Qu’est-ce qui caractérise un bon film d’horreur ? Est-ce la façon dont ses retournements nous font sursauter ou crier ? Est-ce par la perturbation psychologique qu’il peut susciter en nous, parfois pendant des jours ? Ou parce qu’il dépeint les monstres se tapissant en chacun de nous ? Une chose est certaine : tous ces éléments sont réunis dans Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro. Condensé d’épouvante authentique, la série est disponible depuis aujourd’hui sur Netflix.
Un cabinet de curiosités est une pièce ou un meuble dans lequel sont conservés des objets rares, mystérieux et extraordinaires. Témoignages de mondes lointains ou anciens, ces collections, depuis leur apparition à la Renaissance, permettent à l’humanité de mieux comprendre l’univers dans lequel elle vit. Et le cabinet de curiosités de Guillermo del Toro, comme on peut l’imaginer, regorge de terrifiants et sinistres bibelots.
À la manière de Rod Serling dans La Quatrième Dimension, ou du célèbre Gardien des Contes de la crypte, Guillermo del Toro propose, dans une série anthologique s’annonçant déjà culte, de nous ouvrir les portes de son placard aux merveilles. À travers huit fables d’épouvante, chacune réalisée par un ou une de ses pairs, le réalisateur mexicain exprime plus que jamais son amour pour les monstres.
Le Cabinet de curiosités : un cauchemar de longue date
En 2016, Guillermo del Toro confiait dans son ouvrage Dans l’antre avec les monstres : mes muses, reliques et autres fétiches que la fascination qu’il éprouve pour les monstres est « quasiment anthropologique ». Il explique « les étudier, les disséquer dans bon nombre de [ses] films », voulant « savoir leur mode de fonctionnement, de quoi ils sont faits et quels êtres sociaux ils sont ». Le créateur s’y emploie, donc, dans une production aboutie et de qualité dont la naissance aurait presque pu être prédite dès le début de sa carrière.
Car déjà dans les années 1980, il s’essayait au format anthologique avec l’écriture et la réalisation de plusieurs épisodes de La Hora marcada, une série télévisée présentée, elle aussi, comme étant dans la veine de La Quatrième Dimension. Rompu au genre horrifique grâce à Mimic, sorti en 1997, et à L’Échine du Diable en 2001, c’est plus tard, en 2013, qu’il écrit Cabinet de curiosités : mes carnets, collections et autres obsessions. Un livre présageant encore de sa volonté de partager les créations macabres tapies au fond de son esprit.
Quand les maîtres de l’horreur mettent leurs talents en commun
Cette année, le fantasme a enfin été réalisé. Le Cabinet de curiosités retourne aux origines de l’horreur, grâce à une série de contes originaux ou adaptés de classiques du genre. Tout en puisant à sa source, l’équipe de scénaristes, réalisatrices et réalisateurs choisis personnellement par Guillermo del Toro parvient à réinventer et à s’approprier le genre. Le tout dépeint sur un ton résolument gothique qui enchantera les adorateurs d’Edgar Allan Poe et de H.P. Lovecraft.
Les inspirations se croisent, parfois marquées par le Film noir, comme dans L’Autopsie, réalisé par David Prior (The Empty Man, AM1200), d’après une nouvelle de Michael Shea. Dans cet épisode, Carl Winters, (incarné par l’excellent F. Murray Abraham, que l’on a pu voir dans Mythic Quest, Homeland et Amadeus) est un médecin légiste se sachant condamné par un cancer.
Il se rend dans une petite ville du Nord-Est des États-Unis pour examiner les cadavres de mineurs mystérieusement décédés. Flashbacks et ambiance pluvieuse ponctuent l’enquête qu’il mène de front avec le shérif local (joué par Glynn Turman, déjà apparu dans Le Blues de Ma Rainey, Fargo et The Wire).
Dans une esthétique différente, L’Exposition, écrit et réalisé par Panos Cosmatos (créateur de Mandy), est plus influencé par le cinéma de John Carpenter et la série B : musique électronique, décors extravagants, enfermement, anti-héros nihiliste et critique du capitalisme.
L’histoire se déroule en 1979, quand l’énigmatique et richissime Lionel Lassiter (joué par le glaçant Peter Weller, vu dans Le Festin nu, Star Trek Into Darkness, RoboCop, Sons of Anarchy ou encore Dexter) envoie une invitation à quatre personnes, chacune les meilleures de leurs domaines respectifs. Dans sa villa huppée, il compte leur faire vivre une soirée inoubliable en leur dévoilant un objet qu’il a récemment acquis. Mais les choses tournent rapidement à l’effroi.
Des visions différentes, mais toutes qualitatives. Chacun des épisodes est une œuvre d’art à part entière, avec des effets spéciaux extrêmement bien conçus et crédibles (le passé de maquilleur et spécialiste VFX de Guillermo del Toro n’y est sans doute pas pour rien), et une bande sonore en harmonie avec chaque univers. Mention spéciale pour le travail sur la lumière dans Rats de cimetière, de Vincenzo Natali (réalisateur de Dans les hautes herbes, Cube et de certains épisodes de la série Hannibal).
Basé sur une nouvelle de Henry Kuttner, l’épisode relate les aventures d’un gardien de cimetière pilleur de tombes, incarné par un David Hewlett (La Forme de l’eau, Stargate Atlantis, Nightmare Alley) terrifiant et terrifié. Une performance perfectionnée par des jeux de lumière très artistiques oscillants, comme le personnage, entre ombre et lumière.
L’épouvante de notre enfance
Les histoires sont donc imaginées dans des styles et des univers propres à leurs réalisateurs ou réalisatrices, et montrent des façons différentes de mettre en scène le gore et le tragique. Car c’est bien l’élément commun à chacune de ces fables. Boyaux, coups de hache, peau en lambeaux, cadavres en décomposition, cannibalisme… Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro est sanguinolent et les fables qu’il renferme ne finissent jamais bien. Sauf peut-être Murmuration, écrite par Guillermo del Toro lui-même et réalisée par Jennifer Kent (réalisatrice de The Babadook et de The Nightingale).
On retrouve dans cet épisode la star de The Walking Dead, Andrew Lincoln, dans la peau d’un ornithologue. Avec sa femme, Nancy (incarné par Essie Davis), elle aussi spécialiste des oiseaux, il fait face à un deuil difficile. En s’isolant sur une île pour travailler, le couple découvre un drame résonnant avec le leur. Point faible de l’anthologie, l’épisode pèche par un rythme un peu trop lent. Un défaut partagé avec La Prison des apparences, qui relate l’histoire de Stacey, une femme au physique difficile découvrant une crème soi-disant miraculeuse.
Malgré tout, les scénarios restent cohérents. Loin du slasher, du survival ou du found footage, les épisodes du Cabinet de curiosités tentent de retrouver les origines des ténèbres, partent à la recherche des forces du mal qui se cachent dans l’ombre et des mystères les plus répugnants de notre univers.
Dans Lot 36, par exemple, écrit par Guillermo del Toro et réalisé par Guillermo Navarro (ils ont déjà travaillé ensemble pour Cronos, L’Échine du diable, Le Labyrinthe de Pan et Hellboy), Tim Blake Nelson (apparu dans Watchmen et La Ballade de Buster Scruggs) campe avec brio un xénophobe rongé par la colère, découvrant d’étranges objets dans un hangar qu’il a acheté aux enchères.
Cauchemars de passage, réalisé par Catherine Hardwicke (à l’origine de Thirteen, Les Seigneurs de Dogtown et Twilight), est adapté d’une nouvelle de H.P. Lovecraft, La Maison de la sorcière. L’histoire est celle de Walter et Epperley, deux jumeaux séparés lorsque cette dernière meurt d’une maladie, encore enfant. Mais le garçon est prêt à tous les sacrifices pour retrouver sa sœur et la ramener à la vie. On retrouve dans cet épisode Rupert Grint, connu pour son rôle de Ron Weasley dans la franchise Harry Potter, et Ismael Cruz Cordova, récemment vu dans la série Le Seigneur des Anneaux : les anneaux de pouvoir.
Enfin, Le Modèle, le conte le plus réussi des huit, est lui aussi adapté d’une nouvelle de H.P. Lovecraft – l’une des plus grosses influences de Guillermo del Toro de son propre aveu, et définitivement le pilier de la production toute entière. Réalisé par Keith Thomas (Firestarter, The Vigil), l’épisode raconte comment les tableaux de Richard Pickman, un artiste incarné par un inquiétant Crispin Glover (acteur de Retour vers le futur, Alice au Pays des merveilles ou encore American Gods), provoquent chez ceux qui les admirent quelques changements… irrémédiables.
Au final, chacune de ces histoires plaque une vérité sans échappatoire : les choses sont ainsi, et les destins des quelques malheureux présents au mauvais endroit, au mauvais moment, n’y changeront rien. En jouant sur les phobies et les péchés de gens ordinaires, les réalisateurs de cette extraordinaire anthologie réussissent à changer notre perception de l’univers qui nous entoure.
À la veille d’Halloween, ils et elles parviennent à nous faire retrouver notre âme d’enfant à travers des thèmes et des idées pourtant sombres – surnaturel, spiritisme, occultisme, créatures venues d’un autre monde… Tout en nous faisant retrouver une joie similaire à celle de la lecture d’un tome de Chair de poule, ils nous rappellent que les monstres sont présents, depuis toujours, en chacun de nous.