Pour ceux qui n’imaginent pas l’été sans une bonne dose de mystère, de frisson et d’hémoglobine.
| Rouge Karma, de Jean-Christophe Grangé
Jean-Christophe Grangé est un phœnix. Après des débuts tonitruants qui l’ont consacré comme l’une des figures les plus prometteuses du polar français et des œuvres cultes comme Le Vol des cigognes (1994), L’Empire des loups (2003) et bien sûr Les Rivières pourpres (1998), les années 2010 ont eu pour lui des airs de traversée du désert.
Mais, depuis quelques temps, l’écrivain est de retour en très grande forme, il innove, sort des sentiers battus et façonne des histoires érudites, sanglantes et surprenantes. Le diptyque formé par Lontano et Congo Requiem nous plongeait ainsi dans les arcanes de l’État français et nous emmenait en Afrique sur les traces d’un tueur terrifiant, tandis que Les Promises racontait la chasse à l’homme impitoyable pour démasquer un tueur en série dans un Berlin véritable poudrière à la veille de La Seconde Guerre mondiale.
Avec Rouge Karma, il choisit comme toile de fond un des événements les plus marquants de l’après-guerre français, un épisode qui, bien que sur toutes les lèvres, n’est que très rarement utilisé par les romanciers : mai 1968. Dans le chaos parisien, il fait émerger une histoire criminelle inattendue. Flic dépassé alors que la ville s’embrase, Jean-Louis est chargé d’enquêter sur le meurtre d’une jeune fille dont le corps vient d’être retrouvé, nu, mutilé, dans une étrange position de yoga. Très vite, la liste des victimes s’allonge, il s’agit donc d’un tueur en série qui profite des fumées de la révolte pour exécuter son œuvre.
Avec l’aide des amis de la victime, son demi-frère Hervé et la jolie rousse Nicole, de Paris aux rives du Gange, en passant par les dorures du Vatican, on remonte le fil de cette enquête glaçante. Avec érudition, Jean-Christophe Grangé raconte toutes les tensions idéologiques à l’œuvre, il revisite les thématiques classiques du polar, celles de la secte et de l’embrigadement, pour en faire autre chose. Il imagine surtout une enquête haletante qui vous glace le sang.
Trajectoire étonnante que celle de Bernard Minier, autre membre émérite des vieux routiers du polar français, qui a pourtant attendu de fêter ses 50 ans avant de publier son premier roman. Et quelle entrée en littérature ! Publié en 2011, Glacé connaît un très large succès public, remporte le Prix Polar au festival de Cognac et est même adapté en série, avec Charles Berling dans le rôle-titre.
Depuis, le romancier est comme le bon vin. Les années qui passent affûtent sa plume, rendent ses intrigues de plus en plus savoureuses, polissent son personnage iconique, le capitaine Martin Servaz. La redoutable précision avec laquelle il conçoit ses enquêtes et dessine ses crimes, sa capacité à s’emparer d’un milieu et d’un contexte pour en percer toutes les zones d’ombre ont même peu à peu fait sortir Bernard Minier de l’ornière dans laquelle il était injustement coincé : celle d’un auteur de roman policier populaire.
Publié l’année dernière, le one shot Lucia était une sublime preuve de ce changement de stature. Lucia Guerrero, fascinante enquêtrice espagnole, nous emmenait dans les entrailles d’une des plus anciennes facultés du monde, l’Université de Salamanque, sur les traces d’un tueur en série qui recréait avec ses victimes les plus grands tableaux de la Renaissance.
Après la peinture, place au cinéma et plus particulièrement au cinéma d’horreur, monde de fantasmes et de perversions. On retrouve le capitaine Servaz aux prises avec une bien étrange affaire. Alors qu’il s’apprêtait à faire une ultime confession, un ancien décorateur de cinéma est retrouvé ligoté sur son lit d’hôpital, bâillonné et vidé de son sang. Peu à peu, des techniciens, des producteurs, des personnalités du cinéma d’horreur déraillent, disparaissent ou meurent.
Quel drame secret agite ce milieu sanglant et plein de secrets ? Tout semble mystérieusement converger vers un génie incompris du milieu, Morbus Delacroix, réalisateur culte qui vit reclus dans son antre au fin fond des Pyrénées. Bernard Minier s’amuse à glisser tout au long de son histoire des clins d’œil et des références cinéphiles, l’enquête est d’abord ludique puis bascule vers l’horreur. Une descente aux enfers dans les coulisses ensanglantées du cinéma.
| Kalmann, de Joachim B. Schmidt
Arnaldur Indriðason, Yrsa Sigurdardottir, Ragnar Jónasson : le polar islandais est une référence en termes de suspense, d’effroi et d’horreur. Pourtant, ce nouveau cauchemar nordique n’est pas né de l’esprit d’un régional de l’étape, mais d’un islandais d’adoption, un romancier suisse tombé amoureux de ce pays magique et installé depuis peu à Reykjavik.
Le Kalmann qui prête son nom au titre du roman n’est autre que Kalmann Óðinsson, le shérif de Raufarhöfn, un port minuscule situé au nord de l’Islande, un territoire reculé à quelques encâblures du cercle polaire. Kalmann n’est pas vraiment shérif, mais les habitants de cette communauté isolée l’affublent de ce surnom moqueur parce qu’il porte toujours toute une panoplie héritée de son père, un chapeau, une étoile et un révolver, mais surtout parce qu’il est le simplet du village. C’est pourtant lui qui fait la découverte macabre qui va faire basculer ce petit monde dans la terreur. Parti à la chasse au renard polaire, il découvre dans la neige une marre de sang. Hasard étonnant quand on sait que Robert McKenzie, l’homme le plus riche du village, a disparu…
Joachim B. Schmidt manie à merveille les codes du polar et du roman noir, mais confère à son histoire un supplément d’âme. Certes, l’enquête est le moteur du récit, mais il nous offre aussi une fascinante radioscopie de ces communautés du bout du monde et une sublime ode à la nature. On suit avec émotion les pérégrinations de Kalmann, truculent personnage, dans les immensités enneigées. Une envoûtante vague de froid au cœur de votre été.