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Quand la bande dessinée s’essaie aux biopics graphiques de femmes

04 mars 2023
Par Clara Authiat
Les BD en forme de biopics féministes ont la cote actuellement.
Les BD en forme de biopics féministes ont la cote actuellement. ©Shutterstock/Dore art

Plusieurs biographies dessinées sur les femmes ont investi les rayons de nos librairies. Ces œuvres permettent notamment de raconter le combat inspirant d’héroïnes des temps modernes. Un phénomène littéraire sur lequel L’Éclaireur a souhaité revenir en dévoilant sa sélection de biopics graphiques et féministes.

Le mois de mars et sa symbolique Journée internationale pour les droits des femmes (le 8 mars) met, en 2023, un coup de projecteur sur les femmes dans la BD. Partout en France, les initiatives se multiplient. Le Festival d’Angoulême a notamment organisé une rétrospective de l’œuvre de l’autrice canadienne Julie Doucet, gagnante du Grand Prix de 2022, tandis qu’à Quimper, l’exposition Femmes du 9e art met en avant le travail de cinq dessinatrices (Catel, Véronique Deiss, Camille Jourdy, Nadja et Nadia Nakhlé) jusqu’au 1er avril 2023.

Bien qu’encore très minoritaires, les dessinatrices de bande dessinée sont de plus en plus nombreuses. D’après les derniers États généraux de la bande dessinée, 27 % des auteurs de BD sont des autrices, contre à peine 12% en 2010. Certaines d’entre elles cartonnent, à l’instar de Pénélope Bagieu, qui a reçu le célèbre prix Eisner qui récompense une personnalité forte du neuvième art. On peut également citer Liv Strömquist, Alison Bechdel, ou encore Mirion Malle

Ces autrices abordent des histoires et des sujets qui, s’ils ne sont pas nouveaux à proprement parler, ont longtemps été passés sous silence ou dédaignés par leurs collègues masculins. C’est le cas d’Aude Mermilliod qui raconte son avortement dans Il fallait que je vous le dise (2019, Casterman) ou encore d’Émilie Gleason dans Ébouriffant·e·s (2022, Nouvelle Attila) qui parle librement de pilosité féminine sur un ton revendicatif et féministe. Résultat : le regard sur les personnages féminins change aussi. Bye bye Bécassine et la Schtroumpfette, désormais les héroïnes ne sont plus seulement réduites à des plantes vertes, des histoires d’amour ou des objets de désir. 

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Dans la même veine, on a aussi vu sortir par dizaines des BD sur les femmes oubliées de l’histoire. Simple effet de mode ? « Non, d’après l’autrice Adeline Laffitte, coscénariste du Manifeste des 343, histoire d’un combat (2020, Marabulles). C’est un manque que l’on est en train de combler. On écrit aujourd’hui des biographies dans lesquelles les femmes sont actives, sont des héroïnes au sens premier. » Car ce qui rend ces portraits de femmes féministes, ce n’est pas le fait que leur sujet soit une femme (même si faire la lumière sur des femmes effacées, dont le travail a parfois été approprié par des hommes, relève aussi du féminisme), mais bien le regard posé sur ces personnages réels ou fictionnels. Un point de vue engagé, que l’on retrouve notamment dans les biopics graphiques sur les femmes. Un nouveau genre désormais populaire dans le neuvième art, dont voici cinq pépites.

Nina Simone en BD, de Sophie Adriansen

Couverture de Nina Simone en BD de Sophie Adriansen. ©Éditions Petit à petit

Feeling Good, I Put a Spell on You, Mississippi Goddam… Derrière ces chansons mythiques, une seule artiste : Nina Simone. Vingt ans après sa mort, une bande dessinée lui rend hommage. Son originalité ? Dix-neuf dessinateurs et dessinatrices allient leurs traits pour redonner vie à cette icône. Le texte de Sophie Adriansen, lui, se découpe en 20 chapitres qui retracent l’existence faite de hauts et de bas de cette figure emblématique de la musique noire américaine. Son œuvre retrace son enfance, durant laquelle la fillette éblouit toute sa communauté grâce à son talent inné pour la musique. On découvre ses débuts dans l’industrie, où elle voit son rêve de devenir la première concertiste classique noire s’éloigner pour devenir la chanteuse de jazz mondialement connue. On comprend sa prise de conscience et son engagement contre le racisme, qu’elle combat à travers sa musique. Avec Nina Simone en BD, Sophie Adriansen est parvenue à offrir un récit honnête, bien documenté, mais aussi enthousiasmant de par sa multiplicité de points de vue.  

Nina Simone en BD, de Sophie Adriansen, Petit à petit, 160 p., 21,90 €.

Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne, de Danielle Masse et Sylvain Dorange

Couverture de la BD Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne de Danielle Masse et Sylvain Dorange.©Éditions Delcourt/Encrages

La vie de Gisèle Halimi a déjà été mise en images dans plusieurs bandes-dessinées, mais aucune ne s’était encore attardée sur son enfance en Tunisie. C’est pourtant là que s’est forgée sa farouche liberté. Danielle Masse (scénario) et Sylvain Dorange (dessin) lèvent le voile sur cette période de la vie de la célèbre avocate dans leur roman graphique, Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne (Delcourt, 2023). La palette de couleurs rayonnante et solaire choisie par le dessinateur nous transporte dans les rues de Tunis, aux côtés de la petite Gisèle, déjà bien déterminée à combattre les injustices. Elle va par exemple jusqu’à faire une grève de la faim à 13 ans, car elle refuse de servir ses frères. En somme, une lecture inspirante, qui illustre une (jeune) héroïne des temps modernes.

Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne, de Danielle Masse et Sylvain Dorange, Delcourt/Encrages, 136 p., 17,95 €.

Lucille, d’Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti

Couverture de la BD Lucille d’Ilaria Ferramosca et de Chiara Abastanotti. ©Éditions Paquet

Lucille Teasdale est une véritable héroïne. Pourtant, son nom reste méconnu. Née en 1929 à Montréal, cette Canadienne a été l’une des premières femmes à devenir chirurgienne. Dès son plus jeune âge, Lucille Teasdale rêve de faire médecine et n’écoute pas les mauvaises langues qui tentent de la dissuader d’exercer cette profession, à l’époque réservée aux hommes. Sa détermination sans faille la fait voyager jusqu’en Ouganda. Là-bas, Lucille va accomplir son rêve : être utile et sauver celles et ceux qui en ont besoin. Malgré les conditions précaires et la guerre civile, elle persiste et marque un tournant dans l’histoire de la médecine. Ce qui devait être une mission de deux mois devient celle d’une vie, le tout compilé dans un magnifique roman graphique.

Lucille, d’Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti, Paquet, 204 p., 25 €.

Camille Claudel, de Monica Foggia et Martina Marzadori

Camille Claudel de Monica Foggia et Martina Marzadori.©Éditions Seuil

Comme nombre de femmes artistes, Camille Claudel a eu le malheur d’être réduite aux hommes de son entourage : son frère Paul Claudel et Auguste Rodin, son professeur et amant. Pourtant, la sculptrice est tellement plus. Son œuvre, elle la doit à elle seule, à sa détermination et son regard particulier sur le monde qui l’entoure. À 45 ans, Camille Claudel est internée… Diagnostic : hystérie. Une maladie dite « féminine » à cette époque. La sculptrice est trop souvent ramenée à cette fin tragique. Alors, pour réhabiliter son œuvre et rendre hommage à sa mémoire, Monica Foggia a décidé d’explorer comment Camille Claudel est parvenue à s’imposer dans l’histoire de l’art, à une époque où les femmes étaient exclues des institutions. Au-delà de son aspect esthétique ravissant, cette BD change le regard que l’histoire porte sur Camille Claudel, et plus largement sur les femmes artistes. À lire absolument. 

Camille Claudel, de Monica Foggia et Martina Marzadori, Seuil, 128 p., 19,90 €.

Angela Davis, de Mariapaola Pesce et Mel Zohar

Angela Davis de Mariapaola Pesce et Mel Zohar.©Éditions des Ronds dans l'O

L’histoire aurait sûrement pris un autre cours s’il n’y avait pas eu Angela Davis. Militante de la première heure, elle s’est engagée corps et âme pour combattre le racisme. Dans cette bande-dessinée, l’activiste se meut sous le trait coloré et pop de la dessinatrice Mel Zohar. Ses rencontres avec Martin Luther King et les Black Panthers, sa fuite à travers les États-Unis et son séjour en prison après avoir été accusée à tort… Cette bande dessinée est une invitation à se replonger dans la vie de cette femme engagée, dont les combats sont – hélas – toujours d’actualité.

Angela Davis, de Mariapaola Pesce et Mel Zohar, Des ronds dans l’O, 144 p., 22 €.

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