Faire rebondir une intrigue, révéler l’impensable au crépuscule d’un roman, surprendre, déjouer les certitudes… Pour un romancier, maîtriser l’art du twist c’est avant tout savoir bluffer pour mieux redistribuer ses cartes en fin de partie. Au-delà des auteurs de thrillers comme Maud Mayeras, on trouve parmi celles et ceux qui ont su nous couper le souffle de grands anciens comme Agatha Christie mais aussi des écrivains confirmés comme Laurent Binet ou Philippe Claudel.
Chutes dans le noir
Un twist final surprenant est aussi indispensable à un thriller qu’une scène d’amour torride à un roman à l’eau de rose. C’est donc comme une évidence que l’on peut citer Shutter Island parmi les romans au dénouement surprise les plus mémorables du genre. Suspense diabolique et psychiatrique, huis-clos insulaire et carcéral, le roman de Dennis Lehane est considéré comme un classique du faux-semblant sublimé par un twist final en forme de voyage à rebours dans une psyché défaillante. Un immense roman noir, respectueusement adapté par un Martin Scorsese qui n’a pu s’empêcher de distiller çà et là quelques nuances de son cru. Toujours sur le thème de la santé mentale défaillante, La robe de marié de Pierre Lemaître est le récit hypnotique de la vie chaotique d’une femme dangereuse. Délire paranoïaque, psychose meurtrière et vengeance compulsive sont au menu de ce thriller vénéneux qui ne justifie son titre étrange qu’à l’approche de ses ultimes pages. Enfin, la jeune auteure française Maud Mayeras manie les fausses pistes et les chausse-trappes avec une aisance perverse dans Reflex. Un roman français d’une noirceur sépulcrale où les convictions du lecteur se disloquent chapitre après chapitre avant que l’intrigue ne révèle sa vérité glaçante qu’à la toute dernière ligne.
Twist on the littérature
Parce qu’ils sont bien plus que des coquetteries narratives exclusivement prisés par les auteurs de romans de genre, suspense et twists stupéfiants sont également fort appréciés par des romanciers « classiques » n’hésitant à en jouer pour dynamiser leurs fictions. On pense pêle-mêle au rebondissement imprévisible d’Esprit d’hiver de Laura Kasischke qui en une dernière page modifie radicalement notre point vue sur son irrespirable huis-clos entre une mère apeurée et sa petite fille adoptée. Un twist diabolique défiant la perception du lecteur qui vaut aussi pour une autre histoire de petite fille ; à savoir celle de Monsieur Linh imaginée par Philippe Claudel. Avec humanité, style et une mélancolie toute personnelle, l’auteur des Âmes grises dresse les portraits de personnages brisés par la guerre au gré d’une fiction qu’il conclut de façon à réorienter sur le fil notre interprétation du roman. De son côté, Laurent Binet joue à merveille le jeu de l’exo-fiction sémantique, philosophique et politique avec La septième fonction du langage où il fait d’un célèbre couple d’intellectuels, l’écrivain Philippe Sollers et son épouse la psychanalyste Anna Kristeva, les commanditaires fictifs de l’assassinat fantasmé de Roland Barthes. Un tour de force aussi brillant que malicieux où chaque page laisse pétiller une nouvelle surprise. Enfin, la romancière britannique Sarah Waters demeure fidèle à son engagement féministe dans Affinités : un roman carcéral et féminin rehaussé d’une dose délicate de fantastique qui brille également par son dénouement totalement déroutant.
Les grands classiques du twist
Faire twister une intrigue durant le money time d’un roman n’est pas seulement un art contemporain mais une pratique séculaire. D’ailleurs, en matière de dénouement surprenant où le fin mot de l’histoire ne se révèle qu’aux toutes dernières pages, Agatha Christie est incontestablement une pionnière. Reine éternelle du twist de fond d’intrigue, celle qui a donné ses lettres de noblesse au « whodunit » et créé Hercule Poirot est passée à la postérité grâce à des romans policiers aussi indispensables que fondateurs comme Les dix petits nègres, publié en 1939 et célèbre pour son atmosphère inquiétante, sa sinistre comptine meurtrière et son énigme insoluble. En remontant plus loin dans le temps, on ne manque pas de citer Sylvie, une nouvelle (intégrée au recueil Les filles de feu) que Gérard De Nerval a écrite au crépuscule de sa vie alors que sa santé psychique commençait sérieusement à défaillir. Dans ce court texte poétique et sentimental, la révélation finale – où les deux femmes qu’il aime s’avèrent être une seule et même personne – traduit toute la confusion mentale et la détresse dans laquelle se trouve cet immense auteur romantique qui mettra fin à ses jours peu de temps après. Enfin, si l’on cherche un twist surprenant et mémorable dans un classique de l’anticipation, on pense inévitablement à la parabole temporelle vertigineuse imaginée par Pierre Boulle dans La planète des singes où le héros constate, avec le lecteur abasourdi, après son retour sur terre, que l’être humain n’est manifestement pas le futur de notre planète.
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Visuel d’illustration : Tanner Larson