Bizarres, étranges, abscons mais tellement bons… Voici une sélection subjective de dix perles singulières et surréalistes commises par des auteurs illustres comme Joyce, K. Dick ou Perec et de fulgurantes révélations comme Luigi Serafini ou Mark Z. Danielewski. Que ceux qui n’ont rien compris lèvent le pied ! Et proposent à leur tour une sélection de leurs livres bizarres adorés.
Ennemis de l’indifférence et inclassables, les dix ovnis littéraires qui vont suivre ne pouvaient être recensés de façon rationnelle. Pour rester fidèle à leur nature libertaire défiant les conventions, un classement saugrenu en mode cadavre exquis s’imposait.
La disparition d’Ulysse
Prouesse pour les uns, coup de frime stérile pour les autres, La disparition de Georges Perec est un roman fou entre polar métaphysique et expérience surréaliste où les mots délestés de la lettre « e » sont expropriés de leurs sens. Un anti-conformisme aussi démentiel qu’est radicale l’exigence littéraire de James Joyce. Condenser en une journée et transposer à Dublin L’Odyssée d’Homère est un tour de force que réalise en 1922 le géant de la littérature anglo-saxonne du début du XXe. Son Ulysse est un impitoyable exercice de syle aux allures d’Everest littéraire pour toutes celles et ceux qui en viennent à bout un jour.
L’infinie comédie de l’histoire de ma vie
À force de narcissisme, la société du spectacle chère à Gilles Deleuze devient une inquiétante et exponentielle réalité qui pousse David Foster Wallace à entamer au début des années 90 un récit expérimental qui deviendra en 1996 un monumental roman de SF prospective de 1500 pages. Audacieux dans la forme et sombre dans le fond, L’infinie comédie est considérée comme une œuvre majeure de la littérature US contemporaine. Révélé par la découverte posthume d’un millier de toiles dans son appartement, Henry Darger devient officiellement un peintre naïf américain le jour où la grande faucheuse lui rend visite. Personnage mystérieux au fonctionnement intellectuel singulier, il couche sur le papier quelques années avant sa mort en 1973 L’histoire de ma vie, une autobiographie littéraire et graphique en forme d’étrange testament.
La marelle dans la maison des feuilles
C’est en adepte des délires dadaïstes et surréalistes que le romancier franco-argentin Julio Cortazar a écrit Marelle, un roman bien connu pour pouvoir être lu dans l’ordre ou dans le désordre. Dans ce conte truffé de digressions jubilatoires où l’on passe du rire aux larmes comme de Buenos Aires à Paris, plane incontestablement l’ombre inquiétante de la junte militaire argentine à laquelle Cortazar s’opposait avec force. Aux antipodes de ce classique de la littérature sud-américaine, on trouve le premier roman de l’américain Mark Z. Danielewski. La maison des feuilles est un roman inclassable entre récit d’épouvante façon found footage littéraire, récit de maison hantée et fable surréaliste qui est aujourd’hui devenu culte. Un chef-d’œuvre en son genre qui fait vivre à ses lecteurs une expérience aussi éprouvante qu’excitante.
Codex pour un festin nu
Une machine à écrire vivante comme une bestiole narquoise et hostile fuyant un William S. Burroughs tentant d’y consigner sa prose hallucinatoire… Voilà une des images fortes du Festin nu, recueil débridé des délires narcotiques d’un des chantres de la Beat generation qui n’aurait peut-être jamais vu le jour sans le soutien bienveillant des compagnons de routes que furent Jack Kerouac et Allen Ginsberg. Bien plus structuré mais tout aussi barré, le Codex Seraphinianus de l’artiste italien Luigi Serafini est un livre qui vaut lui aussi son pesant de démence. Encyclopédie extra-terrestre, roman graphique et œuvre d’art insensée, cet objet littéraire non identifié écrit dans un alphabet imaginaire et bourré d’illustrations saisissantes est aujourd’hui une pièce rare recherché par de nombreux amateurs et collectionneurs.
Les instruction d’un dieu venu du Centaure
En entrant durant quatre jours dans la tête d’un enfant de dix ans qui se prend pour le messie, l’américain Adam Levin réalise une épopée virtuose qui est à ce jour son seul roman publié en France. Les Instructions savantes que porte son jeune prodige sur le monde des adultes agit sur le lecteur comme une déroutante, dérangeante mais brillante mise en garde. Cognitifs, télépathes, simulacres, humains versus robots… On ne présente plus Philip K. Dick et toutes ses obsessions qu’il aura déclinées avec constance tout au long de son œuvre immense. Moins connu que d’autres de ses romans comme Ubik ou Le maître du haut château, Le dieu venu du Centaure n’en reste pas moins une curiosité littéraire qui mérite d’être redécouverte. Toujours aussi paranoïaque, il y déroule une vision froide, brutale et dénuée de tout sens romanesque d’une humanité au bout du rouleau où la drogue s’impose comme un enjeu vital et commercial majeur.
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Aller + loin : Les gros vilains de la littérature
Visuel d’illustration : Codex Seraphinianius, planches de Luigi Serafini © Rozzoli Usa