Là où le rap français se complaît parfois dans la légèreté, et les clashs stériles, IAM signe un disque dense et intense à tous les niveaux : flow, musique, textes et remet le rap français sur un chemin évident, celui qui va vers le haut…
Il n’est jamais facile de passer derrière un classique. Surtout derrière un disque aussi mythique que L’école du micro d’argent qui a marqué à jamais l’histoire du rap français. Chaque disque suivant lui est forcément comparé. Les albums d’IAM n’ont pas fait exception à cette règle. Et pourtant, chaque album a sa vie propre. La preuve avec Arts Martiens, le nouvel opus de la formation marseillaise. Au départ, il devait s’agir d’un projet en collaboration avec le compositeur Ennio Morricone. Finalement, il a été abandonné au dernier moment, laissant IAM avec peu de temps devant eux pour « sortir » un album de qualité.
Bizarrement, ce travail dans l’urgence offre certainement un des disques les plus aboutis de la carrière du groupe marseillais. Tout sonne juste, tout est à sa place. L’énergie n’est vraiment pas celle du désespoir ! Au contraire. Chacun a donné son meilleur. Musicalement, Imothep a fait dans la simplicité avec des prods peu chargées, mais puissantes. Souvent rejoint par le pianiste Sébastien Damiani, « Tonton » laisse planer une ambiance new-yorkaise à la Mobb Deep à l’ancienne. C’est dur, parfois pesant, mais toujours percutant et moderne. Les scratchs de DJ Khéops appuient encore un peu plus sur le côté « strictly hip-hop » de ce disque comme le prouve le titre Les raisons de la colère. Malgré tout, IAM ne peut s’empêcher de faire toujours un ou deux morceaux de grands gamins où l’humour est bien présent comme le prouve Marvel (Hero Trip) et quelques chinoiseries bien senties (Habitude ou Benkei & Minamoto) qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler quelques morceaux de Où je vis, un autre classique solo de Shurik’N.
Musicalement, l’album d’IAM est à mille lieux de la légèreté actuelle du rap français et des sons largement inspirés par la vague venue de Miami. La musique colle à la rue, qu’elle soit de Marseille, de Paris ou de New-York dans une sorte de retour aux sources évident. Au niveau des flows, il n’y a pas photo non plus. AKH et Shurik’N sont deux techniciens de la rime qui écrivent la poésie qu’ils ont le talent et la possibilité de mettre parfaitement en musique. Pas d’egotrip ou si peu, mais plutôt une leçon de storystelling que cela soit pour raconter leur propre histoire et celle du groupe, leur évolution ou pour donner leur avis sur la situation actuelle. A ce titre, le morceau Pain au chocolat est un modèle. Devant le dérapage politique au relent de racisme, le groupe phocéen ne pouvait se taire. Mais, plutôt que d’accuser bêtement, il y a derrière ce texte une vraie histoire, un modèle de dénonciation où tout est dit sans jamais nommer personne… Là comme partout ailleurs dans le disque, il y a de l’ambition, dans chaque rime, dans chaque mot, jamais un texte ne tombe à plat et celui qui suit est aussi fort que celui qui précède. Et si parfois, on sent une certaine amertume poindre dans leurs paroles (Misère), IAM le fait si bien qu’on sait que cela engendrera une nouvelle occasion de rebondir dans d’incroyables envolées « lycricales » et des images venues d’ailleurs.
Alors évidemment, l’ambiance générale reste sombre, mais le monde dans lequel nous évoluons prête-t-il vraiment à sourire ? Et techniquement, il y a des leçons à tirer pour beaucoup de rappeurs. On leur conseillera juste d’écouter des titres comme Sombres manœuvres/Manœuvres sombres, où s’affrontent deux visions différentes d’un même fait divers, ou encore Dernier coup d’éclat qui clôt l’album dans un dernier morceau de bravoure. Là où le rap français se complaît parfois dans la légèreté, et les clashs stériles, IAM signe un disque dense et intense à tous les niveaux : flow, musique, textes et remet le rap français sur un chemin évident, celui qui va vers le haut. Le premier morceau Spartiates Spirit est, à cet égard, significatif de l’état d’esprit d’IAM sur ce disque : il a été fait en groupe, collectivement. Le clan, même sans Freeman, est toujours aussi soudé et il ne lâchera rien : le rap est adulte, intense et actuel. Si la mode est aux albums qui passent sans réellement laisser de traces, IAM lance un pavé dans la mare et quel pavé, un album qui va tout simplement ramener ses concurrents au rang d’aimables plaisanteries. Avec Arts Martiens IAM prouve que le temps n’altère pas le talent, au contraire. On avait dit qu’on ne ferait pas de comparaison avec L’école du micro d’argent, mais à la fin de l’écoute, on se dit quand même qu’on tient peut-être là son fils légitime…