A l’occasion de la sortie du coffret John Hughes, revenons sur la carrière d’un des plus influents scénaristes/réalisateurs américains de l’histoire. Considéré comme le véritable créateur du « teen movie », John Hughes a établi des codes toujours suivis 40 ans plus tard dans les films et séries ado. Auteur culte, il a aussi bercé quantité d’enfants avec des films pour la jeunesse devenus références de la pop culture.
Aux Etats-Unis, les films et séries « ado » n’ont jamais été considérés comme des œuvres inférieures à des genres « nobles » comme le drama. Peut-être parce que les Américains considèrent qu’un film ou série ado est une œuvre avec adolescents et non juste pour adolescents, accessibles à tout le monde. La reconnaissance de ce genre culturel à part entière repose entre les mains d’un seul homme : John Hughes.
John Hughes le gagman
Né en 1950, John Hughes admire dès l’enfance les artistes les plus innovants : « Mes héros étaient Dylan, John Lennon et Picasso, parce qu’ils ont chacun poussé leur art dans de nouvelles directions » dira-t-il dans une interview en 1986. Son art n’est pourtant pas à l’origine les œuvres adolescentes ou pour la jeunesse, mais l’humour. Gagnant d’abord sa vie en vendant des blagues à des humoristes, son travail est remarqué par le célèbre magazine humoristique National Lampoon. La drôlerie délirante de ses blagues, histoires et nouvelles s’insère tout à fait dans le ton survolté du magazine. Contributeur acclamé, John Hughes profite de la popularité croissante de National Lampoon qui cherche à conquérir de nouveaux médias.
Le jeune homme timide se révèle un fin observateur des fraternités étudiantes, et scénarisera d’abord une série (Delta House) puis deux des films de la franchise National Lampoon sur le sujet : Class Reunion (1982) et Bonjour les vacances… (1983). Ce dernier film réalisé par Harold Ramis – futur réalisateur de Un jour sans fin – est considéré comme l’une des meilleures comédies américaines jamais produites et donnera naissance à quatre sequels (dont deux écrits par Hughes). Ces films, certes influencés par les comédies les plus vertes des 70’s, ouvriront la voie aux comédies adolescentes trash qui ont fait le bonheur du public : Projet X, Supergrave, American Pie…
Seize bougies pour Sam (et Molly Ringwald)
Mais si John Hughes apprécie son travail sur National Lampoon, la vision déjantée de l’expérience adolescente donnée par le magazine ne correspond pas tout à fait à la sienne. Le désir de réaliser un film plus réaliste se fait jour dans son esprit. Dans une interview de 1999, Hughes déclara : « Ma génération a accaparé tellement d’attention, et il y avait ces adolescents en pleine crise d’identité, on ne les voyait nulle part »
Tout bascule en 1984 lorsqu’il rencontre l’actrice Molly Ringwald, âgée de 16 ans. Emporté par son charme et son talent, Hughes écrit pour elle en un week-end le scénario de Seize bougies pour Sam (Sixteen Candles). Moins délirant que ses précédentes comédies, Hughes choisit de mettre en scène l’angst adolescent, et le mélange avec la romance (une de ses obsessions depuis sa découverte de Docteur Jivago réalisé par David Lean). Par sa volonté de coller au plus près aux interactions adolescentes, le premier film du John Hughes réalisateur annonce une révolution dans leur représentation à l’écran. Hughes a également l’audace de filmer un teen movie d’un point de vue féminin, une rareté à l’époque. Le succès de Seize bougies pour Sam consacre John Hughes comme le chef de file du genre ado, et fait de Molly Ringwald l’icône de la jeunesse 80’s mais aussi la muse du cinéaste.
John Hughes réunit le Breakfast Club
L’année suivante, John Hughes réalise son 2e film, Breakfast Club, toujours considéré comme l’un des plus grands fleurons du genre ado. Avec une habileté magistrale, Hughes crée artificiellement 5 stéréotypes young adult (le délinquant, l’athlète, la princesse, le surdoué, la détraquée) pour mieux les détruire et exprimer toute la complexité des adolescents. L’histoire d’une jeunesse se révoltant contre leurs aînés, mais individuellement plutôt qu’en groupe, porte la marque du réalisateur, conservateur convaincu mais à l’écoute des jeunes. Film culte, Breakfast Club demeure moderne aujourd’hui à l’heure où plusieurs de ses héritiers commettent encore l’erreur de s’arrêter aux stéréotypes, manquant complètement l’ironie de Hughes. Les films et séries ado les plus réussies exploreront à l’inverse la nouvelle voie du réalisateur.
Mais si Breakfast Club est un succès phénoménal, il le doit aussi à ses acteurs – dont Molly Ringwald qui rempile après Seize bougies pour Sam – propulsés au rang d’idoles de toute une génération. Le cercle de ces acteurs demeure connu sous le nom de « Brat Pack » (en référence au Rat Pack, constitué des amis de Frank Sinatra).
John Hughes au sommet : La folle journée de Ferris Bueller et Rose Bonbon
Avec Une créature de rêve, Hughes renoue quelque peu avec le style des National Lampoon avec un égal succès. Cette comédie plus gratuitement dingue sur deux geeks perdant contrôle de leur création, une sublime femme-robot, est un triomphe et sera adaptée en série (Code Lisa). Mais c’est avec La folle journée de Ferris Bueller (mené par un Matthew Broderick déchaîné) qu’il signe un nouveau classique instantané. Prenant place pendant une seule journée, l’odyssée de trois adolescents faisant l’école buissonnière achève de placer Hughes en porte-étendard des jeunes par son ton exaltant, libre, et feel-good.
John Hughes ne se montre pas seulement à l’aise avec des idées originales, il sait aussi revisiter avec talent des tropes anciens. Sa version de l’histoire d’amour garçon riche/fille pauvre dans Rose bonbon (réalisé par son complice Howard Deutch) séduit critiques et public par sa fine observation des jeux de pouvoir sociaux. Autant qu’une histoire plus maligne qu’en apparence, la BO du film est particulièrement applaudie, tout comme la prestation d’une Molly Ringwald plus que jamais muse. Hughes est au zénith, pourtant son étoile commence déjà à pâlir.
Maman j’ai raté l’avion et autres films pour la jeunesse
Bien qu’adorant travailler avec John Hughes, Molly Ringwald craint d’être enfermée dans le même type de rôle et ne souhaite pas continuer de travailler avec lui, refusant même de jouer dans son prochain scénario L’Amour à l’envers. Hughes prend très mal ce qu’il considère comme une trahison et rompt tout lien avec elle, mais aussi avec le reste du Brat Pack quand ces derniers partagent le sentiment de leur amie. Jusqu’à sa mort, Hughes refusera de leur parler.
Sans sa muse, John Hughes n’a plus l’envie de continuer dans la veine qui a fait sa gloire. Ses films suivants sont toujours des succès, mais il ne retrouve plus l’aura de ses films ado. S’ensuit une période de doutes qui durera jusqu’en 1990, lorsqu’il scénarise Maman, j’ai raté l’avion ! (réalisé par Chris Columbus).
Avec cette histoire d’un enfant triomphant de cambrioleurs grâce à ses inventions bariolées, Hughes produit l’un des plus célèbres films de Noël, toujours acclamé aujourd’hui. 2 des 3 sequels de Maman, j’ai raté l’avion ! seront écrits par Hughes. Personnages lumineux ou bouffons, feel-good total, ton familial marqué et légère touche de délire : John Hughes a trouvé une nouvelle formule miracle. Il va la réutiliser dans les sequels du film mais aussi dans Denis la Malice. Avec le même esprit, il lance la franchise Beethoven en co-écrivant le 1er film. S’il ne convainc pas les critiques cette fois, le public lui réserve bon accueil et fait de ce film dog-friendly un autre incontournable des films pour la jeunesse. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il est engagé par Disney pour scénariser le remake des 101 Dalmatiens, triomphe absolu du box-office 1996.
Malheureusement, l’acteur John Candy, grand ami de Hughes et figure récurrente dans ses films, meurt en 1994. L’événement porte un coup fatal à John Hughes et sa créativité. Il s’ostracise toujours plus et n’écrit plus que quelques films peu inspirés (dont Les Visiteurs en Amérique !). Avec Coup de foudre à Manhattan en 2002, il montre pourtant qu’il maîtrise toujours les codes de la comédie romantique, tout en offrant à Jennifer Lopez son plus grand rôle. Ce sera toutefois son dernier coup d’éclat. A l’orée des années 2000, John Hughes se réfugie dans un quasi silence, jusqu’à sa mort en 2009. En apprenant la nouvelle, Dan Harmon dédie le pilote de sa toute nouvelle série Community au cinéaste. On peut maintenant goûter à certains de ses meilleurs films grâce à un nouveau coffret John Hughes.
« Beaucoup de réalisateurs représentent les adolescents comme immoraux et idiots, aux buts sans intérêt. Mais ce n’est pas le cas. J’écoute les jeunes. Je les respecte. Certains d’entre eux sont au moins aussi brillants que les adultes que j’ai rencontrés. » (John Hughes, 1985)