Des centaines d’ouvrages qui dessinent cette année la rentrée littéraire, plusieurs abordent, sous différentes formes et différents angles, la violence faite aux femmes. Autobiographie, récit, autofiction, point de vue féminin ou masculin : il est intéressant de comparer les traitements d’un sujet aussi délicat et malheureusement terriblement d’actualité. Voici notre sélection.
Quand la réalité dépasse la fiction
C’est sous la forme d’une autobiographie que s’ouvre cette sélection, avec Chienne de Marie-Pierre Lafontaine. Initialement publié l’an dernier au Canada, le livre sort cette année chez Le Nouvel Attila. L’autrice raconte avec une effroyable précision une enfance piétinée par les sévices d’un père abusif et d’une mère complice. Ce récit fragmenté est glaçant.
À trop aimer, on s’oublie soi-même ; à trop aimer, on accepte tout ; à trop aimer, on en oublierait presque d’exister, pour laisser à l’autre toute la place, toute la lumière, toute l’attention qu’il requiert. À trop aimer est le titre du premier roman d’Alissa Wenz, un roman qui nous emmène dans une spirale amoureuse où de deux amants, l’une devient victime et l’autre bourreau. Une histoire d’emprise amoureuse tirée de l’intime.
C’est aussi son parcours personnel qui a façonné le récit de Les Grandes poupées de Céline Debayle. Une histoire plus ancienne, puisqu’elle se déroule en 1953 dans le sud de la France. En cette période trouble, les personnages féminins cohabitent le temps d’un été, et malgré leur absence, les hommes pèsent à chaque instant sur les peurs, les rêves et les désirs.
Au mois d’octobre nous voyons la parution de La laveuse de mort, traduction du premier roman de Sara Omar, une Kurde émigrée, enfant au Danemark. Sous les traits d’un personnage qui lui ressemble, elle expose et dénonce la violence systémique dont sont victimes les femmes, opprimées de leur naissance à leur mort dans les communautés religieuses conservatrices, sous couvert d’honneur familial. Ce premier roman a déjà provoqué un fort retentissement au Danemark.
Une mémoire de la violence
À suivre en octobre, la sortie en français du roman Ma sombre Vanessa de Kate Elizabeth Russell. La violence est cette fois souvenir, une violence dont la narratrice n’avait jamais eu conscience. Pour elle, son grand amour de jeunesse, ce professeur qui l’adorait, a forgé celle qu’elle est devenue. Que faire quand, a posteriori, une jeune femme prend contact parce qu’elle porte plainte pour des faits graves contre cet homme ? Reconstruire ou déconstruire le passé ? Souiller ses souvenirs ou se souvenir vraiment ? Un sujet complexe et passionnant que celui de la mémoire du traumatisme.
La mémoire traumatique apparaît aussi en fil conducteur dans Les Orageuses, un roman signé Marcia Burnier. Il y est cette fois question de solidarité féminine, de coopération et de justice, d’une réappropriation de soi suite à des violences sexuelles. Loin de tout voyeurisme, l’autrice espère que les victimes de violence sexuelle pourront se reconnaître dans ce livre sans se sentir heurtées.
Sous le joug familial
Prix Goncourt des Lycéens 2020 : « Patience, patience… » Un mot répété maintes fois aux trois épouses d’un mari polygame qu’elles n’ont pas choisi. Cette histoire qui se déroule au Cameroun décrit la situation de violence envers ces femmes qui n’ont pas décidé de leur sort et qui ne peuvent en modifier la trajectoire. Ces femmes, Les Impatientes, prennent vie sous la plume de Djaïli Amadou Amal.
Direction les États-Unis avec Ma Vie de cafard, de Joyce Carol Oates. Celle qui porte un regard bien sombre sur la violence de la société américaine nous raconte le parcours de vie d’une jeune fille, ostracisée après avoir dénoncé ses frères à la justice. Parce que dans une société où l’homme prévaut, domine, façonne les vies des femmes de la famille, une telle action est tout bonnement impardonnable.
Le joug familial, le poids des traditions et la manipulation de chaque instant sont le lot de Sixtine, personnage principal du premier roman de Maylis Adhemar, Bénie soit Sixtine. C’est dans la vie de famille, loin du bonheur lisse qui semblait pourtant possible, et plus largement dans le cadre d’un catholicisme radical que se révèlent les rouages d’un piège mental pervers, dont sortir ne sera pas une mince affaire.
La parole masculine
Les hommes aussi prennent la parole sur le sujet. Dans Sept gingembres, Christophe Perruchas choisit le thème de la violence faite aux femmes avec un narrateur masculin, un homme au départ bien établi, « un peu lourd » comme il le reconnaît, mais bon père de famille, bon ami. Le croit-il ? Lorsque déferle la vague #metoo le personnage est rattrapé et forcé d’admettre que son comportement va bien, bien au-delà de la lourdeur. Un angle de vue dérangeant sur le sujet.
Nicolas Rodier signe quant à lui un premier roman intitulé Sale bourge, dans lequel Pierre, le personnage principal, écope d’une peine de prison avec sursis suite à des violences conjugales. Il va se remémorer son enfance, dans une famille aisée et dysfonctionnelle, et c’est une véritable généalogie de la violence qui va s’écrire au fil des pages. Sans rien excuser, mieux comprendre comment des schémas destructeurs se transmettent de génération en génération.
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Aller + loin : Retour en enfance pour la rentrée littéraire