Entretien

Valentine Cuny-Le Callet : “J’ai envie de m’engager du côté de l’apaisement, de la réflexion”

05 janvier 2023
Par Sophie Benard
Valentine Cuny-Le Callet : “J’ai envie de m’engager du côté de l’apaisement, de la réflexion”
©Pierre-André Cuny

Son premier roman graphique, Perpendiculaire au soleil (Delcourt), dans lequel elle fait le récit de la correspondance qu’elle entretient depuis 2016 avec un prisonnier – et condamné à mort – américain, vient de remporter le prix BD Fnac France Inter 2023. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec son autrice, Valentine Cuny-Le Callet.

Vous venez de remporter le prix BD Fnac France Inter pour votre premier roman graphique, Perpendiculaire au soleil (Delcourt, 2022) ; que ressentez-vous ?

Ce qui me touche, ce qui me fait particulièrement plaisir, c’est que c’est un vrai prix populaire, parce que le jury est composé d’une moitié de professionnels de l’édition du livre et d’une moitié de lecteurs et lectrices.

L’une des grandes originalités de Perpendiculaire au soleil, c’est qu’il s’agit d’un récit à quatre mains, dans lequel on retrouve aussi bien vos dessins et vos textes que ceux de Renaldo McGirth, avec qui vous correspondez. Que signifiait pour vous cette configuration, artistiquement parlant ?

C’était une évidence ! Il était hors de question, dans un tel ouvrage, de ne faire entendre que ma voix. Le livre est entièrement fondé sur nos échanges, donc sur nos textes et sur nos dessins à tous les deux. Et, puisque la prison est un lieu où le silence est imposé, je voulais aussi, à ma mesure, pouvoir lui servir de porte-voix – même si cette voix est traduite en français.

Vous avez déjà fait paraître en 2020 Le Monde dans cinq mètres carré (Stock), qui fait également le récit de votre correspondance avec Renaldo McGirth. Quelles sont les différences entre ce premier texte et ce roman graphique ?

D’un point de vue créatif, il faut savoir qu’avant même la parution du Monde dans cinq mètres carrés, on travaillait déjà, avec Renaldo, sur Perpendiculaire au soleil. Les images sont bien sûr très importantes, parce qu’elles font partie de nos pratiques à tous les deux et de notre correspondance.

Mais les images importent aussi parce que la prison est le lieu par excellence de contrôle des images, de celles qui y entrent et de celles qui en sortent. Cette publication est aussi un moyen de reprendre le contrôle sur ces images, dans une certaine mesure.

Perpendiculaire au soleil est à la fois l’adaptation et le prolongement du Monde dans cinq mètres carrés. C’est un prolongement chronologique, puisque de nouveaux événements ont eu lieu et y sont décrits, et artistique – grâce aux images.

Perpendiculaire au soleil, de Valentine Cuny-Le Callet et Renaldo McGirth. En librairie depuis le 31 août 2022.©Delcourt

Échanger des images avec Renaldo McGirth a-t-il été difficile, justement, compte tenu de ses conditions d’incarcération ?

Pour le moment, il n’a toujours pas accès au livre. J’ai envoyé un exemplaire à sa mère et un autre à son avocate. Mais la prison n’accepterait pas le livre, parce qu’il a une couverture rigide, parce qu’il est en français et à cause des images qu’il contient.

Quand j’envoyais à Renaldo des photocopies de mes dessins pendant notre processus de création, la plupart m’étaient retournées – sous des prétextes de type « images racistes » ou « images pouvant servir de modèles pour des tatouages ». J’ai majoritairement dû lui envoyer des descriptions de mes images.

Pour que ses images à lui puissent me parvenir, on a dû ruser tout du long. Certaines ont été « perdues », certaines ne me sont parvenues qu’en photo mais je n’ai jamais eu les dessins originaux. Certaines enfin ont passé les contrôles, parce que, sorties de leur contexte, elles devaient sembler inoffensives. Mais ces images, mises en contexte, au sein d’une narration, ont pris tout leur sens et toute leur force.

D’où vous vient votre intérêt pour la question carcérale et pour celle de la peine de mort ?

C’est un intérêt à la fois artistique et humain. Ma première approche de ces questions s’est faite par les images –par exemple la photographie de Ruth Snyder sur la chaise électrique, prise clandestinement par Tom Howard en 1928. C’est l’un de mes premiers chocs photographiques, la première photo d’une mort véritable que j’ai vue, étant enfant.

Ensuite je me suis inscrite à l’ACAT-France, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort – une association œcuménique. C’est par ce biais que je suis entrée en correspondance avec Renaldo. C’est seulement ensuite que me suis inscrite en thèse d’arts plastiques à la Sorbonne, pour prolonger ma réflexion sur ces questions.

Cherchez-vous, avec Perpendiculaire au soleil, à transmettre aussi un discours politique ?

Ce livre n’est pas un brûlot politique. Je crois que la description de ce qui est reste le meilleur moyen de faire comprendre ce qu’on voudrait faire advenir. La description du système carcéral en est déjà la critique. Dans le livre, on entend des victimes et des familles de victimes qui sont pour la peine de mort, d’autres qui sont contre. Je n’ai rien édulcoré, je voulais juste transmettre les choses comme elles sont.

J’ai surtout envie de m’engager du côté de l’apaisement, de la réflexion. Je ne cherche pas forcément à faire changer les gens d’avis, mais surtout à les faire s’arrêter un instant avant de donner un avis très péremptoire – c’est déjà un projet très ambitieux !

Je fais aussi des interventions dans des lycées autour de la peine de mort. J’ai remarqué que plus les élèves émettent des avis qui semblent catégoriques, plus ils sont, en vérité, avides de nouvelles informations. Perpendiculaire au soleil est bien sûr un objet artistique, mais s’il peut aussi devenir un outil pédagogique, j’en suis plus que ravie !

Perpendiculaire au soleil, de Valentine Cuny-Le Callet et renaldo McGirth, Delcourt, 436 p., 34,95 €. En librairie depuis le 31 août 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste