De l’absurde, du loufoque, de l’autodérision : focus sur les nouveaux et nouvelles bédéastes du rire.
En France, la bande dessinée vit aujourd’hui un nouvel âge d’or. Une effervescence artistique et créative qui dépoussière une forme qui a longtemps été prise au piège des traditions et des codes mis en place par les pères fondateurs de la « franco-belge ». La BD évolue, change de forme, se mue parfois en roman graphique, elle se pense à juste titre comme le pendant illustré de la littérature. Elle s’empare à bras le corps de sujets de société brûlants. Elle devient plus sérieuse. Pour autant, les grands auteurs et illustrateurs n’en oublient pas les principes premiers de la BD : rire et s’amuser. Focus sur trois génies comiques qui dépoussièrent le neuvième art.
Fabcaro, le roi des rigolos
Si l’on devait décerner une palme de l’humour dans le paysage de la BD française actuelle, Fabrice Caro alias Fabcaro remporterait les suffrages haut la main. Il plonge ses lecteurs fidèles dans un univers loufoque, absurde, corrosif, qui fait glousser de rire autant qu’il nous invite à réfléchir. Dans un style semblable à la grande Claire Bretécher, il observe au microscope les vices et dérives de nos sociétés pour mieux s’en moquer.
En 2015, son premier et plus gros succès, Zaï Zaï Zaï Zaï, raconte la folle descente aux enfers d’un auteur de bande dessinée qui a oublié sa carte de fidélité pour faire ses courses au supermarché. Aux prises avec un vigile, il s’enfuie et devient la cible de la police qui le traque sans relâche. Il se retrouve surtout au cœur d’une réaction en chaîne qui le dépasse, un mouvement contestataire qui fracture la société. Bijou d’humour et de satire, cet album sera même adapté au cinéma quelques années plus tard par Jean-Paul Rouvre.
Suivront d’autre pépites comme Et si l’amour c’était aimer, parodie de roman à l’eau de rose hilarante, Formica, une tragédie en trois actes, petit théâtre de l’absurde familial, ou encore, plus récemment, Guacamole vaudou avec Éric Judor, sorte de roman-photo jubilatoire qui tire à boulet rouge sur le monde de l’entreprise. Avec cette patte unique et cet humour indescriptible, Fabcaro s’est même vu confié le nouvel album des aventures d’Astérix, à paraître à l’automne prochain. Nul doute qu’en Gaule aussi, on va se poiler.
Manu Larcenet, le comique caché
Quiconque a lu Blast, l’album majuscule de Manu Larcenet, le chef-d’œuvre culte de la BD française, monument de noirceur et de poésie tragique, n’imagine pas que cet auteur figure dans une sélection comique. Et pourtant, depuis 2020, Manu Larcenet revient à ses premiers amours, une veine mêlant humour, tendresse et satire avec une finesse qui fait penser à Gotlib.
Déjà en 2014, on avait succombé à Microcosme, un comic strip déjanté mettant en scène des tâches qui parlent et qui pensent, des tâches dépressives, racistes, des taches tueuse en série ou mari adultère, des tâches pour la plupart en perdition qui incarnent les dérives de nos sociétés modernes.
Mais c’est la trilogie Thérapie de groupe, initiée il y a trois ans, qui donne à voir toute l’ampleur de sa palette comique. Avec un ton doux-amer qui fait passer du rire aux larmes, Manu Larcenet raconte le combat d’un auteur de bande dessinée pour retrouver l’inspiration. Son double de papier se jette à corps perdu dans l’univers de la création, remonte l’histoire de l’art, se perd aux frontières de la folie, se heurte aux contraintes de la société. Dialogues ciselés et formules assassines, autodérision savoureuse, satire virulente, il jongle avec tous les registres pour faire rire et nous embarque dans l’odyssée comique d’un Don Quichotte de la bande dessinée.
Margaux Motin, 24 heures dans la vie d’une femme
Dans le milieu encore très masculin de la bande dessinée, de plus en plus d’autrices doivent jouer des coudes pour se frayer un chemin. C’est le cas de Margaux Motin. Passée par la case blog, forte d’une audience impressionnante sur les réseaux sociaux (400 000 followers sur Instagram), elle a rassemblé en à peine dix ans une impressionnante communauté de lecteurs et de lectrices fidèles.
Avec J’aurais adoré être ethnologue, avec ses adaptations illustrées de la série best-seller d’Anne-Sophie Girard et Marie-Aldine Girard, La Femme parfaite est une connasse et surtout avec La Tectonique des plaques, elle déploie une œuvre hilarante, teintée d’autobiographie, qui nous fait rentrer dans l’intimité des femmes, dans les joies et les peines de la vie amoureuse, de la vie familiale. Depuis 2020, elle continue sa quête artistique avec la série Le Printemps suivant. Avec un trait vif, dynamique, elle croque le comique des situations qui hantent notre quotidien et écrit le roman vrai de son parcours de femme moderne, toujours en quête d’épanouissement et de connaissance de soi.
