Décryptage

Les comédies musicales, épisode 1 : pourquoi fascinent-elles autant ?

12 janvier 2023
Par Lisa Muratore
Steven Spielberg a réalisé un remake de "West Side Story".
Steven Spielberg a réalisé un remake de "West Side Story". ©20th Century Studios

Depuis leur apparition au début du XXe siècle, les comédies musicales n’ont jamais quitté les planches. Après avoir conquis le grand écran, elles s’exportent aujourd’hui sur de nouveaux formats. Un éternel recommencement et une réinvention culturelle qui interrogent la fascination pour le genre entre Broadway, Hollywood et les théâtres français.

Apparues il y a plus de 100 ans aux États-Unis, les comédies musicales étaient d’abord réservées au théâtre. À partir du cinéma parlant, elles ont bénéficié d’une démocratisation sur grand écran. Des planches au septième art en passant par la littérature et les séries, la comédie musicale s’est exportée sur plusieurs continents et touche toutes les sphères culturelles.

Un véritable boom artistique qui, malgré des succès parfois (très) relatifs, a perduré des décennies et semble actuellement connaître une nouvelle expansion. De West Side Story (1957) à Starmania (2022), de son berceau outre-Atlantique aux productions hexagonales, la comédie musicale se lance aujourd’hui dans une reconquête des salles de spectacles et de cinéma, tout en se diversifiant à travers les séries. Un éternel recommencement qui interroge les raisons pour lesquelles le genre n’a jamais cessé de fasciner.

Une expression narrative et artistique unique

Pourquoi les comédies musicales plaisent-elles autant ? C’est une question qui peut prêter à sourire, et pourtant les raisons de la fascination pour les comédies musicales sont parfois plus profondes, notamment en termes de narration. Bien sûr, le public est aujourd’hui friand des comédies musicales pour leur légèreté et leur fantaisie. Les spectateurs basculent dans un autre monde dans lequel les personnages chantent à tue-tête et dansent de façon endiablée. Une façon de sortir du quotidien, de voyager dans un univers entre rêve et réalité, mais aussi une manière inédite d’exprimer des émotions pour les artistes.

Ryan Gosling et Emma Stone dans La La Land de Damien Chazelle. © Summit Entertainment

La danse et le chant sont ainsi vecteurs d’expression artistique. Ils sont utilisés métaphoriquement, comme un univers parallèle dans lequel aucun personnage ne peut résister à l’envie irrépressible de pousser la chansonnette pour exprimer l’envahissement de ses sentiments. La profusion de couleurs, la précision des chorégraphies, la folie des décors… Tout est là pour représenter au mieux le débordement d’émotions que vit le personnage.

Il en ressort un aspect cathartique, preuve que la comédie musicale n’oublie pas ses origines théâtrales. Ce mécanisme est essentiel au genre, car il permet de raconter l’histoire et de la faire avancer. Le spectaculaire ne réside pas tant dans un scénario complexe que dans un épanouissement total lors de grandes scènes de musique et de danse, qui ne marquent pas des pauses dans le récit, mais le font vivre d’une autre manière. On le voit par exemple dans le film La La Land (2016) de Damien Chazelle où le numéro de claquettes de Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling) marque leur rapprochement amoureux.

Quand le classique rencontre le contemporain

Les comédies musicales abordent souvent les thèmes de l’amour ou de la haine, des sujets qui appartiennent à l’origine au théâtre classique et à la tragédie. Toutefois, le genre fait souffler un vent de modernité sur les planches. Si le lyrisme de la romance est toujours présent, le genre fait aussi un pas de côté et s’éloigne des codes classiques pour évoquer son époque contemporaine. Dans les années 1930, les thèmes de prédilection deviennent l’accomplissement de soi, très souvent par la réussite, notamment dans les métiers de l’art et du divertissement.

Cabaret est actuellement présenté au Lido 2 Paris. © Lido 2 Paris

Dans les années 1950, alors que le genre est encore cantonné aux États-Unis ou à l’Angleterre, Hollywood devient un sujet de prédilection, tandis qu’à partir des années 1960, il y a un réel glissement vers des considérations sociales. West Side Story aborde la rivalité des gangs new-yorkais, La Mélodie du bonheur (1965) le totalitarisme et Cabaret (1966) se joue sur fond de montée du IIIe Reich. Autant d’exemples qui montrent l’engagement de la comédie musicale.

Ce procédé tend à sortir de l’artificialité dans laquelle les détracteurs des comédies musicales classent arbitrairement le genre. Même à partir des années 1970, alors qu’il perd peu à peu de sa popularité, des productions cinématographiques comme le Rocky Horror Picture Show (1973) et les Blues Brothers (1980) s’approprient la musique populaire pour rendre plus accessibles des thèmes anti-conservateurs et progressistes (le sexe, l’identité, la drogue, la contradiction de la religion…).

L’exception française face à Broadway

C’est à travers ce prisme, d’ailleurs, que la France produit en 1973 sa première comédie musicale, en adaptant sous forme d’opéra rock les événements de la Révolution française. Loin des strass et paillettes de la mythique avenue de Broadway – qu’il n’a jamais su totalement reproduire à moins de les exporter à la manière du Roi Lion au Théâtre Mogador ou des Producteurs d’Alexis Michalik –, l’hexagone met en scène des productions portant le sceau de l’exception culturelle française.

Thomas Jolly a pris la direction de la comédie musicale Starmania en 2022. © La Seine Musicale

C’est ainsi que naissent des comédies musicales comme la dystopique Starmania (1978) mise en scène par Michel Berger et Luc Plamondon, Les Misérables (1985) adaptée de l’œuvre de Victor Hugo, Paul et Virginie (1992), mais aussi Notre-Dame de Paris (1998). Cette dernière fait l’effet d’une bombe tant le succès de l’œuvre composée par Luc Plamondon aux côtés de Richard Cocciante est retentissant.

Or, si la France était parvenue à s’imposer face à Broadway grâce à son particularisme inspiré de son histoire et des classiques de la littérature, les années 2000 vont apporter avec elles leur lot de ringardise et d’échecs. Des Milles et une Nuits d’Ali Baba (2000) à Cindy (2002) – version futuriste d’une Cendrillon des banlieues –, le succès n’est plus au rendez-vous. Seuls peut-être Roméo et Juliette, de l’amour à la haine (2001), Le Roi Soleil (2005) ou Mozart, l’opéra rock (2009) parviennent à construire occasionnellement une renommée suffisante et à marquer la pop culture actuelle, jusqu’au retour sur scène sous la direction de Thomas Jolly de Starmania (2022).

Le poids de la pop culture

La longévité des comédies musicales va de pair avec l’importance qu’elles ont eue dans la pop culture et cela commence avec les chansons cultes. Si Broadway et Hollywood ont tant su garder le cap, c’est grâce à l’aura que possèdent aujourd’hui les morceaux emblématiques composés par les plus grands paroliers de théâtre.

La comédie musicale Hamilton a débarqué sur la plateforme Disney+ après des années de représentation sur scène. © Disney+

L’époque glorieuse des comédies musicales, c’est en effet aussi l’heure de gloire de Stephen Sondheim (West Side Story, Sweeney Todd, Into the Woods), Leonard Bernstein (West Side Story), ou encore Irving Berlin (La Mélodie du bonheur, Noël blanc), dont les héritiers tels qu’Andrew Lloyd Webber (Le Fantôme de l’Opéra), Lin-Manuel Miranda (Hamilton), Stephen Schwartz (Wicked) ou le regretté Jonathan Larson (Rent) perpétuent aujourd’hui la tradition. Luc Plamondon est peut-être, côté francophonie, notre porte-étendard. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’America, du Temps des cathédrales, des Rois du monde, ou encore de Rain on My Parade, nombre de compositions ont marqué l’histoire du genre et plus largement la pop culture.

Par ailleurs, la pop culture elle-même est devenue une source d’inspiration pour les comédies musicales. La preuve avec Mamma Mia! (1999) qui reprend les tubes d’ABBA, Billy Elliot (2000) écrite par Elton John, mais aussi avec We Will Rock You (2002) basée sur les chansons de Queen. Danny Boyle prévoit également d’adapter la franchise Matrix (1999) sur les planches dans un spectacle immersif, tandis qu’en France, La Haine (1995) pourrait bientôt avoir le droit à sa propre comédie musicale hip-hop.

La comédie musicale aujourd’hui

Trailer de la comédie musicale Mama Mia ! mise en scène à Londres. © Official London Theatre

L’impact de la pop culture est important sur le nouvel engouement que connaît aujourd’hui la comédie musicale. Bien que le genre n’ait jamais quitté les planches ou le grand écran, l’offre redevient de plus en plus conséquente. À travers les sonorités, les costumes ou les décors, les spectacles cultivent à dessein une certaine nostalgie, souvent tirée des années 1950-1960.

On le voit dans des créations originales comme La La Land, mais aussi avec le retour de pièces emblématiques au théâtre ou au cinéma. On pense ainsi au remake de West Side Story (2021) par Steven Spielberg, ainsi qu’à Funny Girl. Mise en scène en 1964 avec Barbra Streisand, cette production connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse grâce à Lea Michele. D’où l’on Vient (2005) écrite par Lin-Manuel Miranda a bénéficié d’une première adaptation cinématographique en 2021, tandis que Cabaret connaît une nouvelle vie sur les planches du Lido 2 Paris.

Les comédies musicales ne sont plus simplement un genre à part entière appartenant au théâtre et au cinéma, elles investissent également les séries grâce à des épisodes musicaux. On a pu le voir dans l’épisode « Suits » de la série How I Met Your Mother (2010) ou plus récemment dans Umbrella Academy. De surcroît, l’idéalisation des comédies musicales par des personnages de fiction est devenue un ressort scénaristique dans les show télévisés. C’était le cas dans Glee (2009-2015), à travers Rachel Berry (Lea Michele), mais aussi dans la série Unbreakable Kimmy Schmidt (2015-2019) avec Titus.

https://www.youtube.com/watch?v=W0ULgXjo4Yo
Rachel Berry (Lea Michele) interprétant Don’t Rain on my Parade dans la série Glee. © 20th Century Fox Television

On assiste donc à un véritable retour en force du genre. Bien que cela ne garantisse pas un succès immédiat, en témoigne le bide de Cats en 2019 – un naufrage qui restera sûrement dans les annales de la pop culture –, la fraîcheur avec laquelle le théâtre, le cinéma et même les séries appréhendent la comédie musicale aujourd’hui participe à en faire un objet de divertissement captivant. Sa fantaisie, sa visée narrative, mais aussi son propos parfois politique ont permis de cultiver sur des décennies l‘amour intarissable du public pour le genre. Le mysticisme de Broadway, l’ambivalence entre tradition théâtrale et modernité scénique ou encore la nostalgie… Tous ces aspects participent finalement à construire une fascination presque éternelle.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste