Une étude est parvenue à démontrer que des neurones cultivés dans une boîte de Petri ont la capacité d’apprendre et de manifester leur conscience dans un environnement de jeu simulé.
Hercule Poirot – et ses petites cellules grises – aurait sans doute été amusé par cette découverte. À Melbourne, en Australie, l’équipe de Brett Kagan, chercheur en neurosciences pour la société Cortical Labs, a mis en lumière la capacité de neurones élevés en culture cellulaire à jouer à un jeu vidéo. Dans le cadre du projet DishBrain (« cerveau en boîte » en français), quelque 800 000 cellules humaines ont été élevées en boîte de Petri pour former un réseau neuronal biologique.
Passée une période d’apprentissage pendant laquelle les neurones ont créé des connexions entre eux, ils se sont révélés capables de réaliser des activités simples, comme diriger une « raquette » virtuelle dans un jeu basique de type Pong. Ces cellules capables de transmettre une information ont montré qu’elles pouvaient avoir un « comportement intelligent et être douées de sensations », explique l’étude publiée en octobre dans la revue scientifique Neuron.
Des prélèvements sur des cerveaux humains et de souris
L’équipe de Brett Kagan a prélevé des neurones de cerveaux embryonnaires de souris, mais aussi de cellules souches d’humains adultes. Ceux-ci ont ensuite été placés sur des matrices de microélectrodes, capables de détecter leur activité et de les stimuler. Pour se faire une idée, 800 000 neurones, c’est à peu près l’équivalent de ce qu’on peut trouver dans le cerveau d’un bourdon (un cerveau humain compte environ 86 milliards de neurones). « L’aspect magnifique et pionnier de ce travail repose sur le fait de doter les neurones de sensations – la rétroaction – et surtout de la capacité d’agir sur leur monde », explique l’un des auteurs de l’étude, le professeur Karl Friston, neuroscientifique théorique à l’University College de Londres.
Les 800 000 neurones agissant en réseau ont été reliés par les scientifiques à un processeur informatique pour leur permettre d’interagir dans une version encore simplifiée du jeu vidéo qui a vu le jour dans les années 1970. Pour « jouer », un signal était envoyé depuis la droite ou la gauche afin d’indiquer l’emplacement de la balle. Le réseau de neurones répondait à son tour par un signal pour déplacer la raquette dans la direction de la cible.
Un amas de neurones dotés de sensations et d’une capacité d’agir
« Les machines sont incapables d’apprendre très rapidement des choses, explique Brett Kagan. Pour qu’un algorithme de machine learning [l’apprentissage automatique d’une intelligence artificielle, ndlr] apprenne quelque chose, il a besoin de milliers d’échantillons de données. Un chien, lui, peut apprendre un tour en deux ou trois essais. » Les neurones sont en effet à la base de l’intelligence des êtres vivants, qu’il s’agisse d’un humain, d’un animal ou d’un insecte.
Afin que l’amas de neurones apprenne à donner le signal pour se déplacer dans la bonne direction, l’équipe s’est appuyée sur théorie du « principe de l’énergie libre » définie il y a dix ans par Karl Friston. Quand les instructions de déplacement étaient bonnes, et donc que la raquette gérée par les neurones parvenait à frapper la balle, l’information qui leur était envoyée était toujours identique et prévisible pour signifier la réussite. Au contraire, lors d’un échec, le signal envoyé était alors totalement aléatoire et imprévisible. « La seule façon pour les neurones de faire en sorte que leur monde reste contrôlable et prévisible était de mieux réussir à toucher la balle », explique Brett Kagan.
Traitement de maladies, ordinateurs biologiques…
Aussi ludique et anecdotique que peut paraître le système DishBrain, il pourra peut-être un jour aider à trouver des solutions à la démence ou l’épilepsie. Pour l’heure, si on peut parler d’un réseau de neurones « sensibles » – dans le sens où il peut percevoir des informations sensorielles –, on ne peut pas, pour autant, parler de « conscience », car il est impossible de savoir si cet amas de neurone a conscience de sa propre existence.
L’équipe du professeur Brett Kagan espère aussi mettre au point des ordinateurs biologiques. C’est-à-dire une machine dont certains composants, comme les transistors qui composent les puces, seraient composés de molécules organiques (ADN, protéines, etc.) capables d’effectuer des calculs numériques très poussés, encore plus puissants que l’informatique neuromorphique. Avantage supplémentaire : ces machines d’un genre nouveau pourraient utiliser environ 10 000 fois moins d’énergie qu’un ordinateur classique. Particulièrement séduisant pour gagner en sobriété.