Un chef-d’œuvre, et puis plus rien. Comme si l’angoisse de la page blanche et le succès initial, trop lourds à porter, n’avaient jamais pu être surmontés. Ces auteurs ont fait trois petits tours (mais brillants, les tours !) et ont quitté la scène littéraire.
Jeunesse avant tout
Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, pleins d’énergie créatrice et bourrés d’hormones littéraires. Hélas, la vieillesse est un naufrage, et leur talent s’est tari avec les années.
En 1951, J.D Salinger a 32 ans, et publie l’une des œuvres les plus célèbres du XXème siècle, L’attrape-cœurs, dont l’intrigue est nourrie de ses « expériences College ». Holden, un garçon de Prep’ school, erre trois jours dans les rues de New York, fait la connaissance de prostituées et décrocheurs et découvre l’ivresse, la solitude, la sexualité, la difficulté à devenir adulte alors que l’on rêve de rester adolescent. Chaque année, 250 000 copies de L’attrape-cœurs s’écoulent. Un succès qui n’a pas réussi à J.D Salinger : à l’exception de quelques nouvelles, l’auteur s’est muré dans le silence, incapable de supporter une célébrité pesante.
À côté de L’attrape-cœurs se tient un autre roman majeur de la littérature contemporaine : Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, d’Harper Lee, publié en 1960. À la fois roman autobiographique, roman d’apprentissage et roman policier, il présente la particularité, en France, d’avoir été publié sous trois titres différents : Quand meurt le rossignol ; Alouette, je te plumerai ; Ne tirez-pas sur l’oiseau moqueur. À la fin des années trente, la narratrice Scout, une petite fille, voit son père avocat prendre la défense d’un homme noir accusé de viol dans l’Amérique ségrégationniste. Face à l’énorme succès de son roman, Harper Lee a adopté la même posture que J.D Salinger : la discrétion et le repli… Jusqu’à ce que paraisse en 2015, un an avant sa mort, une suite qui écorne sérieusement l’image d’Atticus Finch, le père de la narratrice, Va et poste une sentinelle. Roman publié sans l’accord de l’auteur ? Beaucoup ont vu dans ce « manuscrit retrouvé » une opération commerciale allant à l’encontre des volontés d’une vieille dame 90 ans… Qui depuis s’est éteinte paisiblement dans sa ville natale d’Alabama.
On peut également citer dans cette catégorie Alain Fournier qui, à 26 ans, publie en 1913 Le Grand Meaulnes, roman d’apprentissage qui relate l’amitié entre deux écoliers, François et Augustin. Grand classique français, qu’on aime faire lire aux adolescents, Le Grand Meaulnes n’aura pas de suite et pour cause, son auteur, Alain Fournier, est tué au combat au début de la Première Guerre mondiale.
Ces amours destructrices
La passion amoureuse détruit tout sur son passage, y compris le talent littéraire de ces écrivains !
Officier militaire à la veille de la Révolution française, Pierre Choderlos de Laclos passe ses moments de loisirs à écrire, notamment des articles ou de courts essais. La rédaction des Liaisons dangereuses enflamme le romancier qui sommeillait en lui. Il a lu La Nouvelle-Héloïse de Jean-Jacques Rousseau et en propose une réécriture féroce. En 1782, Les Liaisons dangereuses paraissent et 2 000 exemplaires se vendent en un mois. Et après ? Après, la Révolution ! Tantôt royaliste, tantôt républicain, tantôt bonapartiste, la politique remplace la littérature dans son cœur. On lui connait quelques essais sur la guerre et l’éducation, mais plus aucune œuvre romanesque. Ciao, Pierre !
Outre-Manche, la famille la plus littéraire d’Angleterre est en ébulition. En 1847, la publication de Jane Eyre par Charlotte Brontë éclipse le roman remarquable de sa cadette, Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent. Si les aventures de Mr Rochester et la gouvernante passionnent immédiatemment le public anglais, la profondeur tragique et l’inspiration romantique allemande des Hauts de Hurlevent ont été appréciés plus tardivement. Les amours impossibles entre Heathcliff et Catherine resteront orphelines : Emily Brontë meurt à trente ans de la tuberculose que son frère lui a transmise.
Aussi cruelle que la passion qui unit Catherine à Heathcliff, celle de Scarlett et Reth a également été la seule et l’unique racontée par son auteur, Margaret Mitchell. Celle qui se fait appeler Peggy, née dans une famille sudiste, a été surtout une grande contributrice à l’Atlanta Journal dans les années 1920. Une cheville cassée : voilà ce à quoi tient Autant en emporte le vent, écrit alors que Margaret Mitchell était cloîtrée chez elle. C’est le début de dix années d’écriture qui s’achèveront en une adaptation mythique du roman par Ian Flemming. On a découvert, à titre posthume, un roman de jeunesse, Last Laysen, mais il n’a encore jamais été publié.
Sa vie pour un roman
Parfois, vie et œuvre se confondent et il est difficile de les dissocier. On ira bien sûr voir du côté de chez Swann avec Marcel Proust, et son immense Recherche du temps perdu. 4 215 pages pour dire sa vie, est-ce finalement tant que ça ? La Recherche se finira sans lui : les trois derniers tomes ont été publiés après sa mort. La cause : l’épuisement dû à toutes ces heures d’écriture…
Autre livre qui condense à lui seul l’expérience d’une vie, L’espèce humaine de Robert Antelme. Arrêté le 1er juin 1944 par l’armée nazie et envoyé dans un camp de concentration, il narre, jour après jour, sa vie à Buchenwald, analyse la déshumanisation des prisonniers et livre une réflexion profonde sur l’idéologie concentrationnaire. L’espèce humaine restera l’unique roman de Robert Antelme.
John Kennedy Toole est également indissociable de son roman La Conjuration des imbéciles, best-seller qui aura même éclipsé le nom de l’auteur, pour qui la célébrité était le but ultime. Désespéré de ne pas trouver le succès littéraire, il se suicide à 31 ans. Dix ans après, une maison d’édition accepte le manuscrit et, ironie du sort, La Conjuration des imbéciles devient l’un des romans les plus vendus au monde, parangon de la « littérature du Sud » et du roman humoristique moderne.
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