La mer qu’on voit danser, les plages ensoleillées, la liberté retrouvée. Trois essais passionnants, à la fois littéraires, philosophiques, historiques et intimes se proposent de nous accompagner les pieds dans l’eau pour ne pas bronzer idiot.
| Éloge de la Plage, de Grégory Le Floch
Un jour brûlant de l’été 2016, Grégory le Floch est traversé par une révélation. Alors qu’il n’est encore qu’un romancier en devenir, il s’allonge sur une plage de Calabre, au sud de l’Italie, et découvre son paradis d’écrivain. Ce refuge où l’esprit se calme et s’agite, ce lieu où l’inspiration afflue sans jamais être pollué, il a passé des années à le chercher. À son bureau, dans sa chambre, étendu dans son lit, assis dans les cafés ou les transports en commun, jamais il n’avait ressenti cette plénitude et ce bouillonnement. Il en résultera deux premiers livres brillants, à l’inventivité folle, des œuvres sensuelles et solaires, à l’image de ce lieu, emblématique de nos vacances.
Pour rendre la pareille à ce havre de création, il décide aujourd’hui de faire un pas de côté dans sa fulgurante carrière de romancier pour consacrer à la plage un essai historique, sociologique et culturel passionnant. Dans les pas de Jean-Didier Urbain et de son ouvrage Sur la plage, il retrace des siècles d’histoire pour comprendre la conception actuelle de cet endroit unique. D’abord lieu de damnation qui recueillait les naufragés ou servait à soigner à coup d’eau de mer les malades du spleen et les hystériques, puis nouvel Eldorado lorsqu’en 1825, la duchesse du Berry la transforme en loisir à la mode, il est devenu au fil du temps le totem sacré de nos étés, un espace qu’il faut sans cesse agrandir, aménager pour nous contenter.
Ce qui fascine dans l’œuvre tentaculaire de Grégory Le Floch, c’est sa capacité à admirer la plage sous tous ses angles. Avec l’émergence de la plage, de la baignade et du farniente vient la culture du corps, le désir des corps dénudés, les exigences de virilité et de féminité ; se pose aussi la question de la nature contrariée. Toutes ces questions brûlantes, il les explore à la lumière des œuvres artistiques qui ont posé le pied dans le sable chaud : Alerte à Malibu, les peintures de Boudin, le cinéma de Rohmer, la littérature de Proust, même la musique de Dalida et Shakira !
| L’Étreinte de l’eau, de Chantal Thomas
Après Souvenirs de la marée basse (2018), formidable portrait de sa mère en nageuse infatigable et Journal de nage (2022), carnets intimes de ses innombrables explorations aquatiques, Chantal Thomas poursuit son exploration littéraire des rivages avec L’Étreinte de l’eau, un émouvant recueil d’entretiens avec Fabrice Lardreau paru dans l’excellente collection « Versant intime » de chez Arthaud. Une collection qui nous avait déjà offert il y a quelques mois l’inspirant Le Pied à terre de Cécile Coulon, consacré à la course à pied.
« Je sens très fortement un “appel à nager”, comme une attraction physique. L’eau s’offre dans un présent intemporel ; elle appartient à la jeunesse, et surtout à l’enfance : quand les gens se précipitent vers l’eau, ils sont comme happés par un bonheur qui les dépasse… »
Aux côtés de la romancière, prix Femina 2002 et académicienne, on se jette à l’eau pour une baignade littéraire de Nice à New York, avant que notre expédition ne prenne une tournure inattendue. La nage est pour Chantal Thomas un prétexte pour replonger loin dans son passé et dans son for intérieur. Au fil des pages, elle nous livre de savoureuses et puissantes bribes de vies.
Élevée à Arcachon, entre mer et sable, elle a été toute sa vie traversée par la symbolique de ces deux éléments. La liberté et la quête d’émancipation féminine d’un côté, le temps qui passe, l’impermanence, le pouvoir de modeler la création de l’autre. Parce qu’il s’agit aussi de cela dans ce livre : de l’acte créateur, de l’écriture. Avec une simplicité, une générosité touchante, avec une envie de se dévoiler, Chantal Thomas nous emmène autant dans les lieux qui l’ont façonnée que dans la fabrique de l’écrivaine. Un petit traité de littérature qui prend des airs de roman d’aventure.
|Vivre nu, de Margaux Cassan
Le titre sonne comme un appel, une injonction à en finir avec les barrières mentales et sociales qui nous restreignent. C’est aussi une invitation à se dévoiler et à lever le voile sur une communauté qui entretient un rapport différent au corps et au monde. Philosophe de formation, biographe de Paul Ricœur, Margaux Cassan a vécu une enfance rythmée par les séjours familiaux dans le paradis de naturistes de Bélézy, un petit village du Vaucluse. Pour sortir le naturisme de son ornière, elle part sur les traces d’un mouvement à l’histoire riche et complexe, un mouvement qui a toujours été victime d’un regard cruel et moqueur et dont la destinée dit beaucoup de nos sociétés.
À l’heure des réseaux sociaux, dans un monde schizophrène, pris en étau entre une hypersexualisation généralisée et le retour à un puritanisme exacerbé voire inquisiteur, la question de la nudité est centrale. Censurer sur Instagram le moindre téton féminin, y compris sur les tableaux des grands maîtres, mais offrir aux nouvelles générations un accès simple, gratuit, omniprésent au porno le plus dégradant dit tout de l’errance idéologique dans laquelle nous nous trouvons. C’est tout cela qu’explore Margaux Cassan dans cet essai passionnant mêlant étude historique, cheminement philosophique et quête intime.
Elle explicite des termes trop souvent dévoyés en distinguant par exemple le naturisme de son pendant sexualisé, le nudisme. Elle interroge le rapport au corps, bien sûr, et sa récente évolution, mais elle va plus loin en analysant la portée sociale et écologique du geste même d’ôter ses vêtements. L’effacement des différences de classes, la fin de l’endogamie, la découverte d’un autre lien entre l’humain et la nature : bien plus que l’assimilation quasi systématique qu’on en fait, du « beauf » ambiance pastis et caravane, le naturisme est une autre manière d’appartenir au monde, une lutte pour l’émancipation.
