Après un premier contact rassurant mais qui invitait à la prudence, nous pouvons l’écrire : God of War: Ragnarök est bien la merveille annoncée.
La semaine dernière, c’est dans la fiole d’un optimisme précautionneux que nous trempions notre plume en vous proposant une première découverte de God of War: Ragnarök. Aujourd’hui, après plus de 35 heures de jeu et maintenant que les crédits de fin ont défilé, la prudence n’est plus de mise. Le nouveau titre de Santa Monica Studio n’a pas à rougir devant la perfection de son aîné : il est meilleur sur absolument tous les aspects.
Critique réalisée sur PlayStation 5 grâce à un code fourni par l’éditeur. God of War: Ragnarök sera disponible le 9 novembre sur PS4 et PS5.
L’odieux de la guerre
Comment diable Santa Monica Studio est-il parvenu à retomber sur ses pattes ? Comment, nous-mêmes, nous apprêtons-nous à louer les qualités d’écriture d’un jeu dont le synopsis n’a pas le moindre sens ? Rappelez-vous : God of War, c’est l’histoire de Kratos, dieu grec de la guerre, qui s’est exilé en Scandinavie après avoir décimé l’intégralité de l’Olympe. Un sanguinaire repenti qui rêve d’une nouvelle vie en compagnie de son épouse et de son fils Atreus. Mais il faut croire que Kratos les attire, les divinités. Aussi, ce sont maintenant les dieux de la mythologie nordique qui s’en prennent à lui.
Ça, c’était pour God of War, le reboot de 2018 dont ce Ragnarök représente la suite directe. Et, comme le suggère le titre : c’est (déjà) la fin du voyage pour nos deux héros. Oui, à contre-courant d’une industrie culturelle qui préfère compter jusqu’à trois, Santa Monica Studio opte pour un diptyque qui lui autorise, nous allons le développer, un rythme absolument volcanique qui ne se dilue jamais.
Dans God of War: Ragnarök, tout va crescendo. Jusqu’à ses derniers instants, le jeu d’action monte en puissance, bande les muscles et resserre sa prise, son emprise même, sur les joueurs que nous sommes ; qui assistons presque impuissants au meilleur jeu de super-héros auquel on a jamais joué.
Car il transpire du jeu de Santa Monica un certain nombre d’influences plus qu’évidentes. Celle de The Last of Us d’abord, qui tisse l’étoffe narrative de l’aventure et apporte une fraîcheur inattendue à une licence que l’on a connue beaucoup trop basse du front. Et celle, plus subtile peut-être, des productions Marvel et de leur action débridée, à la mise en scène épique et aux enjeux déchirants.
L’hiver vient
Le Ragnarök est aux portes des Neuf Royaumes. La fin de tout, que précède Fimbulvetr – le long hiver prophétique que les actions de Kratos et Atreus il y a quatre ans semblent avoir déclenché. C’est donc peu dire qu’Odin et sa clique ne comptent pas en rester là. Sentant le vent tourner, nos héros se préparent au pire. Non par précaution, mais par certitude : le cataclysme approche.
L’ambiance de God of War: Ragnarök est très particulière. Orageuse, inquiétante. Une menace invisible plane sur Midgard, sur Kratos et, surtout, sur Atreus, que sa véritable identité (que nous tairons ici) renforce autant qu’elle le fragilise.
Désormais adolescent, le garçon se cherche et n’hésite plus à remettre en question les préceptes d’un père autoritaire dont l’essentiel du vocabulaire se résume à des borborygmes et des grognements désapprobateurs. Kratos porte son héritage de parangon d’une certaine masculinité toxique en bandoulière, et Santa Monica en joue de la plus belle des manières. Moquée pour son manque de conversation ou sa rigidité, la machine à tuer s’adoucit. S’ouvre, aussi. On n’aurait jamais pensé écrire ça, mais Kratos est un personnage profondément touchant, et toujours incarné avec une insolente perfection par Christopher Judge.
Mais, on le comprend vite, il n’est pas le personnage principal de cette nouvelle aventure. Atreus rêve d’exister au-delà du moule qu’on lui a forgé, de sortir de l’ombre de son père et de suivre son propre chemin. Renforçant la patine mélancolique de l’ensemble, cet arc scénaristique s’entremêle aux enjeux politiques des Royaumes. Et c’est probablement là que Ragnarök tient l’un de ses meilleurs atouts. L’écriture du jeu est tout bonnement divine.
Love & thunder
S’il ne parvient toujours pas vraiment à nous faire croire que le monde est vraiment habité par autre chose que les divinités du panthéon, Ragnarök invite à la table des convives de plus nombreux personnages. On retrouve avec un franc sourire les nains Sindri et Brok, mais notre long voyage sera aussi l’occasion de croiser des figures de la mythologie nordique aussi capitales (Angrboda, Tyr) qu’impressionnantes dans leur représentation. À ce titre, nul besoin de tourner autour du pot : Thor est une réussite totale. Incarné par un Ryan Hurst qu’on prendrait parfois pour Josh Brolin, à la voix aussi tonnante que profonde, le dieu de la foudre crève l’écran à la moindre apparition. D’autant qu’une fois de plus, Santa Monica offre à son personnage un développement aussi inattendu que profondément captivant.
C’est avant tout la modernité de l’écriture que l’on salue ici. En dépit de l’ancrage fantasy du scénario, God of War: Ragnarök parle de foi, de confiance, de paternité, de communauté et d’appartenance. De notre faculté à réprimer nos instincts. À respecter nos promesses aussi, et à ce que l’on en fait vraiment lorsque le destin semble nous imposer une direction. Tout est parfaitement réfléchi, tous les dialogues sont lourds de sens et l’interprétation magistrale du casting enfonce le clou : God of War: Ragnarök est absolument passionnant à suivre et ne souffre d’aucune fausse note qui viendrait nous arracher une grimace. C’est une épopée d’une rare intensité qui nous fait nous agripper à notre siège du premier instant jusqu’à ce que le dernier nom fonde au noir à la fin du générique.
Berserker
À lire toutes ces louanges, nous en sommes conscients, on en viendrait presque à penser que God of War: Ragnarök est moins un jeu vidéo qu’un très long film bien ficelé. Or, les qualités ludiques du titre se font remarquer très tôt et reprennent le flambeau toujours incandescent de son prédécesseur.
Rares sont les jeux qui, comme God of War, nous font à ce point ressentir la puissance des coups que l’on décoche. Kratos est une brute, un berserker inarrêtable dont les hurlements en combat battent la mesure de la sauvagerie des attaques. Reposant toujours sur un ingénieux système « pierre-feuille-ciseau », les combats du jeu demandent en permanence de varier les approches en s’adaptant à l’antagoniste. Certains seront résistants à la glace et demanderont de nous munir des Lames du chaos et de leur pouvoir incendiaire. À l’inverse, les monstres de Muspelheim, le royaume du feu, seront davantage sensibles aux coups gelés et au permafrost déclenché par la hache Leviathan. D’autres encore ne répondront qu’à la force des poings, lesquels font grimper une jauge d’étourdissement qui, une fois pleine, permet de déclencher une mise à mort à la violence débridée.
Il faut encore ajouter à cela la gestion des compétences d’Atreus qui, la plupart du temps, fait sa vie dans son coin, mais que l’on peut mobiliser à l’aide de la touche Carré pour lancer des capacités supplémentaires.
N’y allons pas par quatre chemins : le système de combat de God of War: Ragnarök est aussi grisant que parfaitement vertigineux. Et nous écrivons cela à la fois comme un compliment et un reproche. Pour qui n’aurait pas touché récemment à God of War (2018), les premiers instants pourraient être délicats, voire carrément repoussants. Il y a beaucoup de touches à mémoriser, des combinaisons à apprendre pour déclencher différents coups… et les adversaires ne nous font pas de cadeaux. Même en difficulté normale (le jeu comporte cinq niveaux), il n’est pas rare de se faire dépasser par la foule d’adversaires parce que l’on maîtrise encore mal certaines arcanes du système.
À force d’échecs et, surtout, de réussites, on finit toutefois par s’y faire, et même à prendre goût à la profonde complexité de la particule RPG de God of War: Ragnarök. Chaque arme dispose de son propre arbre de compétence et peut être améliorée grâce à de nouveaux accessoires, des runes et autres enchantements qui ajoutent ou retirent certains effets. Cela vaut également pour les pièces d’armure, qui peuvent cette fois toutes être augmentées jusqu’au niveau 9 si l’on est du genre à passer des heures en quête de matériaux et composants.
Dommage que tout cela se passe depuis un menu assez peu lisible, aux sous-catégories à tiroirs, dans lesquels on se perd régulièrement faute d’y comprendre quelque chose. Au chapitre de l’UI et de l’UX, Santa Monica Studio a encore de nets progrès à faire.
De la suite dans les idées
Qu’attendions-nous vraiment de la suite de God of War ? Il y a quatre ans, le reboot a fait l’effet d’une gigantesque gifle en réinventant totalement une licence culte – que l’on pensait par ailleurs enterrée depuis 2010. Ragnarök n’a jamais eu pour ambition d’innover, mais d’aller plus loin, de développer davantage des idées émergentes. Aussi, ne vous étonnez pas si vous lisez ici ou là que nous n’avons affaire qu’à un « God of War 1.5 ».
C’est vrai, au fond, le jeu se joue exactement comme le précédent. On alterne entre des chapitres-couloirs et des moments où l’on est plus libres de nos mouvements ; invités par Atreus et Mimir à fouiller le moindre recoin pour trouver qui des boss optionnels (bien plus variés qu’en 2018), qui des quêtes secondaires ou des composants rares permettant d’améliorer son arsenal.
Toutefois, nous devons dire notre soulagement en ce qui concerne les paysages du jeu. Contrairement à ce que l’on pouvait croire, Ragnarök ne se contente pas de nous faire reparcourir des environnements déjà visités il y a quatre ans. Certes, on revient occasionnellement sur nos pas, mais Fimbulvetr a de toute façon profondément modifié la topologie des lieux. La redite est donc évitée de justesse. Par ailleurs, God of War: Ragnarök nous permettra cette fois de nous rendre dans les neuf royaumes de la mythologie nordique, contre cinq uniquement dans le précédent titre. Pour l’écrire autrement : pas d’inquiétude, il y a largement matière à être dépaysé.
Puisqu’on en parle, un mot sur la technique. Absolument magnifique sur PlayStation 5, le jeu tient parfaitement ses 60 images par seconde. Le niveau de détail flatte la rétine et permet aux artistes de laisser leur imaginaire s’exprimer dans des représentations absolument ravissantes de lieux emblématiques de la mythologie nordique. Artistiquement, le jeu est une claque qui nous a encore une fois fait abuser du bouton de capture d’écran (un mode Photo sera prochainement disponible).
Enfin, God of War: Ragnarök fait figure de bon élève au chapitre de l’accessibilité. Comme d’habitude sur les productions Sony Interactive Entertainment, on trouve quantité d’options permettant aux personnes malvoyantes d’ajuster les sous-titres, mais aussi un mode d’audiodescription pour ne rien rater de ce qui se joue à l’écran.
Un final explosif et étourdissant
À l’heure du bilan, difficile de prononcer quoi que ce soit d’autre que des dithyrambes à l’objet de God of War: Ragnarök. Chef-d’œuvre de Santa Monica Studio, le jeu représente selon nous l’aboutissement de tout ce que les équipes de Cory Barlog ont mis sur la table en 2018, après l’avoir débarrassé d’anachroniques inepties et dépoussiéré de mécaniques d’un autre âge.
Somptueux et beaucoup plus écrit que son prédécesseur, Ragnarök aligne les séquences choc et les fait rentrer dans le moule d’un gameplay implacable, où chaque duel est un défi duquel on ressort soit transi par la perfection d’un enchaînement, soit interdit devant la force de son adversaire. Rien n’est jamais acquis ; le scénario se faisant le malin plaisir de brouiller les pistes et de jouer sur des ambiguïtés indéchiffrables.
Élaborant comme jamais auparavant les relations entre ses personnages et complexifiant juste ce qu’il faut une patine RPG que d’aucuns jugeaient trop légère sur le précédent opus, la conclusion du chapitre norvégien de Kratos et Atreus coche absolument toutes les cases, sans rature, sans hésitation.
Un indispensable de la console de Sony, et assurément l’un des meilleurs partants pour le titre de jeu de l’année.