloureux, je me demandais si j’avais vraiment tout donné au niveau de mon jeu d’acteur.
M. G. : On savait dès le départ qu’il fallait aller vite. Le tournage a duré 44 jours : 15 en Île-de-France, et le reste en Bretagne. Une expérience comme celle-là, c’est une grande lessiveuse. On a notamment passé deux semaines dans le décor du laboratoire, qui est une sorte de bunker. On avait l’impression qu’il faisait nuit toute la journée et, quand on en sortait, on voyait qu’il y avait un grand soleil. C’était super perturbant. Donc oui, c’était très intense. On a fait des journées à 27 plans, ce qui est énorme. Mais c’est la vie des tournages et on le savait. C’est aussi ce qui rend le métier excitant : on doit sans cesse trouver des solutions. Mais, au final, c’était une expérience très chouette.
Quelle histoire aimeriez-vous raconter ou incarner à présent ?
L. S. : J’aimerais bien incarner le rôle que je suis en train d’écrire. C’est nul, parce que je ne peux rien vous dévoiler pour le moment…
A. V. : Des indices ?
L. S : C’est un rôle de femme très loin d’Asia, car c’est une folle. Finalement, elle est plus proche de Gabriel quand il passe de l’autre côté du miroir. Elle représente ces personnes qui semblent très bien intégrées dans la société, mais qui ne le sont pas vraiment, en réalité.
M. G. : Ce qui m’intéresse, c’est la force du collectif. Comment on arrive à soulever des montagnes et surmonter des événements qui nous paraissent inimaginables, ensemble.
A. V. : Pour moi, ce serait tout ce qui est en lien avec la fragilité et la maladie mentale. J’aimerais beaucoup explorer ces thématiques.
LT-21 est disponible sur OCS depuis le 12 octobre.