Peu évoqué par la presse et les influenceurs spécialisés, le marché du manga à destination des plus jeunes offre pourtant une grande richesse et des titres charmants pour s’initier à la lecture. Portrait d’un secteur amené à se développer dans les prochaines années.
Le 5 juillet prochain, les parents des plus jeunes lecteurs auront la chance de retrouver en librairie un manga adapté du célèbre dessin animé français Miraculous, qui passionne les enfants du monde entier depuis 2015. Publié par Nobi Nobi, un éditeur en pointe sur la publication de mangas pour enfants, cette BD est l’une des rares œuvres françaises directement adaptées par des auteurs japonais. Un signal majeur de l’importance prise par les mangas à destination des 6-10 ans dans un marché qui a un besoin constant de renouveler son lectorat.
Au Japon, le marché se heurte au manque d’enfants
Très faible natalité oblige, la société japonaise voit son nombre de jeunes lecteurs diminuer d’année en année. Une assez mauvaise nouvelle pour les kodomo manga, comme les libraires français les classifient souvent (au Japon, c’est un peu plus compliqué).
Des magazines de prépublication d’œuvres pour les moins de 10 ans comme le Comics BomBom ont fini par mettre la clé sous la porte. D’autres, comme l’iconique CoroCoro Comic, se portent mal et ont vu leur diffusion divisée par deux depuis 2015.
Pourtant, comme les autres secteurs de l’édition de BD et de dessins animés au Japon, les kodomo manga bénéficient d’une popularité record à l’étranger depuis quelques années. Et ce, dans un contexte où le secteur du livre est en train de devenir un pilier des exportations japonaises dans leur ensemble. Qu’en est-il en France, l’autre pays du manga ? Malgré un assez faible intérêt de la presse spécialisée, le marché est, là aussi, riche et porteur.
Des mangas qui se vendent bien, mais portés par des licences connues
Kodomo manga est une appellation qui évoque davantage une cible démographique qu’un sujet précis. Cette appellation regroupe donc des œuvres très différentes, chez de nombreux éditeurs. Néanmoins, il semble qu’il faille distinguer deux grandes tendances en la matière : les titres pour enfants adaptant une licence ultracélèbre, et les autres. Si vous êtes éditeur de manga, vous avez tout intérêt à essayer de vous placer dans la première catégorie.
Super Mario: Manga Adventures, Splatoon, Les Aventures de Kirby dans les étoiles ou encore les indétrônables manga Pokémon publiés non-stop depuis plus de 20 ans… Une bonne partie du marché des mangas pour les jeunes lecteurs reste trusté par des gros titres à licences.
Claire, bibliothécaire spécialisée jeunesse, nous explique que « les mangas Inazuma Eleven, Zelda ou Rock Lee [une série dérivée de Naruto et adaptée aux plus jeunes] sont toujours très empruntés et très populaires, et ce sont souvent de très bons mangas ! » Elle ajoute que Super Mario: Manga Adventures est « super drôle ». En revanche, faire connaître des séries moins exposées est très compliqué, selon l’experte.
Cette tendance se confirme dans le cadre d’un marché plus global. Comme le reste du marché du manga, les kodomo se portent bien. En témoigne la très bonne santé du principal acteur du marché, Nobi Nobi, une filiale de Pika qui a pu procéder à des recrutements l’année dernière, qui a augmenté son nombre de parutions de 90 à 110 volumes par an et qui a vu son chiffre d’affaires augmenter de 250 % depuis 2017.
Cependant, leurs ventes décollent plus doucement que le reste des autres cibles démographiques, avec une croissance évaluée à moins de 2 % par an et une part du marché d’environ 1,6 % du secteur du manga (représentant environ 2,5 millions d’euros par an). Surtout, leur exposition médiatique reste très modeste en dehors des magazines jeunesses et des recommandations de quelques libraires spécialisés.
Beaucoup de richesse éditoriale, mais une visibilité à améliorer
Ce secteur ne manque pourtant pas de pépites, avec 20 à 30 nouvelles séries par an et environ 200 spécifiquement destinées aux enfants disponibles en tout, en dehors des grandes licences très connues, à l’image des nombreux mangas parfaits pour s’initier à la lecture comme Chi, une vie de chat, à la fois très facile à lire et varié dans ses situations. Il y a aussi des titres plus élaborés comme Momo et le messager du Soleil, qui constitue une très belle initiation au récit d’aventures à lire dès 6 ans, ou Minuscule, une série dépeignant la vie quotidienne d’êtres lilliputiens dans une forêt et insistant sur la découverte de la nature.
Dans un registre plus éducatif, on peut également signaler l’existence de collections jeunesse adaptant des classiques de la littérature en format manga : la très riche « Les Classiques en mangaé » chez Nobi Nobi (Les Trois Mousquetaires, Macbeth ou encore Les Misérables), idéale pour les plus jeunes, ou encore « Classiques » chez Soleil (Orgueil et Préjugés, L’Illiade et l’Odyssée, La Divine Comédie…), ciblant un public un peu plus âgé. Une bonne façon de s’initier aux grands textes.
Néanmoins, Grégoire Labasse, assistant éditorial dans le milieu de l’édition, nous affirme que beaucoup d’éditeurs cherchent encore la bonne manière de vendre du manga pour enfant pour arriver à capter un public volatil qui se renouvelle vite et ne va pas forcément s’investir dans une série en 50 tomes.
Comme le souligne par ailleurs Pauline Riché dans un mémoire consacré au marché du manga en France, cette situation conduit une partie des éditeurs à publier des séries à destination des plus petits sous une étiquette « shojo manga » (on imagine pourtant que les adolescentes et les écoliers de primaires pourraient avoir des goûts légèrement différents). Une manière d’essayer de capter un public plus large que les 6-8 ans, mais qui n’améliore pas la lisibilité de ce type d’œuvres.
La chercheuse Coline Rahimi ajoute qu’en France, la classification kodomo est encore surtout utilisée par les éditeurs pour signifier aux parents que le manga sera « safe », sans nudité ni violence, ce qui contribue à rendre son identification un peu vague, cette définition trop large étant difficile à mettre en avant pour les libraires et les bibliothécaires.
À l’inverse, de nombreux mangas pour enfants un peu anciens (Kitarô le Repoussant, Doraemon…) ont une aura presque patrimoniale. « Ce sont plutôt des adultes qui lisent ces œuvres classiques », nous assure Claire, notre bibliothécaire jeunesse.
Le manga pour enfants en France est donc un secteur qui, s’il se porte commercialement plutôt bien, manque encore un peu de la visibilité dont il a besoin pour que ses meilleurs représentants gagnent leurs lettres de noblesse et bénéficient d’une meilleure exposition dans un secteur où le nombre très important de sorties tend à faire tomber beaucoup de nouveautés dans un certain anonymat.
Avec l’arrivée d’une nouvelle génération de parents ayant eux-mêmes été biberonnés aux BD japonaises durant toute leur enfance, gageons que la situation va évoluer favorablement dans les années à venir.