Escales estivales pour ceux qui voudraient associer leurs lectures à leur destination de vacances. Cette semaine, la Grèce.
S’initier à l’esprit grec avec Alexis Zorba de Níkos Kazantzákis
C’est le roman le plus connu de la littérature grecque contemporaine, un symbole de l’esprit grec dans toute sa richesse et sa complexité. Auteur d’une œuvre considérable, qui embrasse tous les genres – romans, essais philosophiques, théâtre et poésie, artisan du renouveau de la langue grecque moderne avec ses traductions, Níkos Kazantzákis publie Alexis Zorba en 1946, un livre écrit en pleine deuxième Guerre Mondiale, dans les heures les plus sombres de son pays. Il raconte le choix radical d’un jeune intellectuel grec qui décide de laisser ses livres de côtés, de sortir de sa zone de confort et de s’élancer dans le monde. Aux côtés de Zorba, un curieux personnage qui semble avoir vécu mille vies qu’il s’efforcera de lui conter pendant leur voyage, il part pour la Crête afin de rouvrir une mine de lignite désaffectée, lancer une exploitation forestière et s’immerger pleinement dans la réalité du monde paysan.
A la fois tragédie antique et conte philosophique aux allures de Candide, Alexis Zorba est un irrépressible cri d’amour et de liberté. « Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre » gravera Níkos Kazantzákis sur sa tombe, comme le manifeste d’une âme grecque vaillante et rebelle qu’il a longtemps incarné.
Le roman accèdera à une renommée internationale grâce à son adaptation signée Michael Cacoyannis en 1964. Un film culte porté par un Anthony Quinn habité mais une version édulcorée loin des inquiétudes de l’auteur.
Percer de vieux secrets de famille avec L’Île des oubliés et Cette nuit-là de Victoria Hislop
Victoria Hislop est britannique mais avec L’Île des oubliés, elle a peut-être mieux que quiconque fait rayonner la Grèce dans les étals des librairies. Traduit dans vingt-cinq pays et vendu à plus de deux millions d’exemplaires dans le monde, son livre est le parfait roman de l’été. Elle raconte le voyage initiatique d’Alexis, une jeune anglaise diplômée d’archéologie qui se rend en Crète pour marcher sur les traces de sa mère qui y est née et qui y a vécu jusqu’à ses dix-huit ans. Là-bas, elle va percer le secret de la mystérieuse île qui fait face à Plaka et découvrir les véritables origines de sa famille.
Dix ans après avoir ce succès éblouissant, Victoria Hislop a redonné vie à ses personnages dans une suite au charme vénéneux : Cette nuit-là. À la fin de l’été 1957, après avoir été guérie de la lèpre sur l’île de Spinalonga, Maria retourne en Crète avec son mari dans l’espoir d’un nouveau départ. Mais le soir même de la fête qui célèbre leur retour, le rêve d’une vie paisible s’effondre quand sa sœur Anna est sauvagement assassinée par son mari qui a découvert son infidélité. Avec le second volet d’une saga familiale devenue culte, l’écrivaine anglaise poursuit sa déclaration d’amour romanesque à la Grèce et façonne un drame épique où la passion se dispute à la haine et où le pardon devient le combat d’une vie.
Jouer au détective avec Les Enquêtes du Capitaine Markou : auteurs de crimes de Christos Markogiannakis
Jour après jour, Athènes est le théâtre de crimes sordides, tous mis en scène méticuleusement mais sans lien apparent. Tout le monde est sur ses gardes, la ville sombre dans la panique et le Capitaine Markou s’interroge. Quelque chose le relie personnellement à l’enquête, il le sent. L’éclair jaillit au moment de consulter sa bibliothèque bien fournie. Très grand lecteur, passionné de polar, il range méticuleusement ses livres et aurait dû tout de suite s’en apercevoir. Les meurtres du tueur en série suivent les intrigues et les morts des livres rangés dans sa bibliothèque : Double assassinat dans la rue Morgue, d’Edgar Poe ; A.B.C. contre Poirot, d’Agatha Christie ; L’Homme aux cercles bleus, de Fred Vargas. Que cherche à lui dire l’assassin ? Qui a pu avoir accès à sa bibliothèque ? Et si le coupable était un membre de son service ? Sa collègue Gaetanou, profileuse avec qui il a eu une brève liaison, Manias, le petit nouveau qu’il ne sent pas : tous sont dans son collimateur. Un roman policier redoutable.
Plonger dans les racines grecques antiques avec La Langue Maternelle de Vassilis Alexakis
Disparu il y a deux ans, Vassilis Alexakis était le plus français des écrivains grecs, une plume virtuose qui a contribué à faire connaître la littérature grecque contemporaine dans l’Hexagone. Journaliste, dessinateur humoristique et chroniqueur pour Le Monde, La Croix et La Quinzaine Littéraire, il s’était installé en France pour fuir la dictature des colonels. Son œuvre est tout entière emprunte de cette double culture qui l’a habité toute sa vie. Son chef d’œuvre, La Langue maternelle, Prix Médicis en 1995 est un livre précieux pour plonger dans la psyché torturée des exilés, pour comprendre toute la force de l’âme grecque, encore habitée par les forces mystérieuses et divines de l’Antiquité.
Le narrateur, sorte de double de papier de l’auteur, habite et travaille en France depuis plus de vingt ans, mais il ressent soudainement le besoin de se reconnecter à ses racines, de revenir s’imprégner de son pays natal. Là-bas, il développe une obsession sans borne pour une vieille légende : une lettre E, Epsilon, suspendue à l’entrée du temple d’Apollon à Delphes. Quelle peut-être sa signification ? Peu à peu l’enquête historique se mue en quête existentielle. La Langue maternelle nous entraîne dans les vestiges de la Grèce Antique autant qu’elle nous plonge dans le dédale d’une identité multiple. Entre souvenirs familiaux et fouilles archéologiques, un émouvant roman des origines.
Se confronter aux réalités sociales et migratoires du pays avec Le Mur Grec de Nicolas Verdan
Si la Grèce est un lieu paradisiaque où chaque jour la nature nous éblouit, un pays chargé d’histoire où l’on s’imprègne de mythologie, c’est aussi aujourd’hui une terre de conflit. Conflit social et économique dans une société dont les administrations se désagrègent, conflit migratoire dans une zone méditerranéenne qui est devenue la porte d’entrée de l’Europe. Journaliste suisse, parti vivre en Grèce pour renouer avec les origines de sa mère, Nicolas Verdan est tombé amoureux de cet autre pays mais a très vite été confronté au mal qui le rongeait. Après de nombreuses enquêtes liées à la corruption, il décide de passer par la fiction pour rendre compte de la réalité grecque. C’est ainsi que naît son héros, Agent Evangelos, policier, ancien militaire sous la dictature des colonels, et ancien du Renseignement qui a tout vu de la lente agonie de son pays. En 2010, au plus fort de la crise économique grecque, les manifestations violentes se multiplient et le peuple est exsangue. La Grèce est une poudrière, la tête coupée d’un migrant est découverte à la frontière gréco-turque. Très vite, l’affaire ravive les tensions. La zone est une base militaire cogérée par la Frontex, une agence européenne chargée de surveiller les flux migratoires. Evangelos se retrouve chargé de cette enquête à haut risque aux multiples intrications politiques. Polar sous tension, Le Mur grec est aussi une fresque documentée, sans concession d’un pays au bord du gouffre. Nicolas Verdan tire à boulet rouge sur une classe politique corrompu et des instances européennes dépassées mais rappelle à chaque page la beauté de cette Grèce blessée. Édifiant.