Si les romans envoûtent, si les témoignages secouent, les essais et autres petits traités de philosophie nous invitent quant à eux à prendre du recul, à penser nos existences chahutées, à panser nos blessures intimes.
Pour les lecteurs plus attachés au monde des idées qu’aux excentricités du romanesque, voici un peu de grain à moudre pour un été placé sous le signe de la pensée.
| Claire Marin, Les Débuts
Nouvelle figure intellectuelle qui compte, respectée par ses pairs et adorée des lecteurs, la philosophe Claire Marin aime partir d’un mot, d’un concept ou d’une idée simple pour ensuite dérouler cette pensée si caractéristique, à la fois intime et universelle, sensible, un savoureux mélange de connaissances philosophiques et d’expérience personnelles qu’elle partage sans retenue.
Pour ce qui est de la chronologie, elle semble en revanche prendre un malin plaisir à prendre à rebours ses lecteurs assidus. Après avoir commencé par la fin avec le sublime Rupture(s), un essai aussi passionnant que touchant sur les inéluctables moments de bascule qui rythment notre existence – le deuil, les cassures professionnelles et l’amour bien sûr – ; après avoir disséqué l’expression « être à sa place », un concept philosophique devenu omniprésent sans pourtant qu’on en saisisse tous les enjeux, elle nous ramène au commencement avec son dernier livre.
Les Débuts décortique sous toutes les coutures ce moment à part où les choses s’initient, balbutient, où les êtres se lancent timidement puis se jettent à l’eau. Le commencement, c’est l’excitation de la nouveauté, la crainte et l’incertitude, l’espoir de se découvrir, de surprendre, la peur de décevoir aussi. Une naissance, les premières heures d’une relation amoureuse, le premier jour du reste de sa vie après la perte d’un être cher : à l’aide des philosophes, des écrivains, mais aussi des icones de la pop culture, Claire Marin nous raconte cet élan créateur, une promesse autant qu’un défi.
| Géraldine Mosna-Savoye, La Force du mou
L’été et son soleil de plomb, sa chaleur écrasante, ses grasses matinées et ses siestes nonchalantes. Oui, l’été, on se laisse aller, on s’abandonne, on se larve. Pendant nos vacances tant attendues, le mou fait partie intégrante de nos vies, il règne en maître, alors qu’il est banni du reste de notre vie. Mais au fait, pourquoi le mou a-t-il si mauvaise presse ?
Géraldine Mosna-Savoye, productrice et animatrice de l’émission de culture générale Sans oser le demander sur France Culture, se lance avec cet essai pop et savoureux dans une périlleuse opération de réhabilitation. Dans un monde encore marqué par les idéaux virils de robustesse, de dureté ou de solidité, elle entend rendre ses lettres de noblesse au mou et en faire un nouvel idéal. La morve, les tentacules d’une pieuvre, la mozzarella et même l’impuissance sexuelle, elle dissèque avec un humour décapant l’image dégoutante, presque dégénérée renvoyée par les objets mous qui nous entourent.
Elle s’attaque également aux images d’Épinal comme celle de l’ado léthargique ou du politique incapable d’agir. Elle déconstruit surtout une à une les nombreuses réflexions philosophiques et littéraires, de Tocqueville à Barthes en passant par Sartre, qui ont fait de cet état le pire des défauts. Et si, parce qu’il est aussi synonyme de souplesse, de fluidité et de douceur, parce qu’il est insaisissable et dissident, le mou devenait le moteur d’une nouvelle révolution sociétale ?
| Ovidie, La Chair est triste hélas
Sea, sex and sun, chantait Gainsbourg. L’Été sera chaud, chantaient Stone et Charden. La période estivale a toujours été vulgairement associée au sexe, aux corps qui se dénudent et exultent. Et si, pour une fois, on lisait, on pensait le sexe en plus de le pratiquer ? Conscientes des dérives coupables de nos sociétés sur le sujet et de l’urgence de repenser les habitudes et les mentalités, de plus en plus de figure intellectuelle spécialisées se sont lancées dans une croisade philosophique, littéraire et politique pour repenser le poids du sexe dans les relations hommes-femmes, pour explorer une saine quête du plaisir, pour comprendre notre rapport au corps.
« Articuler intimité et émancipation, érotisme et féminisme, corps et révolte, sexuel et textuel. » Ce crédo cinglant, comme un manifeste engagé, s’affiche en lettres d’or sur le site des éditions Julliard pour présenter la nouvelle collection « Fauteuse de Trouble », imaginée par Vanessa Springora. Pour lancer ce mouvement littéraire d’avant-garde, l’écrivaine et éditrice a fait appel au printemps à l’universitaire, documentariste et écrivaine Ovidie, ancienne actrice X à la pointe de ce combat pour la redéfinition des codes sexuels.
La Chair est triste hélas est un essai, un manifeste, ou plutôt un exutoire comme elle se plaît à le définir. Avec froideur, mais une virulence assumée, Ovidie crame au lance-flammes les diktats sexuels de notre société. Avec un humour détonnant, elle se raconte sans concession. Mariage puissant de l’intime et du politique, son texte est un appel à se libérer de l’aliénation du sexe, à repenser son rapport au corps de l’autre, à entendre ses propres besoins. C’est une injonction à se faire du bien.
| Giosuè Calaciura, Pantelleria, la dernière île
« Alain, La Horde du Contrevent, tu la réussiras – uniquement, quoi – uniquement si tu t’isoles. Si tu t’isoles, quoi. Tu comprends ce que ça veut dire “isoles” ? Isola, l’île quoi / Tu crées ton île… Il faut que les gens soient extrêmement loin de toi. » Cet enregistrement culte d’Alain Damasio essayant de se motiver pour écrire son chef-d’œuvre, La Horde du Contrevent, dit tout de ce qui fait la magie mystérieuse de ces ensembles de terre perdus au beau milieu des mers.
L’île fascine parce qu’elle appartient à un autre monde, ou plutôt parce qu’elle est coupée du monde. Et cet isolement peut prendre des sens très différents. Dans le cas de Pantelleria, minuscule île à l’ouest de la Sicile, dernière terre avant l’Afrique et la Tunisie, on est plus de l’ordre du grand saut dans l’inconnu.
Après Palerme dans Borgo Vecchio, Giosuè Calaciura s’élance dans ce pays battu par les vents, ce paradis à l’eau turquoise qui a aussi beaucoup à voir avec l’Enfer puisque, dans la mythologie, c’est là que Perspéphone fut enlevée à Déméter par Hadès en personne. Pantelleria, c’est aussi une terre de littérature, « une île pour écrivains » sur laquelle Gabriel Garcia Marquez trouva refuge après le succès de Cent ans de solitude ; c’est un confins du monde qui accueille mais qui repousse, en témoignent les innombrables naufrages alentours. C’est une île dans toute sa splendeur et ses misères. C’est un lieu de vacances, mais surtout une terre de mystère.
Et pour continuer le voyage, on vous invite à vous procurer le sublime livre de photos de Bastien Lattanzio.
| Lucie Azéma, Les Femmes aussi sont du voyage
Demandez à des amis de vous citer de grands écrivains voyageurs, et comptez le nombre d’autrices citées. Il sera faible. Pourtant, elles sont partout. Dans les rayons des bibliothèques et des librairies comme dans les catalogues de maisons d’édition spécialisées dans le récit de voyage, comme Arthaud, Paulsen ou Payot.
Ida Pfeiffer avec son Voyage d’une femme autour du monde, Nellie Bly avec son Tour du monde en 72 jours, Alexandra David-Néel et son Voyage d’une Parisienne à Lhassa, à pied et en mendiant de la Chine à l’Inde à travers le Tibet ou encore, plus récemment, Catherine Poulain avec Le Grand Marin…
Dans les pas de ses glorieuses aînées, la journaliste et voyageuse Lucie Azéma propose une relecture féministe du récit de voyage et invite les femmes à partir à l’aventure pour se libérer des entraves virilistes et machistes. Érudit, inspirant, engagé, son manifeste mêle les références littéraires et les expériences vécues pour en finir avec l’image de la femme captive guettant le retour de son mari.