Si l’épidémie signifie au sens étymologique, « ce qui circule dans le peuple », la littérature qui s’en inspire en est une allégorie : individuelle ou collective, elle introduit le danger dans la société et oblige à survivre, mais aussi à vivre mieux ensemble, en dénonçant les fléaux qui menacent l’humanité.
« Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. »
« Les Animaux malades de la peste », Fables de La Fontaine, 1678.
1. Œdipe roi (Ve siècle avant J.-C.) – Sophocle
Avec la peste de Thèbes comme point d’ancrage, qui ravagea la cité antique au Ve siècle avant notre ère, Sophocle déploie le théâtre d’une des plus puissantes tragédies : Œdipe Roi. L’oracle de Delphes l’avait prédit : Œdipe doit tuer son père et épouser sa mère. Elle est aussi la métaphore d’une violence qui contamine et incendie les êtres.
« De tous les maux, les plus douloureux sont ceux que l’on s’est infligés à soi-même. »
2. La peste écarlate (1912) – Jack London
Si La Fontaine utilisait le truchement des animaux, Jack London emploie dans La peste écarlate l’anticipation et la science-fiction pour illustrer son propos. En 2073, un professeur erre dans les ruines de San Francisco, vivant de chasse et de pêche avec ses petits-enfants. Il se souvient d’un temps perdu : celui de la civilisation. Ramené à l’état de nature, la société n’a plus de passé ni de culture.
« Le travail de l’homme est éphémère et s’évanouit comme l’écume de la mer. »
3. La Peste (1947) – Albert Camus
En 1940, la ville d’Oran est frappée d’un mal encore indicible. Pourtant, très vite, le doute n’a plus sa place, la peste bubonique a envahi ses rues et décime sa population. Chronique funeste d’une ville condamnée, Albert Camus dénonce aussi une Europe damnée par un mal qui ronge ses entrailles : le nazisme qui s’y répand aussi vite que la mort.
« Ils éprouvaient ainsi la souffrance profonde de tous les prisonniers et de tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien. Ce passé même auquel ils réfléchissaient sans cesse n’avait que le goût du regret. »
4. Le hussard sur le toit (1951) – Jean Giono
Dans Le hussard sur le toit, c’est le choléra qui anéantit la Provence en 1832, tandis Angelo Pardi traverse le pays pour fuir son Italie natale, par peur des représailles après avoir remporté un duel fatal. Hussard sans reproches, il soigne les malades sans crainte de la maladie. Accusé de répandre tous les maux et notamment la contagion, il finira sur un toit, contemplant le chaos d’une ville à l’agonie, figure de bouc émissaire protégé par la pureté de son âme.
« L’homme est aussi un microbe têtu. »
5. Les Pestiférés (1977) – Marcel Pagnol par Serge Scotto et Eric Stoffel
Une nouvelle inachevée, publiée après la mort du grand romancier provençal, que l’on peut retrouver dans le recueil Le Temps des amours, et bientôt disponible en BD. Marcel Pagnol y décrit avec délectation l’épisode de peste qui étreint les rues de Marseille en 1720. Mais c’est pour mieux nous conter la vie d’un quartier qui décide de se confiner pour lutter contre la propagation. L’occasion de suivre la vie de cette communauté où l’absurde côtoie le burlesque, dans cette manière décalée et irrésistible de traiter le sujet.
« Quand il en meurt beaucoup, on dit que c’est la peste, et ceux qui restent meurent de peur. »
6. Le fléau (1978) – Stephen King
Ce qui au départ était pris pour une simple grippe se révélera en fait être un dangereux virus mortel au taux de contagion affolant. Si vous aimez vous faire peur, Le fléau est le livre idéal en ces temps troublés. Le virus issu d’un laboratoire américain se répand, quand dans le même temps apparaît la menace d’un « homme sans visage » qui souhaite imposer la haine et la cruauté à toute l’humanité. Une version apocalyptique du thème épidémique dans ce thriller addictif, signé par le maître du genre. À condition d’avoir les nerfs bien accrochés…
« C’est la loi de la jungle, mon vieux, si tu veux jouer les Tarzans, vaut mieux savoir grimper aux arbres. »
7. L’Amour aux temps du choléra (1985) – Gabriel García Márquez
Avec pour toile de fond l’épidémie de choléra qui sévit aux Caraïbes en cette fin XIXe siècle, c’est le cœur de Florentino qui se consume pour la belle Fermina dans cette incandescente allégorie de la passion amoureuse. Un amour impossible qui le brûlera de l’intérieur autant que le choléra vous incendie les tripes. Une vision morbide du désir inassouvi, étincelante et salvatrice, car l’amour triomphe toujours, même de la maladie qui vous ronge.
« Il devait lui apprendre à considérer l’amour comme un état de grâce qui n’était pas un moyen mais une fin en soi. »
8. Angels in America (1991) – Tony Kushner
Il en fallut du temps pour que cette maladie soit reconnue comme une épidémie sérieuse. Se répandant au départ dans les milieux homosexuels, la part sociale et intime qu’elle impliquait lui refusa longtemps les honneurs de la peur. Le SIDA, mal honteux et terrible, dont la propagation nous est retracée dans cette pièce de théâtre fleuve, de plus de sept heures de représentation dans son intégralité, à travers une galerie de personnages new-yorkais. Tous souffrent, luttent, mais aiment, malgré les impasses, les menaces et la mort qui veille. Un texte témoin des années 80, en forme de désillusion du rêve américain, qui a été mis en scène à la Comédie française du 18 janvier au 27 mars 2020, dans une version écourtée de trois heures.
« Il se peut que nous soyons tous des drogués de la vie. Alors, bénissez-moi. Même malade. Je veux vivre. »
9. La quarantaine (1995) – J.M.G. Le Clézio
Alors qu’en 1891, Léon et son frère Jacques voguent vers l’île Maurice, leur bateau s’arrêtent sur l’île de Plate car deux passagers souffrent des symptômes de la variole. Une quarantaine leur sera imposée pour une durée indéterminée. L’occasion d’une rencontre avec un monde inconnu, dans une nature florissante, d’un questionnement de ses valeurs, et de l’exaltation des sentiments. La quarantaine est un texte d’une poésie rugissante, au-delà de l’enfermement.
« C’est comme si tout était en moi, et qu’enfin je l’avais retrouvé. »
10. L’aveuglement (1995) – José Saramago
L’aveuglement, c’est d’abord au son sens propre que doit être considéré ce chef-d’œuvre du Prix Nobel de littérature. Une perte de la vue qui se transmet au point d’isoler ceux qui en souffrent. Sans repères, ils doivent apprendre à survivre dans un monde sans lumière. Seule une femme semble indemne et représente l’espoir de sauver l’humanité des ténèbres. Un texte fascinant autant que déroutant.
« Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles, Des aveugles qui voient, Des aveugles qui, voyant, ne voient pas. »
L’aveuglement dans son sens figuré, est certainement un des pires fléaux qui aient menacés les sociétés. Face à la pandémie, la lucidité est nécessaire. Rappelons-nous cette phrase d’Albert Camus dans La Peste : « Beaucoup cependant espéraient toujours que l’épidémie allait s’arrêter et qu’ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence, ils ne se sentaient encore obligés à rien. »
La littérature nous apprend à vivre et à surmonter les épreuves, en nous appelant à ne pas oublier nos erreurs et à prendre nos responsabilités. Le roman épidémique traverse son histoire, comme la maladie celle de l’humanité. Cette « contagion des imaginaires », ainsi que la nomme joliment la chercheuse en littérature Aurélie Palud, est aussi l’occasion de tirer des leçons, de prendre soin de soi et des autres, rester chez soi et se retrouver, avec des livres naturellement.
« Un jour viendra où les hommes, moins occupés des besoins de leur vie matérielle, réapprendront à lire. »
Jack London, La Peste écarlate
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