Article

Un boom des tics à cause de TikTok ?

22 novembre 2022
Par Florence Santrot
Un boom des tics à cause de TikTok ?
©Creative Cat Studio/Shutterstock

Les réseaux sociaux, notamment la plateforme chinoise, seraient à l’origine d’une multiplication d’ados développant le syndrome Gilles de la Tourette depuis la pandémie de Covid. Explications.

Des tics soudains et incontrôlables. Le syndrome Gilles de la Tourette prête souvent à rire vu de l’extérieur, mais il est particulièrement handicapant pour celles et ceux qui en souffrent (1,5 % des enfants dans le monde développent ce trouble). Or, le nombre de personnes présentant des tics similaires (moteurs et/ou sonores) est en hausse depuis deux ou trois ans, selon les chercheurs en psychologie. Et les réseaux sociaux n’y seraient pas pour rien, TikTok en tête.

Cris, tics, spasmes corporels, exclamations soudaines, jurons incontrôlés, insultes… le syndrome Gilles de la Tourette apparaît généralement autour de 6-8 ans, puis se développe avant de s’atténuer vers la fin de l’adolescence. Seulement 10 % des enfants, principalement des garçons, devront être traités à l’âge adulte. Identifiée au XIXe siècle par le célèbre neurologue Charcot, cette maladie reste relativement mystérieuse. Ce serait un dysfonctionnement de certaines structures cérébrales lié à la génétique.

Des stars des réseaux à l’influence un peu trop puissante

Selon les scientifiques, on assisterait depuis 2019-2020 à une pandémie de jeunes filles de 12 à 25 ans victimes de tics moteurs et vocaux. Elles auraient toutes en commun d’avoir regardé de manière intensive, sur TikTok et YouTube, des vidéos d’influenceurs et influenceuses souffrant eux-mêmes du syndrome Gilles de la Tourette. Ainsi, sur le réseau social d’origine chinoise, le hashtag #tourettesyndrome compte 1,9 milliard de vues, #tourettes 7,4 milliards de vues et #tourettessyndrome, 2,3 milliards de vues.

Jan Zimmermann, un Allemand de 24 ans, est devenu une star du phénomène. Depuis 2019, il cartonne sur YouTube avec ses vidéos dans lesquelles il se met en scène. Certaines d’entre elles ont dépassé les 4 millions de vues et son record est à 6 millions pour une vidéo de lui au zoo. Le jeune homme compte quelque 2,13 million d’abonnés sur YouTube et 542 000 followers sur Instagram. Des neurologues allemands expliquent qu’ils ont vu défiler dans leur cabinet des ados qui présentaient des tics proches de ceux du syndrome et qu’ils reprenaient notamment certaines des expressions incongrues récurrentes de Jan Zimmermann, comme « Requin volant ! ». D’où un lien supposé établi entre le succès sur les réseaux sociaux et cette hausse de cas.

Des phénomènes similaires au Canada, aux États-Unis, en Australie…

Ce phénomène observé en Allemagne a également été observé au Canada, aux États-Unis, en Australie, au Danemark, etc. Glen Cooney (@this.tourettes.guy), un Britannique, compte 4,5 millions de followers sur TikTok. Toujours outre-Manche, Evie Meg affiche 15,4 millions d’abonnés. La Québécoise Andréanne Fortin enregistre, elle, 105 300 followers sur le même réseau… Ils sont nombreux à dévoiler leur quotidien par le biais de vignettes vidéo. Et, durant la pandémie de Covid, au gré des confinements, de nombreux ados ont passé beaucoup de temps à regarder ces comptes. S’ajoutent à cela le stress et l’anxiété de la situation particulière en 2020 et 2021. Le cocktail parfait, apparemment, pour générer des tics chez des enfants qui ne présentaient aucun symptôme auparavant.

Evie Meg, une influenceuse atteinte du syndrome Gilles de la Tourette, se filme ici en train d’essayer de contenir ses tics dans un observatoire ornithologique, lieu où il faut être particulièrement discret. La vidéo a plus de 100 000 vues.

En mars 2021, une première étude publiée dans le British Medical Journal fait état de ce phénomène apparu soudainement. « À Londres, les cliniques spécialisées dans les tics des deux principaux hôpitaux pour enfants de la ville recevaient en moyenne quatre à six cas aigus touchant des jeunes filles par an (sur un total d’environ 200 en 2019-2020). Mais, entre fin 2020 et janvier 2021, les deux centres ont reçu trois à quatre cas de ce type par semaine », indique l’étude. De même, à l’hôpital pour enfants Westmead de Sydney, ces apparitions représentaient auparavant environ 2 à 5 % des patients référés pour des tics. Au premier semestre 2021, ce chiffre est passé à 35 %.

Des ados qui imitent les tics sans le vouloir ?

Cet afflux soudain de patients, surtout des jeunes filles alors que les garçons sont quatre fois plus enclins à être atteints, a posé question. D’autant plus que ces personnes symptomatiques étaient plus âgées que l’âge moyen d’apparition (5-10 ans). La plupart étaient des ados, voire de jeunes adultes.

Sur #tourettes, qui a plus de 7 milliards de vues, les utilisateurs se filment dans leur vie quotidienne et tentent de réaliser des tâches rendues difficiles par leurs tics.

La psychologue Kirsten Müller-Vahl de la Hannover Medical School, en Allemagne, a qualifié ce phénomène de « Mass social media-induced illness », ou maladie de masse provoquée par les réseaux sociaux, et a même publié une étude à ce sujet en août 2021 dans le journal scientifique Brain CommunicationsPour elle, la majorité de ces ados imiteraient, sans le vouloir, des tics observés dans des vidéos sur les réseaux sociaux, sans être réellement atteints eux-mêmes de Gilles de la Tourette. Le phénomène relèverait davantage d’un problème de santé mentale (stress, anxiété, etc.) qui provoquerait inconsciemment ce phénomène de mimétisme. Des affirmations que d’autres scientifiques ont remises en cause, affirmant que bon nombre d’individus victimes de ce syndrome ne sont pas correctement diagnostiqués. Dans ce cas, l’augmentation du nombre de cas serait en réalité une simple augmentation du dépistage, les jeunes patients et patientes ayant pris conscience de leur trouble grâce aux vidéos qu’ils ont regardées.

Parmi [les patients de l’étude], 66 % souffraient de troubles anxieux, 28 % souffraient de dépression et 60 % ont déclaré avoir été exposés à des vidéos de personnes atteintes de Gilles de la Tourette sur les réseaux sociaux.

Un an plus tard, en octobre 2022, une nouvelle étude mondiale est parue dans le European Journal of Neurology. Les données sont tirées de centres spécialisés basés au Royaume-Uni, en Australie, aux États-Unis, en Allemagne, en France et au Canada. Ils ont étudié 294 patients – principalement des adolescentes et de jeunes adultes – souffrant de tics apparus soudainement. Parmi eux, 66 % souffraient de troubles anxieux, 28 % souffraient de dépression et 60 % ont déclaré avoir été exposés à des vidéos de personnes atteintes de Gilles de la Tourette sur les réseaux sociaux. Cette triple combinaison pandémie, troubles de la santé mentale (dépression, stress, etc.) et exposition aux réseaux sociaux semble donc bel et bien à l’origine de ce phénomène qui perdure encore aujourd’hui. Reste maintenant à voir si la situation va revenir à la normale avec la sortie progressive de l’épidémie. Pour les scientifiques, il est encore trop tôt pour le dire.

À lire aussi

Article rédigé par