De Robert Louis Stevenson à Sylvain Tesson, en passant par Nicolas Bouvier, expédition au pays des écrivains-voyageurs (et de quelques écrivaines-voyageuses !).
L’été nous tend enfin les bras avec son cortège de libertés, de découvertes et de voyages. Et l’envie d’évasion se retrouve jusque sur les étals des librairies où un genre littéraire pas comme les autres tire son épingle du jeu. Cela fait plusieurs années déjà que la littérature de voyage a le vent en poupe. Mais, sous l’impulsion de figures fascinantes comme Sylvain Tesson, cette veine littéraire a trouvé un nouveau souffle et multiplié les succès d’estime.
Plus seulement carnet de voyage de grands écrivains ou récit des exploits de nos plus glorieux aventuriers, elle est devenue un genre à part entière où l’exploration du monde extérieur va de pair avec une quête plus intime de celui ou celle qui voyage, où le reportage et le développement personnel s’allient pour faire littérature. Plongée, en sept petites madeleines littéraires, dans un genre aussi vaste que notre besoin d’aventure.
Le classique indépassable : Nicolas Bouvier, L’Usage du monde
Comment ne pas débuter ce tour d’horizon littéraire par la bible de l’écrivain-voyageur. Nicolas Bouvier est une légende, le père fondateur du récit de voyage moderne et son ouvrage, L’Usage du monde reste aujourd’hui une référence indétrônable.
À l’été 1953, le jeune Suisse plaque tout pour se lancer dans le voyage d’une vie. Il quitte sa famille, ses amis, ses études de sanscrit et d’histoire médiévale à la faculté de Genève, et embarque avec l’illustrateur Thierry Vernet dans une vieille Fiat Toppolino direction la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et L’Inde. Dans un style simple et direct, comme une ode à la découverte et à l’émerveillement, il raconte un époustouflant périple de six mois et délivre une invitation à l’aventure et à l’échange avec l’autre, autant qu’une réflexion morale et philosophique sur notre manière d’être au monde.
Publié dix ans après son expédition, à compte d’auteur et dans l’anonymat le plus complet, le livre est aujourd’hui considéré comme le plus grand classique de la littérature de voyage. Orné des dessins et des croquis de Thierry Vernet, le récit de Bouvier donne vie aux paysages et offre un visage aux rencontres qui ont jalonné ce majestueux parcours. Une expérience de lecture hors du commun qui changera à tout jamais votre vision du monde. « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »
La nouvelle star : Sylvain Tesson, Berezina
Quand on évoque aujourd’hui la figure de l’écrivain-voyageur, un nom est sur toutes les lèvres, celui de Sylvain Tesson. Aventurier à la plume affutée, vagabond céleste habité par l’ailleurs, trompe-la-mort fascinant, il est le symbole d’une littérature qui naît dans l’effort, la sueur, le danger et parfois même la peur. Que ce soit en marchant sur les traces des évadés du Goulag de Iakoutsk à Calcutta (L’Axe du loup), en pourchassant les dernières panthères des neiges sur les hauts plateaux du Tibet avec le photographe animalier Vincent Munier (La Panthère des neiges) ou en parcourant l’Asie centrale à cheval (La Chevauchée des steppes), son œuvre est un savoureux mélange d’érudition, de mise en scène romanesque et d’introspection poétique.
Berezina n’est pas son œuvre la plus connue, mais elle est sans doute la plus inspirante. En compagnie du géographe et aventurier Cédric Gras, du photographe Thomas Goisque et de deux amis russes, Vassili et Vitaly, Sylvain Tesson s’élance à moto de Moscou à Paris avec une ambition : parcourir les 4000 km empruntés par les armées Napoléoniennes lors de la retraite de la campagne de Russie en 1812. On est hypnotisé par la beauté de ces immensités enneigées avant d’être pris d’un terrible vertige : comment une armée en déroute a-t-elle pu emprunter ce chemin infernal vers la mort ?
Romanciers sur la route : Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes
Sous l’impulsion de certaines plumes des Lumières, mais surtout avec les grands romanciers qui parcourent le XIXe siècle, un pan de la littérature du voyage s’est progressivement transformé en un passe-temps d’écrivains qui profitent de leurs escapades pour consigner des observations, des sensations ou deviser sur le monde. À leurs côtés, on pourrait presque faire le tour du monde. Chateaubriand nous emmène dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), Stendhal publie ses Promenades dans Rome (1829), Théophile Gaultier nous livre son Voyage en Espagne (1845), tandis qu’Alphonse de Lamartine et Gérard de Nerval se prennent de passion pour l’Orient.
Robert Louis Stevenson, lui, se contente d’une drôle d’expédition hexagonale. En septembre 1878, accompagné d’un âne, mais à pied, il traverse en 12 jours les Cévennes, de Monastier à Saint-Jean-du-Gard et dort à la belle étoile. De cette expédition bucolique sur les chemins de bergers du Sud de la France naît un texte poétique, sensible et sensuel, un hommage en toute simplicité à la liberté, la magie des rencontres et l’ivresse des paysages.
De son livre naîtra une voie officielle : Le Chemin de Stevenson, GR 70 reliant le sud du Massif central aux Cévennes profondes. Un parcours accidenté, mais magnifique – qui a valu un César à Laure Calamy.
Born in the USA : Joan Didion, L’Amérique
S’il y a bien une littérature qui a su donner au récit de voyage son plein potentiel et une autre dimension littéraire, c’est bien la non-fiction américaine. Au début des années 1960, une myriade d’écrivains aujourd’hui devenu cultes s’emparent et détournent cette littérature de niche pour façonner des œuvres plus ambitieuses. Au contact du Nouveau Journalisme et du reportage gonzo, les récits de voyage s’engagent et s’engouffrent dans une veine plus sociale et politique. Comme si, à travers leurs pérégrinations, les écrivains-voyageurs avaient accès à une vision plus claire des dynamiques à l’œuvre dans nos sociétés. Dans ce registre, L’Amérique (1979) de Joan Didion fait figure de chef-d’œuvre.
Pendant 25 ans, l’autrice de L’Année de la pensée magique a arpenté les États-Unis pour prendre le pouls d’un pays en décomposition. L’Affaire de Central Park, le combat des Black Panther à Oakland, la Philosophie du mouvement hippie à San Francisco : tout au long des 11 enquêtes portées par une écriture au cordeau, son périple de la côte Est à la côte Ouest s’est peu à peu mué en un terrible voyage au cœur des failles de la société américaine.
Les voies de l’émancipation : Lucie Azema, Les Femmes aussi sont du voyage
Si on peut citer quelques glorieuses aventurières comme la journaliste américaine Nellie Bly et son Tour du monde en 72 jours (1890), qui lui valut de battre le Phileas Fogg de Jules Vernes, Alexandra David-Néel et son Voyage d’une Parisienne à Lhassa (1927), témoignage de la première femme occidentale à atteindre le Tibet ou encore, plus récemment, Catherine Poulain et son Grand marin (2016), récit d’une expédition pas comme les autres à bord d’un bateau de pêche d’Alaska… au pays des écrivains-voyageurs, les hommes sont rois.
C’est en partant de cet amer constat que Lucie Azéma s’est lancée dans l’écriture d’un essai engagé qui donne matière à réfléchir autant qu’à voyager. Le mouvement, la liberté, le courage d’Ulysse contre l’attente, l’immobilisme, la peur de Pénélope : depuis l’Odyssée d’Homère, les femmes sont privées de voyage parce celui-ci suggère l’émancipation. Alors l’autrice se sent investie d’une mission. S’inspirant des histoires vraies de la littérature de voyage et de son expérience personnelle de baroudeuse passée par les quatre coins de la planète, Lucie Azema pourfend la vision masculinise et viriliste du voyage. Son livre est une tribune féministe érudite, inspirante et enragée pour s’affranchir des clichés qui voudraient retenir les femmes au foyer. Une invitation à fuir pour gagner sa liberté.
Sur les sentiers de la gloire : Marc Fernandez, Le Nouveau Western
Au détour d’une discussion avec des proches, le journaliste et écrivain Marc Fernandez plaisante et annonce avoir trouvé le sujet de son prochain livre. C’est décidé, il veut fuir la civilisation et parcourir les routes espagnoles à cheval, sur les traces du Cid. C’était sans compter l’oreille attentive d’une éditrice qui trouve l’idée géniale et lui conjure de relever le défi. Après un entraînement intensif au Body Care Clichy Fitness, Marc Fernandez enfourche son VTT, rebaptisé Tornado pour l’occasion, et s’élance de Burgos, la ville natale du Cid, jusqu’à Valence, où le chevalier mourut en 1099, pour une équipée sauvage de plus de 900 km à travers une partie méconnue de l’Espagne, immensément vide et pourtant chargée d’histoire.
D’origine espagnole, Marc Fernandez a toujours été bercé par les récits de ce combattant légendaire. Rodrigo Díaz de Vivar n’est pas que le héros tragique d’une pièce de Corneille. Il fut un chevalier en chair et en os, un héros déchu et banni. Le Chemin du Cid, itinéraire très prisé des aventuriers, n’est autre que le parcours qui a jalonné sa vie.
On embarque pour une aventure à couper le souffle dans le décor des westerns de Sergio Leone. Un récit virevoltant, alternance subtile entre les tribulations comiques d’un apprenti aventurier, les passionnantes anecdotes d’un journaliste en reportage et les réflexions intimes d’un écrivain qui renoue avec son pays d’origine.
Voyage immobile : Julien Blanc-Gras, Envoyé un peu spécial
Pendant de longs mois de confinement et de vie sous cloche, l’écrivain baroudeur Julien Blanc-Gras avait des fourmis dans les jambes. Alors il a pris la plume pour raconter, sous forme de cartes postales adressées à ses lecteurs, les voyages qui ont jalonné sa vie. Au fil d’une trentaine de courts récits relatant ses aventures aux quatre coins du globe, on embarque avec lui pour un périple haut en couleur.
Des forêts luxuriantes d’Indonésie aux monts sacrés du Népal, en passant par des villes tentaculaires comme Séoul ou Lagos, il nous raconte les rencontres et les moments inoubliables qui font tout le charme de l’ailleurs. Un récit à tiroirs drôle et hypnotique qui consacre Julien Blanc-Gras comme l’une des figures les plus inspirantes de la littérature du voyage.
Bonus : Le Routard, Les 50 voyages à faire dans sa vie
Pour fêter en grande pompe son cinquantième anniversaire, Le Routard, le plus iconique des guides de voyage, partage avec ses lecteurs les destinations les plus magiques de la planète. Philippe Gloaguen et ses auteurs vous invitent à découvrir les voyages qui les ont le plus marqués et vous emmènent dans les 50 lieux qu’il faut absolument avoir vus au moins une fois dans sa vie.
En plus des traditionnelles infos pratiques qui ont fait le succès du Routard, on découvre de savoureuses anecdotes, des étapes détaillées jour par jour ou encore des idées de lecture ou de film. De l’Andalousie aux Cyclades en passant par le Machu Picchu ou le Rajasthan, des cerisiers en fleurs du Japon au Carnaval de Rio, on en prend plein la vue et on mesure le chemin qu’il reste à parcourir pour clamer haut et fort qu’on est de la trempe des grands voyageurs.