La nouvelle tendance à la mode : associer ses lectures à sa destination estivale. Après notre sélection d’essais littéraires qui exploraient toutes les facettes d’un été au bord de la mer et interrogeaient notre rapport à l’eau, à la plage ou au corps, place désormais à une escapade romanesque sur les routes de campagne.
Chaque année, vous êtes nombreux à choisir ce refuge salutaire, loin du chaos des villes et de la fureur du monde. Allongé dans les champs, brise légère, pâquerette au coin de la bouche, l’expérience se vit intensément. Mais elle promet d’être encore plus intense un livre à la main. La campagne, la ruralité, le retour à la nature sont des questions qui traversent la littérature française. Un terreau fertile qui avec le temps a vu s’affronter deux camps.
Le roman comme une ode à la nature
Ils sont nombreux, les chantres du retour à la terre, les romanciers qui en plus de leurs histoires et de leurs personnages nous offrent à chaque ouvrage une sublime peinture des merveilles de la nature. Sans remonter aux calendes grecques, on peut citer deux grands romanciers français, figures emblématiques de la première partie du XXe siècle. Jean Giono chante la beauté incomparable de sa Provence natale dans des œuvres envoûtantes comme Que ma joie demeure (1935) ou Le Chant du monde (1934). Dans Le Hussard sur le toit (1951), son chef-d’œuvre, il nous plonge à nouveau dans les paysages de son enfance, mais en fait le théâtre d’une effroyable épidémie de choléra.
Avec Souvenirs d’enfance, tétralogie autobiographique parue entre 1957 et 1960 (La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets, Le Temps des amours), Marcel Pagnol raconte sa région autant que son histoire familiale et devient l’emblème de tout un pays.
De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, vaste pays tout entier tourné vers les grands espaces, le Nature Writing, l’écriture de la nature, est une vieille tradition qui a offert au roman américain ses plus puissants morceaux de bravoure. Le pionnier Henry David Thoreau, avec Walden ou la Vie dans les bois (1854), ensevelit ses pages sous une nature luxuriante et devient le père de l’écologie politique.
Cent ans plus tard, son alter ego du Far West, Edward Abbey, publie Désert solitaire (1968) et nous offre une fresque spectaculaire des immensités arides. Jim Harrison avec Légendes d’automne ou Dalva, Ron Rash et son Chant de La Tammassee ou encore Pete Fromm perpétuent cette tradition.
Aujourd’hui, les écrivains français de la nature, les romanciers de nos campagnes mélangent ces deux influences. Parmi eux, Sandrine Collette et Serge Joncour font office de sublimes chefs de file.
Avec Chien loup (2018) et surtout son dernier roman, Nature humaine (2020), récompensé du prix Femina, Serge Joncour s’est affirmé comme le grand chantre de la ruralité. Ses histoires mettent en scène la confrontation entre nature et modernité, interrogent la sauvagerie, l’animalité et font de la campagne un refuge loin de la fureur du monde. Son nouveau livre à paraître, Chaleur humaine, poursuit cette entreprise littéraire et s’annonce déjà comme un des événements de la rentrée.
Dans des romans comme Des nœuds d’acier (2012), Et toujours les forêts (2020) ou Ces orages-là (2021), Sandrine Collette fait quant à elle de la nature une puissance aussi fascinante que dangereuse. Elle emprunte au Nature Writing américain cette noirceur qui fait souvent basculer son œuvre vers le thriller. Son dernier roman, On était des loups, couronné comme un symbole du prix Jean Giono, dit tout de la dichotomie cruelle qui règne dans les campagnes sauvages et enclavées. En racontant l’histoire d’un retour à la terre manqué et d’un drame qui va déchirer une famille, elle nous prévient : à vouloir fuir le monde, le refuser, on s’expose à l’hostilité d’une nature qui ne veut pas être dérangée.
Le rural noir : la campagne entre violence et fantasme macabre
Depuis une vingtaine d’années, la campagne est aussi devenue pour certains écrivains du roman noir une terre de fantasme macabre, un lieu reculé, inhospitalier où se peuvent se révéler les facettes les plus sombres de l’âme humaine. À partir de la décénnie 2010 aux États-Unis, le Country noir s’affirme comme un sous-genre florissant du polar et de la littérature de genre.
Des auteurs comme Kim Zupan avec Les Arpenteurs (2014) ou Chris Offut avec Nuits appalaches (2018) et Les Gens des collines (2021), mais aussi des séries TV à succès comme True Detective (2014) ou Ozark (2017), transforment nos campagnes en endroits de perdition, rongés par le mal.
En France aussi, cette veine romanesque se développe tambour battant. En publiant Rural noir, Benoit Minville donne sans le savoir un nom à cette déclinaison qui se fraie un chemin dans les programmes de parution. Au cœur de la campagne nivernaise, il imagine un polar sombre qui interroge, à travers la destinée d’une bande d’ados, la solidité des liens amicaux et l’attachement aux racines. Dans une France oubliée, il fabrique un conte âpre et violent qui marque les esprits.
Mais les deux incarnations les plus fortes de ce courant sont sans aucun doute Franck Bouysse et Cécile Coulon. Au fil des livres, les deux écrivains se sont imposés dans la littérature française avec une œuvre à mi-chemin entre la Noire et la Blanche, une œuvre qui ne cesse de questionner l’opposition entre les villes et la campagne, la confrontation entre l’homme et la nature, et d’utiliser les paysages comme des acteurs essentiels du récit, mystérieux et menaçants.
Depuis son premier succès, Grossir Le ciel, huis clos rural au cœur des Cévènnes qui déployait un suspense insoutenable, le Corrézien Franck Bouysse fait de la campagne le décor envahissant de tous ses romans. Plateau, Glaise, même son plus grand succès, le chef-d’œuvre Né d’aucune femme : dans les hameaux isolés, dans les fermes austères, se jouent de bien sordides affaires où l’homme peine à se distinguer de la bête.
Née au cœur des monts d’Auvergne, Cécile Coulon, la jeune prodige du roman français, s’évertue dans chaque roman à explorer l’influence du milieu de vie sur le caractère des hommes et des femmes qui peuplent ses histoires. Le sud profond des États-Unis dans Le Roi n’a pas sommeil, un petit village des montagnes françaises dans Trois saisons d’orage ou encore une ferme isolée de tout dans Une bête au paradis : elle imagine la campagne reculée comme un vivarium où elle fait cohabiter les êtres hors du monde.
Poids des héritages familiaux, attachement à la terre contre ambition d’une vie citadine, Confrontation entre les sexes et les classes : sa littérature abrite une violence sourde qui grandit jusqu’à l’implosion.