Critique

Ne jamais couler de Marie de Brauer : un roman graphique qui décomplexe

16 janvier 2023
Par Clara Authiat
“Ne jamais couler”, le roman graphique de Marie de Brauer, est attendu le 18 janvier 2023 dans les librairies.
“Ne jamais couler”, le roman graphique de Marie de Brauer, est attendu le 18 janvier 2023 dans les librairies. ©Marie de Brauer

Dans le roman graphique Ne jamais couler, la journaliste Marie de Brauer raconte son parcours de combattante contre les diktats de la minceur, pour s’aimer, elle et ses 113kg. Un récit intimiste et militant allié aux dessins doux et colorés de Lucymacaroni.

« J’aime avoir de longs faux ongles, mettre trop de parfum, porter du rose. Je suis drôle, charismatique. Et je suis grosse. » Le ton est donné : avec Ne jamais couler (Leduc Graphic), le lecteur sait qu’il a entre les mains une autobiographie sincère. Avec humour et en couleur, ce roman graphique aborde pourtant ce qui fait mal dans le fait d’être gros·se : ce n’est pas le poids, mais le regard et le jugement des autres, longtemps intériorisés.« Être une femme, adulte, grosse, était mon pire cauchemar, confie Marie de Brauer. J’ai 27 ans, et je suis devenue mon pire cauchemar. »

Tous·tes grossophobes ?

Au-delà de l’acceptation de soi, la journaliste Marie de Brauer raconte aussi comment elle a fait de la grossophobie son combat. Car, de la maltraitance médicale à l’intériorisation de la détestation du corps gros, en passant par un cruel manque de représentation de personnes grosses, les attaques grossophobes sont pléthores et récurrentes. Et Marie de Brauer n’a pas été épargnée, marquée dès ses débuts par la stigmatisation de sa grosseur. Comme la prof de danse classique qui juge son coup de pied du niveau d’une danseuse étoile… sauf que « pour être petit rat, il faut être un peu plus mince ».

©Leduc Graphic/Lucymacaroni

Aussi bien dans la sphère privée que publique, l’autrice raconte la grossophobie ordinaire : cette forme de discrimination, inscrite dans le dictionnaire depuis 2019, désigne l’ensemble des attaques, qu’elles soient conscientes ou non, à l’encontre des personnes grosses. Résultat : l’âge du premier régime, c’est 8 ans ! « La grossophobie, c’est un système global qui déteste les personnes grosses, observe l’autrice ; c’est ce qui amène à avoir des propos déplacés envers un proche ou encore que les médecins assimilent directement la grosseur à l’obésité, à une maladie. »

Pour Marie, cela l’a amenée à s’autocensurer au quotidien – comme, par exemple, décider de ne plus s’asseoir dans les transports en commun par peur de « prendre trop de place ». Cette grossophobie intériorisée pollue également son rapport aux autres, à la sexualité… Mais ce « complexe » n’est pas une fatalité pour Marie de Brauer.

Dépasser les normes

Dans une société où la minceur est la norme sociale, Marie décide en effet d’assumer sa grosseur, de ne plus en avoir honte et d’arrêter d’être parasitée par les injonctions de tous poils (« maigrir », « faire un 36 », « être mince »). Militantisme, féminisme et psychothérapie lui ont permis de prendre conscience que le problème ne venait pas d’elle, mais bien de la société et de ses normes pesantes. « Ma chance a été de découvrir au début de l’âge adulte ce qu’est la grossophobie », raconte l’autrice.

©Leduc Graphic/Lucymacaroni

En effet, Ne jamais couler est avant tout un récit d’acceptation de soi. La journaliste y raconte comment elle est parvenue, non sans peine, à changer le regard qu’elle porte sur elle-même. Ce format de récit incarné, elle en a d’ailleurs fait sa spécialité. Déjà en 2020, elle réalisait le documentaire La Grosse Vie de Marie, où elle mêlait histoire personnelle, rencontres avec d’autres personnes grosses et des professionnel·le·s.

Avec le format graphique, elle a voulu se révéler encore davantage. « Pendant l’écriture de la BD, me livrer, dévoiler mon intimité, m’est venu plus facilement. Alors qu’avec la vidéo, je revêts instinctivement le masque de la meuf drôle qui doit divertir les gens. Là, c’était une autre manière d’aborder ce sujet, plus intime », explique-t-elle. Les doutes, les uppercuts émotionnels, mais aussi la joie de vivre, la détermination et finalement la revendication : Marie raconte sa vie, sans jamais être impudique.

Ne jamais couler, de Marie de Brauer, Leduc Graphic, 2023.©Leduc Graphic/Lucymacaroni

Le dessin doux et inclusif de Lucymacaroni, dessinatrice engagée, sensibilisée à la question de la diversité et des injonctions faites aux femmes (elle a également dessiné L’Homme sous pilule en 2022, éd. Marabulles) se met au service du texte de Marie de Brauer dans une parfaite harmonie. Ce témoignage graphique n’en est que plus impactant : il est inspirant et libérateur.

Ne jamais couler de Marie de Brauer (texte) et Lucymacaroni (dessin), Leduc Graphic, 109 p., 19,90 €. En librairie à partir du 18 janvier 2023.

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