En 2017, Rosalía sortait son premier album. Six ans plus tard, la chanteuse catalane a su s’imposer sur la scène internationale. Grâce à un mélange des genres utilisant aussi bien le flamenco que le R’n’B, l’artiste s’est démarquée par sa créativité et sa fraîcheur. Chanteuse antimorosité par excellence, Rosalía est un phénomène comme la musique en produit rarement. Portrait.
Le 18 décembre 2022, si la majorité des Français étaient rivés devant leur poste de télévision en espérant une troisième étoile pour l’équipe de France de football, d’autres assistaient au concert de Rosalía à l’Accor Arena de Paris. Dernière étape d’une tournée mondiale passée par les États-Unis, l’Amérique Latine et l’Europe, ce rassemblement musical a créé l’événement. L’artiste catalane a en effet donné une représentation impressionnante, les journalistes présent·e·s n’ayant pas hésité à designer sa performance comme « meilleur concert de l’année ». La chanteuse à qui l’on doit Motomami (2022), à la bonne humeur communicative, a joué tout au long de la soirée avec son public, lui offrant par ailleurs un show dans lequel – comme dans l’ensemble de sa discographie –les sonorités du flamenco se mélangent à celles de la pop, du rap et du hip-hop.
Un mélange des genres unique
Les influences que convoque la chanteuse sont diverses. Difficile en effet de cantonner l’univers musical de Rosalía à un genre unique. Cette diversité, l’artiste en a fait une force et une véritable marque de fabrique notamment dans son deuxième album, El Mal Querer.
Sorti en 2019, l’opus permet à Rosalía de s’imposer sur la scène internationale grâce à des tubes tels que Malamente et Pienso en tu mira. S’il s’agit de créations originales, elle n’hésite pas non plus à s’aventurer sur le terrain des reprises. Sur cet album, elle s’inspire autant du célèbre Cry Me a River de Justin Timberlake pour sa chanson Bagdad, que du thème Cielitoo Lindo, de Cien Dificultades de la chanteuse gitane de flamenco, La Niña de los Peines. Preuve une fois encore de l’éclectisme de son répertoire.
Une passionnée de musique et de flamenco
Il faut dire que ce répertoire, Rosalía le cultive depuis son plus jeune âge. Très tôt, elle se passionne pour l’art du spectacle et notamment pour la discographie de Camarón de la Isla. Dès l’âge de 16 ans, elle entame une formation musicale au sein de la Taller de Músic, puis à El Ravall, avant d’être transférée à l’Ecole supérieure de musique de Catalogne, après un cursus excellent. À côté, elle enchaîne les petits boulots, chantant dans les mariages et se produisant dans les bars. Elle devient également chanteuse d’un groupe de musique flamenco, Kejaleo, après avoir tenté sa chance dans plusieurs émissions de télévision espagnole et participé à de nombreux festivals.
Rosalía est une acharnée de travail et une passionnée de flamenco, un genre auquel elle dédie les débuts de sa carrière. Son premier album Los Ángeles, publié en 2017, est consacré à des reprises de classiques du genre. C’est d’ailleurs cet amour pour le flamenco qui va lui permettre de faire son entrée sur la scène musicale mondiale. Avec El Mal Querer, l’artiste mélange non seulement son genre de prédilection avec des sonorités hip-hop, mais elle lui offre une nouvelle reconnaissance, en le modernisant.
Au moment de sa sortie et alors que Rosalía frôle la faillite après avoir misé beaucoup d’argent sur le projet, l’album est un véritable succès. L’investissement personnel, mais aussi créatif – puisque l’album suit la trame du roman espagnol Flamenca – paie enfin. On parle de l’artiste comme d’un véritable « phénomène » et d’un « ouragan ». La machine Rosalía est lancée.
Les clés du succès
À partir de ce moment-là, elle enchaîne les festivals les plus mythiques en se produisant notamment sur les scènes de Glastonbury en Angleterre et de Coachella aux États-Unis. Dans le même temps, elle produit plusieurs singles, s’entoure d’artistes latino comme Lunay, Rauw Alejandro et J. Balvin, tout en commençant la production de Motomami. L’album sort finalement en 2022 et, ça devient une habitude, c’est un véritable succès. Avec cet opus certifié disque de platine, la chanteuse appuie un peu plus sur la diversité de son univers musical.
La Fama, extrait de Motomami.
Elle marie les styles et les influences, tels que le reggaeton, la salsa et la bachata dans des sonorités R’n’B avec des beats cogneurs, des rythmes de hip-hop et de trap, des palmas gitanes et de nombreux vocodages. Pour cela, elle multiplie aussi les collaborations, notamment avec The Weeknd sur le titre La Fama, tout en faisant appel, côté production, à Frank Ocean, Pharrell Williams ou encore Chad Hugo.
L’impact Rosalía
Ces partenariats lui permettent de s’imposer à international, mais aussi de représenter davantage la scène latina. Elle tend également à la bousculer aujourd’hui. Rosalía incarne certes la relève des chanteuses latinas au succès planétaire – de Sélena à Jenifer Lopez, en passant par Gloria Estefan, Shakira, Camila Cabello, etc. –, mais elle a la particularité intéressante de ne pas chercher à s’américaniser pour pouvoir exister. Son répertoire varié, appuyé par des sonorités flamenco, semble lui éviter jusqu’ici le piège de la globalisation.
Elle cultive, par ailleurs, une image originale, avec notamment un style vestimentaire inspiré à la fois de Lola Flores et de Carmen Amaya. Encore une fois, Rosalía est multiple et affiche tantôt l’image d’une artiste bourrée d’humour et de fraîcheur, tantôt celle d’une femme sexy, féroce, casque de moto vissé sur la tête.
Comme de nombreuses artistes ouvertement féministes (elle revendique ce militantisme, ainsi que son engagement LGBTQ+), elle joue avec les codes de la féminité imposés et en invente de nouveaux, détourne et se réapproprie ceux du rap et du R’n’B… Pour finalement n’être jamais où on l’attend. Son engagement n’est pas que physique, il se retrouve dans l’écriture de ses textes et la construction de ses albums.
El Mal Querer (que l’on pourrait traduire par le « mal-aimer ») dresse ainsi le portrait d’une femme emprisonnée dans une tour par un amant jaloux : chapitre après chapitre, sur la trame du roman Flamenca, elle aborde les thèmes des relations toxiques et de l’émancipation des femmes. Motomami, titre de son dernier album, est un mot hybride que Rosalía s’approprie pour en faire l’expression d’une féminité puissante, à la fois affranchie des contraintes sociales et constituée de celles-ci.
Aujourd’hui, Rosalía, c’est un Grammy Awards, huit Latin Grammy Awards, trois MTV Video Music Awards, deux MTV Europe Video Music Awards. Toutes ces récompenses montrent la montée en puissance, en seulement six ans, d’une artiste unique.
De « simple » phénomène, l’autrice-compositrice et interprète est parvenue à s’offrir une place durable dans le paysage musical international. En 2019, Billboard lui avait également décerné le Rising Star Awards pour « avoir changé le son de la musique grand public d’aujourd’hui avec sa pop fraîche influencée par le flamenco ». Trois ans après, on ne peut que penser que le magazine avait vu juste.