Nous sommes Morgane de lui ! Loubard au cœur tendre, chanteur révolté et poète engagé, Renaud fête ses 50 ans de carrière avec la réédition de ses vinyles, une série de concerts et un beau livre réalisé avec sa fille, Lolita Séchan, et le journaliste Erwan L’Éléouet. L’Éclaireur les a rencontrés.
En 1975 sort Amoureux de Paname, le premier disque de Renaud. Vingt-six albums plus tard, l’auteur de Mistral gagnant se raconte dans Renaud, le livre, une histoire intime qui fait écho à celle de la natation, de l’après-guerre à nos jours. Riche de centaines de photos et de documents inédits – manuscrits de chansons, dessins d’enfant, bulletins scolaires ou encore lettres –, l’ouvrage réalisé avec sa fille Lolita Séchan et le journaliste Erwan L’Éléouet, revient sur ses débuts de chanteur de rue, son apprentissage de la scène aux côtés de Coluche, sa fuite en bateau avec sa famille après le succès, ou encore sa guerre destructrice contre lui-même… Autant d’événements et d’années jalonnées de chansons qui font désormais partie du patrimoine français.
Quel est votre album préféré, celui dont vous êtes le plus fier ?
Renaud : À la Belle de mai (1994) et sa chanson éponyme, une de mes plus belles ! C’est un album acoustique, sans guitare électrique, sans batterie, enregistré chez moi, à la maison, au mois de mai, sorti l’année de la Coupe du monde de football.
Cette chanson fait d’ailleurs à la fois allusion au quartier de Marseille, La Belle-de-Mai, au football et à Bernard Tapie. Votre premier album, Amoureux de Paname, sort lui en 1975. Il inclut le titre Camarade bourgeois qui vous vaut votre première apparition à la télévision. Quel souvenir en gardez-vous ?
Renaud : J’étais terrorisé, mais ça s’est arrangé depuis. [Rires]
Le livre s’ouvre avec quelques surnoms affectueux de Lolita : “Papa, Papou, Papounet…” Le plus singulier étant “Paparano”, qui évoque votre maladie. Pensez-vous qu’il est aujourd’hui plus facile de parler de santé mentale ?
Renaud : Oui. Aujourd’hui, les imbéciles qui me voyaient mort dans ma période noire ont moins d’importance. Sur le sujet, la parole est plus libre et plus respectée.
Lolita : Personne n’en parlait. Même les personnes concernées avaient du mal à comprendre et à évoquer leurs problèmes.
Erwan : Quand nous avons commencé à travailler sur ce projet, il a bien sûr été question de mettre des mots sur cette maladie, ce qui n’était pas forcément possible à l’époque. Ce n’était pas simple de trouver un médecin, d’obtenir un diagnostic. Les choses ont évolué dans le bon sens et semblent s’améliorer. Espérons juste que notre système de santé ne parte pas maintenant en fumée… Ce surnom raconte aussi la relation de Lolita avec son père. Il dit le lien si fort qui les unit, renforcé par les archives qu’on découvre dans ce livre. Nous voulions aussi raconter, à travers l’histoire de Renaud, l’histoire d’une époque, politique.
Lolita : Son histoire s’inscrit dans celle de la France, des années 1960 à nos jours, socialement et politiquement ; l’une ne va pas sans l’autre.
Était-ce important pour vous d’aborder le sujet de la santé mentale sous un angle politique ?
Lolita : Tout est politique ! Ses combats personnels s’inscrivent dans le débat politique, dans celui du vivre-ensemble, dans la manière dont nous prenons soin de l’autre. Ils interrogent les structures publiques et leur devenir. Le mal-être des soignants, comme celui des patients, entre en ligne de compte.



Renaud en 1983
Erwan : C’est un grand combat ! La Sécurité sociale a été une invention formidable et nous distingue d’autres pays. Une société qui va bien mentalement est porteuse d’espoir, mais ce soutien semble s’effondrer. Ce livre, à travers l’expérience de Renaud, parle aussi de tout cela.
Renaud, vous vous êtes souvent présenté comme anarchiste. Vous revendiquez-vous toujours comme tel ?
Renaud : Ce livre rétablit une vérité que j’avais occultée : je suis allé aux urnes, j’ai toujours voté. La seule fois où je ne l’ai pas regretté, c’est quand j’ai soutenu Mitterrand. Mais j’ai aussi beaucoup voté écolo, ou même Philippe Poutou !
Ce livre revient aussi sur l’épisode où vous êtes parti au large avec femme et enfant. Quelles étaient vos motivations ?
Renaud : Je voulais faire le tour du monde, dormir tous les soirs dans un port différent, rencontrer des gens, découvrir des cultures. Nous nous sommes arrêtés, car ma femme et ma fille étaient malades.
Lolita : C’est moins sympa de rencontrer des gens dans une flaque de vomi… [Rires]

Renaud à bord de son voilier, en Guadeloupe, en avril 1987.
Dans ce livre, on découvre des photographies inédites, des dessins, des lettres et tout un tas de documents que vous avez soigneusement conservés, comme cet autographe de Georges Brassens.
Lolita : Dans l’immeuble de ses parents, un copain lui a dit que Brassens était à l’étage. Ils sont allés chercher un vinyle et sont montés le faire signer. Papa est très collectionneur, il garde tout, surtout ce qui a trait à l’enfance.
Renaud : J’ai tout gardé. Des jouets, des arbalètes, des bandes dessinées, des figurines, des Mistral gagnant, des Coco Boer, des pin’s, des rasoirs coupe-choux, des Zippo…
Pour vous, Lolita et Erwan, c’est une chance. Comment avez-vous fait votre choix parmi les plus de 3 500 archives ?
Lolita : Il fallait trouver des documents inédits. Nous avons ouvert mes archives, mais aussi celles de maman et de papa. Papa voulait que nous retrouvions des photographes qui n’avaient jamais montré leurs travaux. Il y a aussi des lettres d’amour et de rupture, des lettres à sa fille, des lettres de paranoïa.

Renaud et Lolita en 1981
Sur chaque document, papa nous apportait des éléments ou des anecdotes. Puis, avec Erwan, nous avons regardé s’il avait sa place dans le récit. Est-ce que telle archive enrichit bien son engagement politique ou écologique, sa création, son combat contre la maladie, sa famille ?
S’il ne fallait en garder qu’une, laquelle choisiriez-vous ?
Lolita : Pour moi, ce serait la lettre qu’il m’a écrite quand j’avais une vingtaine d’années : “Je reconnais que tu es à un âge de ta vie où ce que je traverse te fait souffrir. Tu as sûrement tes souffrances à toi, mais je suis là. J’ai fait des erreurs, je souffre moi-même et je veux juste que ma fille ne souffre pas.” Malgré tout, j’ai trouvé ça très beau, qu’il ait eu ce courage.
Cette lettre reflète aussi tant d’autres histoires, dans d’autres familles. J’aimerais que le père de ma fille soit capable d’écrire une lettre comme ça si, un jour, ça ne va pas – et même que tout homme arrive à se déconstruire pour dire : “J’ai mes défauts, j’ai mes démons, j’ai fait mes conneries et je sais que je t’ai fait souffrir.” Je dévoile là quelque chose de très intime, parce que je pense que ça peut aider des pères à sortir de leur zone de confort pour communiquer avec leurs enfants.
Renaud : Un petit dessin que j’ai fait avant mes 20 ans. Je passais devant l’Olympia. Il y avait une affiche énorme, comme il se doit à l’Olympia, avec marqué : “Julien Clerc, Michel Polnareff, puis Renaud”. Devant, on voit une petite silhouette qui marche – c’est moi, bien sûr – avec une guitare à la main, disant : “On peut rêver.” Et c’est marqué : du 28 octobre au 28 mars.
Dessin de Renaud
La scène, vous allez y remonter en 2026, notamment au Zénith de Paris les 14, 15 et 16 mai, en compagnie de 28 artistes invités.
Renaud : Oui. Je suis en train de préparer un nouvel album, mais avant ça, je fêterai, avec un peu de retard, mes 50 ans de chansons en 2026, avec des artistes de toutes générations : Francis Cabrel, Jean-Louis Aubert, Hoshi, Olivia Ruiz, Alain Souchon, Élodie Frégé, Julien Clerc, Renan Luce, Noé Preszow, Benoît Dorémus, Coline Rio, Youssef Swatt’s… Une belle affiche.

Renaud sur scène