Entre innovations et échecs commerciaux, la réalité virtuelle a une histoire bien tumultueuse. Retour sur les objets les plus mythiques.
Bien que le métavers n’arrive pas à décoller, la réalité virtuelle continue de susciter la curiosité du public, que ce soit à but professionnel ou de divertissement. Les casques sophistiqués vendus aujourd’hui par des entreprises comme Meta ou HTC descendent d’une lignée de prototypes et d’expérimentations longue de plus de 60 ans.
1962 – Sensorama, trop en avance sur son temps
Le premier appareil associé à la réalité virtuelle n’est pas un casque, mais une machine ressemblant bien plus à une borne d’arcade : le Sensorama. Ce prototype a été créé par l’Américain Morton Heilig, qui voulait réaliser une expérience cinématographique hyperréaliste faisant appel aux cinq sens. Le Sensorama permettait non seulement une vision 3D stéréoscopique, mais comprenait aussi des ventilateurs, un siège vibrant et des diffuseurs d’odeurs. Résultat : plusieurs courts-métrages, dont une balade à moto dans New York, vent dans les cheveux et odeurs de pots d’échappement inclus. Une révolution pour l’époque, mais ça ne sera pas suffisant pour obtenir les financements nécessaires à son développement. Le Sensorama est donc resté un prototype.
1990 – Nasa View, prendre le contrôle dans la réalité virtuelle
Cette fois-ci, il s’agit bien d’un casque, mais ce n’est pas le premier. Le casque de réalité augmentée Sword of Damocles – l’épée de Damoclès, ainsi surnommé parce qu’il était si lourd qu’il devait être suspendu au plafond – ayant été par exemple créé en 1968. La principale innovation du casque de la Nasa était ailleurs.
Le Virtual Interface Environment Workstation (VIEW) a été développé, contrairement au Sensorama, dans un but professionnel. Cette fois-ci, pas de court-métrage, mais des décors en 3D et en noir et blanc. Les DataGloves, gants équipés de fibres optiques, permettaient au casque de détecter les mains de l’utilisateur et de les modéliser dans l’environnement en temps réel. Quand à la tenue DataSuit, elle donnait des indications sur les mouvements de l’utilisateur. Bien qu’il ne s’agisse pas encore d’équipements haptiques comme aujourd’hui, qui donnent des sensations de toucher, pouvoir interagir directement avec une interface dans la réalité virtuelle était novateur.
1995 – Virtual Boy, la console incomprise
Dans les années 1990, c’est au tour des entreprises de jeux vidéo de s’essayer à la réalité virtuelle. Si Sega et Atari ont eu la sagesse de ne jamais sortir leurs prototypes – Sega VR et Atari Jaguar – présentés à la première édition du salon de l’E3 en 1995, une autre marque a osé commercialiser son modèle pour le grand public : Nintendo. Mais comment faire des casques de réalité virtuelle (à peu près) abordables en 1995 ? En faisant des compromis radicaux.
Le premier concerne l’affichage, uniquement en rouge et noir, qui donne un aspect horrifique même à l’innocent Mario Tennis. Le second est le casque lui-même, un morceau de plastique qui ne s’attache pas à la tête de l’utilisateur mais se pose sur une table grâce à deux pieds considérés trop petits par les joueurs adultes. Pas de gants à fibres optiques ici, mais une manette de console assez classique qui nécessite donc d’appuyer sur les boutons à l’aveugle. Ajoutez à cela une campagne marketing trop confuse pour des clients habitués à la Super Nintendo et c’est l’échec commercial. Avec 800 000 unités vendues dans le monde, c’est même la console Nintendo qui a le moins bien marché. Elle n’a même pas eu le temps d’arriver en Europe que l’entreprise l’abandonne en 1996.
2016 – Oculus Rift, la renaissance de la réalité virtuelle
Pendant une bonne dizaine d’années, la réalité virtuelle est devenue un vieux rêve. Les joueurs ont préféré s’intéresser aux consoles, dont les graphismes devenaient de plus en plus réalistes, et aux jeux en ligne comme les MMORPG. Une personne a cependant continué de rêver de réalité virtuelle : Palmer Luckey. À 18 ans, il conçoit un premier prototype de son casque Oculus en 2012 et crée l’enthousiasme sur le forum où il partage ses expériences, en particulier chez John Carmack, le créateur du jeu vidéo Doom. Palmer Luckey décide donc de fonder l’entreprise Oculus VR et de lancer une campagne de financement participatif sur Kickstarter en 2012 pour créer des kits de développement. Le succès est au rendez-vous : 9 500 contributeurs ont apporté au total près de 2,5 millions de dollars.
La suite, on la connaît : Meta – qui s’appelait encore Facebook à l’époque – rachète Oculus VR en 2014 et le premier modèle commercial sort en 2016. Aujourd’hui encore, ces casques sont les références les plus connues du grand public.
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2017 – Virtuix Omni : il court, il court, en VR
L’histoire du Virtuix Omni est similaire à celle de l’Oculus Rift : Jan Goetgeluk quitte son travail dans la finance pour développer un prototype de l’Omni en 2013. La même année, il lance une campagne Kickstarter. Grâce à l’enthousiasme généré par l’Oculus Rift l’année précédente, elle dépasse le million de dollars. Le Virtuix Omni n’est pas juste un casque de réalité virtuelle, mais veut rendre possible LE rêve de tout fan de cette technologie : pouvoir marcher et courir dans des mondes virtuels.
Pour ce faire, l’Omni est constitué d’une plateforme concave sur laquelle l’utilisateur peut marcher à l’infini grâce à des chaussures ou sur-chaussures qui limitent la friction, et des capteurs permettent de détecter la position des pieds, la taille des pas et la vitesse. L’utilisateur est maintenu avec un large anneau autour de la taille et un harnais, pour changer facilement de direction sans risquer de tomber. Ce type de plateforme fait moins parler d’elle aujourd’hui, mais continue d’être développée : la dernière version, Omni One, est sortie en 2021.
Bonus : Google Cardboard, l’alternative low-tech et abordable
Avec l’Oculus Rift, Palmer Luckey inspire des rêves de réalité virtuelle aux géants de la tech. Cependant, deux Français de chez Google, David Coz et Damien Henry, ont une idée bien différente. Loin des casques classiques coûtant plusieurs centaines de dollars, pourquoi ne pas utiliser ce qu’on a chez soi : un smartphone et du carton ? Avec le Google Cardboard, il suffit en effet de créer des lunettes selon un plan précis et d’y fixer son téléphone pour avoir un semblant de réalité virtuelle. Pour le populariser, la firme de Mountain View l’a rendu compatible avec des applications bien connues du grand public comme Street View et YouTube. L’accessibilité de ce gadget a été la recette de son succès : en 2019, Google a annoncé que plus de 15 millions d’unités avaient été vendues.