Pierre Jourde propose une grande et longue fresque autour du cirque au XIXe siècle, alors que la psychiatrie commence à se développer. Critique.
Deux ans après le livre La grande solderie (Wombat), l’écrivain Pierre Jourde est de retour pour la rentrée littéraire de 2025 avec un roman important et riche, intitulé La marchande d’oublies, publié aux éditions Gallimard le 21 août 2025.
Dans cette fresque aussi macabre que touchante, il dresse plusieurs portraits d’hommes et de femmes du XIXe siècle et prend comme décor l’univers des cirques, des monstres, mais aussi celui de la psychanalyse.
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Milieu du XIXe siècle. La famille Helquin, composée de quatre frères et de leur sœur Thalia, est une famille de clowns-acrobates qui se produit dans des spectacles bizarres et inquiétants. Lorsque Thalia fait la rencontre de Charles, jeune médecin aliéniste, le parcours de la jeune femme change drastiquement et elle l’éloigne de sa famille. Entre le monde du cirque, des clowns, des acrobates d’un côté, et le développement de la psychiatrie et des questions entourant la santé mentale de l’autre, La marchande d’oublies vient mettre en opposition deux mondes, mais aussi deux représentations de la société.
Comment voir et considérer les personnes stigmatisées et pointées du doigt par la société ? Comment accepter, également, que d’autres décident de prendre en compte ces ostracisés, mettant en évidence le manque d’empathie général, la violence sociale et l’exclusion ?
Un univers étrange
Avec La marchande d’oublies, Pierre Jourde développe son univers autour des « monstres ». Des couleurs et des images d’œuvres traitant du même sujet reviennent à l’esprit à la lecture. Ainsi, difficile de ne pas penser à Elephant Man (1980) de David Lynch pour la violence ou à Big Fish (2003) de Tim Burton, pour le macabre et la touche de poésie qui en ressort parfois.
En faisant appel à l’inconscient du lecteur, l’auteur crée un univers foisonnant, dense, parsemé de touches historiques et d’authenticité. Cette démonstration donne automatiquement envie d’en découvrir toutes les facettes, en suivant les personnages dans leur quotidien.
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Un style puissant, mais dense
Pierre Jourde sait manier les mots. À travers les presque 700 pages de son roman, l’écrivain dresse le portrait d’une société, d’une époque et d’une famille, et dépeint la complexité des relations humaines. Son style dépayse. Dès les premières pages, il crée l’illusion et embarque le lecteur dans cet univers sombre, inquiétant, mais aussi intriguant et exotique. Le « voyeurisme » autour de ce monde étrange fait son effet.
Avec des descriptions poussées et des mises en situation riches, il fait preuve d’un style très puissant, efficace, mais qui pourrait presque submerger le lecteur. Le roman est dense, autant que le style de Pierre Jourde. Une fois accoutumé à sa façon de raconter les histoires, le lecteur est en mesure de se laisser plus facilement porter et ce qui constitue une barrière au début – la construction rythmique et linguistique n’est pas simple à appréhender – se transforme en force.
Avec La marchande d’oublies – le titre, mystérieux, prend sens à mesure que l’intrigue se dénoue –, Pierre Jourde propose un roman sincère, une tragédie humaine, et porte un regard appuyé sur une période, sur ses travers et sur ses particularités. Ne laissant pas indifférent – dans la forme comme dans le fond –, le roman gagne en ampleur à mesure que le rythme s’installe et que l’histoire avance.
La lecture est, finalement, à l’image des « monstres » et des clowns que l’auteur veut mettre en scène. La première rencontre est déstabilisante et peut créer le rejet. Puis, à mesure que la surprise et la stupeur laissent place à la découverte et à la compréhension, les barrières tombent, l’acceptation se fait et tout devient plus fort et plus humain.