Après La Vie de château (2016) et son travail sur la série Oussekine, Cédric Ido est de retour avec La Gravité, film de banlieue mêlant réalisme et science-fiction. Un drame métaphorique sur le « plafond de verre » des quartiers défavorisés, où le réalisateur confie le premier rôle à la révélation Max Gomis. Le réalisateur et l’acteur sont revenus sur le projet avec L’Éclaireur.
Si les films de banlieue investissent souvent les salles de cinéma françaises, rares sont ceux qui utilisent la science-fiction pour traiter leur histoire. C’est le cas de La Gravité, nouveau film de Cédric Ido, sept ans après La Vie de château (2016). Le long-métrage raconte l’histoire d’une cité frappée par un mystérieux alignement des planètes qui oppose trois héros à la mystérieuse bande de jeunes des Ronins.
Aux côtés d’Hafsia Herzi, Jean-Baptiste Anoumon, Steve Tientcheu et Olivier Rosemberg, Max Gomis incarne Daniel, un coureur talentueux qui essaie tant bien que mal d’échapper au plafond de verre de son environnement. L’acteur, nommé pour le César de la Révélation masculine 2023 pour sa performance, et le réalisateur Cédric Ido ont répondu aux questions de L’Éclaireur.
La Gravité est un film de science-fiction dans une banlieue. Est-il compliqué de monter un projet avec un postulat comme celui-ci ?
Cédric Ido : Ce n’était pas simple. C’est déjà compliqué de proposer un film de banlieue, alors de science-fiction… Un peu comme les personnages du film, nous avons été confrontés à un “plafond de verre”. Heureusement, j’ai été entouré par une super équipe, notamment par Emma Javaux d’Une Fille Productions qui a rendu l’aventure possible. On a également reçu l’aide du CNC et de Canal+, ce qui montre qu’il y avait une vraie attente sur un projet comme celui-ci.
Une des premières difficultés a notamment été de retrouver la trace de Max Gomis…
C.I. : Oui, car quand j’ai commencé à écrire le scénario de La Gravité, j’ai rapidement pensé à Max. Je l’avais vu presque dix ans auparavant, dans des courts-métrages réalisés avec une association. Quand on s’est lancés dans le casting, j’ai demandé à ce qu’on retrouve son contact, mais Max avait disparu. Au final, c’est une vieille bande-démo postée en 2012 sur YouTube qui nous a permis de le retrouver. Il n’y avait pas de numéro de téléphone, juste une vieille adresse mail qui, miraculeusement, fonctionnait encore.
Max Gomis : On a commencé à parler du film en 2019. À cette époque, ma carrière était au point mort, je travaillais à côté et je n’avais pas d’auditions. J’ai tout de suite été séduit par l’originalité du projet, mais le Covid-19 est arrivé et on a donc perdu deux ans. On continuait d’échanger avec Cédric, il m’assurait que le film allait se faire, jusqu’au jour où on a eu le feu vert.
Le personnage de Daniel est un athlète qui s’entraîne pour une course. Quelle part a joué le physique dans la préparation du rôle ?
M.G. : J’ai dû me préparer physiquement pour le rôle, notamment en perdant dix kilos. J’ai eu la chance d’être mis dans les meilleures dispositions par la production, qui m’a présenté un coach sportif. J’ai suivi deux mois de préparation physique qui m’ont fait mieux comprendre la mentalité d’un sportif. Quand le tournage a commencé, je comprenais mieux la psyché du personnage. Steve Tientcheu a lui aussi reçu l’aide d’un coach, pour apprendre à jouer une personne paralysée en fauteuil roulant.
C.I. : Il était important pour moi que les trois personnages principaux aient chacun un talent précis. Jooshua est un ingénieur qui trafique son fauteuil roulant pour s’affranchir de son handicap, Christophe est un dessinateur talentueux qui utilise son talent pour venir à bout des Ronins… Pour le personnage de Daniel, c’était la dimension mentale du sportif qui m’intéressait. Pour moi, les grands efforts physiques se jouent à 70 % au mental. Daniel puise sa force dans sa capacité à oublier son corps pour faire de grandes choses. On a eu la chance de bénéficier de ce temps de préparation physique. Même Olivier Rosemberg, qui joue Jovic dans le film, s’est laissé aller pendant un mois niveau alimentation, pour pouvoir mieux camper son rôle de « loser ».
Le gang des Ronins joue un grand rôle dans le film. Comment s’est passé le tournage avec de si jeunes acteurs ?
C.I. : Je voulais vraiment prendre le temps de créer un vrai groupe, une communauté. J’ai réalisé un grand nombre d’ateliers à Stains, dont je suis originaire, à la Courneuve, à Saint-Denis… Je voulais travailler avec des jeunes non professionnels, pour un rendu plus réaliste. Bilel Chegrani, qui interprète Tino dans le film, avait beau être le plus professionnel de tous – on a pu le voir dans Petites en 2022 et Arthur Rambo en 2021 –, il a encore cette fragilité et cette fraîcheur des jeunes comédiens que je recherchais.
M.G. : Leur présence a vraiment apporté quelque chose au film. Il y avait une vraie bonne ambiance sur le tournage et j’ai vraiment pu échanger avec eux. Je m’identifiais beaucoup à ces jeunes et ça m’a rappelé mon passé d’éducateur spécialisé.
Quelles ont été les influences pour ce film, non seulement dans la science-fiction, mais aussi plus généralement dans le cinéma ?
C.I. : Pour le côté fantastique et science-fiction, mon influence principale est le cinéma de John Carpenter. J’ai revu Assaut (1976) récemment et ça m’a fait penser à mon propre film. Je l’avais vu quand j’étais jeune et je n’avais même pas pensé à la ressemblance entre le gang de Carpenter et de celui des Ronins. C’est toujours inconscient au final… Il y a aussi l’influence du cinéma japonais dans mes films. Combat sans code d’honneur (1973) de Kinji Fukusaku, les films d’Akira Kurosawa… Je sais qu’il y aura toujours un peu de ces films dans mon cinéma. Melancholia (2011) de Lars Von Trier a aussi été une grande influence pour moi. Il partage avec La Gravité la métaphore des planètes au cœur de son histoire.
Avant d’être un film de science-fiction, La Gravité est un film sur une cité et ses habitants. Quelle a été votre approche pour traiter ce sujet ?
C.I. : La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz est une grande référence pour moi, mais je trouve que beaucoup de films de banlieue tournent autour de la lutte entre ses habitants et la police. Dans La Gravité, la question est balayée rapidement, les Ronins ont si bien caché leur trafic de drogue que la police pense qu’il a disparu de la cité. Je voulais non pas faire un film sur des banlieusards contre une institution, mais bien sur le conflit intergénérationnel et le “plafond de verre” que subissent les habitants.
M.G. : Je suis souvent assez critique avec les films de banlieue. Je trouve qu’ils jouent beaucoup sur les clichés, ça dessert le propos. La Gravité est un film différent, sans armes, sans police… C’est ce qui m’a plu dans le projet.
Max, vous avez été nommé au César de la Révélation masculine en 2023 pour votre performance. Tout semble avoir changé pour vous.
M.G. : Oui, c’est le moins que l’on puisse dire ! L’année 2023 a été assez exceptionnelle pour moi et ça fait plusieurs mois qu’on défend le film. J’ai pu voyager à Toronto, à Stockholm… Et puis, maintenant, il y a cette nomination. J’ai même décroché un vrai beau rôle dans une série dont je ne peux pas encore parler. Je suis très reconnaissant envers Cédric, j’espère que je lui rends un peu de tout ce qu’il m’a donné.
C.I. : On verra… [rires]
La Gravité, de Cédric Ido, avec Max Gomis, Hafsia Herzi, Jean-Baptiste Anoumon, Steve Tientcheu et Olivier Rosemberg, 1h26. En salle le 3 mai.