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Les “digital nomads” : travailler partout, vivre nulle part ?

28 août 2022
Par Marion Piasecki
Les “digital nomads” : travailler partout, vivre nulle part ?
©Matt A. Claiborne/Shutterstock

La pandémie de Covid-19 a permis le développement du télétravail et, par conséquent, d’un nouveau type de travailleurs qui concilient emploi et voyages : les nomades numériques.

Vous les voyez peut-être sur vos fils LinkedIn ou Instagram, publiant des textes inspirants sur le marketing entre deux vlogs filmés depuis les paysages paradisiaques de Bali. Les digital nomads, ou nomades numériques, ont décidé de profiter de l’essor du télétravail pour gagner leur vie tout en voyageant. Un mode de vie à l’apparence idyllique, mais qui n’est pas dénué de défauts, aussi bien pour ces travailleurs que pour les populations locales de leurs différentes destinations.

Qui sont les digital nomads ?

Aujourd’hui, le nombre de nomades numériques dans le monde est estimé à 35 millions, dont un tiers viendrait des États-Unis. Difficile d’avoir des statistiques précises, parce que ces personnes sont éparpillées et n’utilisent pas forcément de plateformes spécialisées. Selon plusieurs études, le nomade numérique moyen est un homme blanc trentenaire qui travaille dans l’informatique, le marketing ou en tant qu’entrepreneur, dont le salaire annuel moyen dépasse les 50 000 dollars et peut même s’approcher des 100 000 dollars.

Charlotte Legrand, autrice du livre Digital nomad, travailler libre, a la particularité d’être une nomade hybride : « Je suis freelance [à distance] sur la création de contenu numérique et, d’un autre côté, je suis professeure de yoga. Ça me permet de rencontrer des personnes sur place qui n’ont rien à voir avec le digital nomadisme. »

Liberté, pouvoir d’achat… et solitude

Ce qui motive avant tout ces nomades numériques, c’est la liberté de vivre et travailler où ils le souhaitent. « Je me suis rendu compte que c’était un mode de vie qui me convenait plutôt bien parce que j’aimais bien voyager et faire beaucoup de sport, tout en travaillant là où je voulais dans un cadre qui correspondait plus à mes valeurs et mes attentes », explique Charlotte Legrand.

« On a l’impression que l’on passe beaucoup de jours à voyager, profiter, rencontrer du monde et faire la fête, mais ce c’est pas du tout une réalité. On passe quand même beaucoup de temps seul. »

Charlotte Legrand

Si elle a majoritairement voyagé en France, d’autres se dirigent vers l’Europe de l’Est, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud pour des raisons de pouvoir d’achat. Il n’est pas rare de voir ces nomades numériques se vanter de vivre comme des rois et d’avoir une maison pour un loyer considéré comme insignifiant en Occident. L’Américaine Kristen Gray avait créé une polémique sur les réseaux sociaux en 2021 en encourageant ses abonnés à acheter son livre sur le nomadisme numérique et à s’installer, comme elle, à Bali parce que la vie y est moins chère. Un coup de com’ jugé irresponsable à un point critique de la pandémie de Covid-19.

Cependant, même pour les digital nomads eux-mêmes, la vie n’est pas si parfaite que cela. Ne restant que quelques semaines ou quelques mois dans chaque destination, dont ils ne parlent pas forcément la langue, il est difficile de créer des liens et la solitude peut être dure à supporter. Charlotte Legrand en a fait l’expérience : « On a l’impression que l’on passe beaucoup de jours à voyager, profiter, rencontrer du monde et faire la fête, mais ce c’est pas du tout une réalité. On passe quand même beaucoup de temps seul. » Face à cette solitude, des plateformes spécialisées comme Nomadlist existent pour favoriser l’entraide et les rencontres entre nomades numériques… au risque de créer un entre-soi.

Un nomadisme numérique éthique est-il possible ?

Le cliché du digital nomad peut paraître assez horripilant : enchaînant des voyages long-courrier toute l’année, d’un espace de coworking branché à un autre, pour se vanter d’un train de vie luxueux sur Instagram tout en ignorant la population locale des pays où il se rend. Ils attirent donc les critiques : surconsommation, pollution et gentrification – voire néocolonisation – de pays plus pauvres. Mais cette version inconséquente du nomadisme numérique est-elle vraiment la seule possible ?

« Quand on est un nomade, on va dans des pays qui ne sont pas les nôtres. Il faut s’adapter à la culture locale, à la façon de voir les choses, à la logique locale, aux valeurs du pays, et essayer de les comprendre au lieu de s’imposer. C’est une priorité. »

Charlotte Legrand

D’après Charlotte Legrand, côté écologie, il y a deux écoles : ceux qui s’en préoccupent, qui vont privilégier des destinations plus proches et des séjours plus longs dans un même pays pour limiter le nombre de trajets en avion, et ceux qui ont d’autres priorités. « J’y pense fortement et j’essaie de ne pas voyager, de ne pas faire trop de longs courriers sur une année pour limiter mon empreinte carbone, mais personne n’est parfait. Je tend à un mode d’alimentation qui soit plus respectueux de l’environnement, mais, quand on prend l’avion, une partie de ces efforts-là va à la poubelle. »

Pour être un nomade numérique éthique, elle insiste surtout sur l’importance de respecter la population locale : « Je pense qu’il y a une grande notion de respect. Quand on est un nomade, on va dans des pays qui ne sont pas les nôtres. Il faut s’adapter à la culture locale, à la façon de voir les choses, à la logique locale, aux valeurs du pays, et essayer de les comprendre au lieu de s’imposer. C’est une priorité. »

Ces dernières années, plusieurs pays ont décelé cette tendance et veulent dissiper le flou administratif autour du nomadisme numérique en créant des visas spéciaux. Visas dont les critères montrent bien quels types de travailleurs sont recherchés en priorité. La Thaïlande veut par exemple créer un visa spécifique d’une durée de dix ans pour les personnes qui gagnent plus de 80 000 dollars par an. Des travailleurs riches qui peuvent compenser les pertes touristiques importantes dues à la crise sanitaire, mais qui ne passent pas en coup de vent dans le pays comme des touristes. Ces visas avantageux seront-ils suffisants pour inciter les nomades numériques à se sédentariser ?

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste
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