Article

Joséphine Baker : pourquoi est-elle toujours aussi inspirante ?

19 mars 2025
Par Manue
Joséphine Baker : pourquoi est-elle toujours aussi inspirante ?

50 ans après sa mort, Joséphine Baker reste une femme et une artiste ancrée dans la mémoire collective. On admire la femme de music-hall qu’elle a été, mais aussi (et surtout) la citoyenne engagée dont les combats demeurent actuels et inspirants. A l’occasion des 50 ans de sa disparition, retour sur ce parcours exceptionnel.

Joséphine Baker danse depuis qu’elle est toute petite. D’abord danseuse dans des petites compagnies d’artistes de rue, Joséphine voit plus grand. Ce dont elle rêve, c’est de Broadway. À 16 ans, la jeune fille, née en 1906 à Saint-Louis (Missouri), part à New York. Après plusieurs refus, elle intègre une première compagnie, celle de la comédie musicale Shuffle Along. Sa rencontre quelques années plus tard avec Caroline Dudley Reagan, épouse de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris, va tout changer. Le mari de Caroline veut monter un spectacle à Paris, la Revue nègre, dont Joséphine serait l’une des vedettes, aux côtés de musiciens comme Sidney Bechet. Presque nue, avec sa ceinture de bananes et son décor de savane, Joséphine Baker fait sensation. 

Son émancipation au-delà de l’objectification

À cette époque, une exposition d' »art nègre » se déroule avec des œuvres d’artistes racisé.e.s. Une première. Cette imagerie de la femme noire érotisée et « exotique » – scandaleusement raciste -, Joséphine l’utilise pour façonner sa notoriété. L’artiste n’est pas dupe de cette vision colonialiste. Son émancipation viendra de sa forte personnalité, mais aussi du mouvement de la Renaissance de Harlem, mouvement prônant l’affranchissement des afro-américains, auquel ont contribué de nombreux artistes noirs. C’est à Paris, bien au-delà de l’Apollo et du Cotton Club, que ce mouvement continue, les artistes trouvant dans la capitale (et la France en général) un environnement et une société plus propices à leur liberté d’être.

À partir de
16€
En stock
Acheter sur Fnac.com

C’est ainsi que cette femme à la peau d’ébène devient plus qu’une icône « exotique ». Egérie des cubistes, elle contribue à la popularisation du jazz et des musiques noires en général. Joséphine Baker ne voulait pas être réduite à un objet de fantasmes. Elle désirait briser les barrières et les codes, et la mode va l’y aider. Elle se distingue par son sens du style, ouvre les portes de la mode androgyne avec ses cheveux coupés courts au carré, mais aussi grâce à son attirance pour les vêtements issus de la mode masculine.

La frontière des genres devient flou. Joséphine Baker était l’amie de grands couturiers de l’époque comme Christian Dior ou Pierre Balmain, leur muse, et ce au même titre que les grandes stars du cinéma. Ses tenues font sensation en Europe et aussi sur le continent américain où elle fascine. La ceinture de bananes est bien loin, et tant mieux.

Joséphine Baker est restée, après sa mort, une référence et une source d’inspiration pour les couturiers comme Jean Paul Gaultier et Marc Jacobs, ou les mannequins comme Iman et Naomi Campbell. Et comment ne pas penser à Joséphine Baker lorsque l’on voit la géniale Grace Jones ?

Encore récemment, Stéphane Rolland, pour sa ligne haute couture en janvier 2025, a choisi Joséphine Baker comme marraine de sa collection « Origines de Brancusi à Baker », s’inspirant des effets visuels de son expression corporelle de danseuse. Puisque l’on parle de la danseuse qu’était aussi Joséphine, Raphaëlle Delaunay a, quant à elle, mené une grande recherche sur l’origine des danses de Joséphine, et a décortiqué son art et son langage chorégraphique pour non seulement s’en inspirer pour ses créations, mais aussi pour lui donner une valeur patrimoniale.

Pour lire la vidéo l’activation des cookies publicitaires est nécessaire.

Artisitiquement, elle a marqué son époque. Inspirante hier, et inspirante aujourd’hui.

Une héroïne engagée de la Seconde Guerre mondiale

Lorsque la guerre éclate en 1939, la soif de liberté de Joséphine Baker ne peut que se transformer en action. Sa rencontre avec Jacques Abtey du contre-espionnage français est le point de départ d’un engagement auprès de son pays d’adoption, la France. Elle participe à des concerts sur la ligne Maginot (Théâtre aux armées) ou au Casino de Paris. Elle profite de ces mondanités auxquelles elle est conviée pour recueillir des renseignements pour le compte du contre-espionnage, essayant de glaner ici et là des informations venant de l’ennemi lors de soirées. C’est ainsi qu’elle aurait donné l’information selon laquelle Benito Mussolini rejoignait le camp d’Adolf Hitler contre la France. Lors d’un voyage à Lisbonne avec Jacques Abtey, elle aurait également transmis des informations sur la présence militaire allemande en France à un représentant du MI6, le service de renseignements du Royaume-Uni.

Elle fait partie de ces artistes qui ont refuseé de chanter devant les Allemands dans le Paris occupé. En revanche, au cours de ses voyages et galas, elle ne manque jamais de jouer pour les soldats alliés. Nombre de ses spectacles sont au bénéfice de la Croix Rouge (au Rialto à Casablanca, au Collisée à Alger en 1943).

Joséphine Baker s’engagera officiellement le 23 mai 1944 dans l’Armée de l’Air, comme « officier de propagande » avec le grade de sous-lieutenant, ayant un brevet de pilote. Elle donnera sa solde au profit de l’hôpital complémentaire d’Alger et fera partie des soldats lors du débarquement à Marseille. Après l’Armistice, l’artiste résistante chantera auprès des prisonniers et des déportés enfin libérés.

A la fin de la guerre, elle reçoit, pour services rendus à la Nation, la médaille de la Résistance française avec rosette, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur et la croix de guerre 1939-1945 avec palme. Charles de Gaulle, lors d’un gala à Alger où il est dans le public, lui fera parvenir une croix de Lorraine en or. Joséphine la revend au profit de la Résistance quelques semaines plus tard, alors que le général de Gaulle fait partie des hommes qu’elle admire.

Pour lire la vidéo l’activation des cookies publicitaires est nécessaire.

Son combat inébranlable contre le racisme

« Un jour, j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris », disait-elle.

Joséphine Baker faisaitt de son rêve d’une société multiculturelle et multiraciale son combat à la fois artistiquement, mais à titre de citoyenne également.

Etre une femme noire aux Etats-Unis – et une personne de couleur en général- est compliqué au début du 20e siècle. Le racisme et la ségrégation font rage. Et ça, Joséphine Baker ne l’accepte pas. À la fin des années 40, alors qu’elle retourne aux Etats-Unis, elle est victime (malgré sa notoriété) de discrimination. Elle a été de nombreuses fois interdite de séjourner dans des hôtels avec son mari blanc, Jo Bouillon.

Autre exemple de ce racisme systémique : alors qu’elle était invitée par le chanteur Roger Rico, Joséphine Baker se voit insidieusement refusée d’être servie, le restaurant « chic » avançant une heure après la commande que les plats n’étaient soi-disant plus disponibles. Refusant de partir, son mari et elle se voient être servis une heure plus tard. « C’est un affront aux gens de couleurs et aux miens. Je consulte mes avocats. Je veux faire quelque chose, non pas pour Joséphine Baker mais pour l’Amérique« , annoncera-t-elle. Une autre fois, c’est elle qui refuse de chanter dans un club à Miami affichant officiellement une politique ségrégationniste. Impossible pour elle de chanter dans un endroit où les gens de couleur comme elle ne peuvent rentrer.

En 1955, elle s’indigne contre le meurtre dans le Mississippi d’un jeune Afro-Américain, Emmett Till, dont les deux assassins acquittés par la justice reconnaitront outrageusement le meurtre après le verdict.

Lorsque le mouvement américain des droits civiques naît et prend de l’ampleur, Joséphine Bake sera là bien sûr. Elle est aux côtés de Martin Luther King le 28 août 1963, lors de la marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, mais également lors de son célèbre discours « I Have a Dream ». En uniforme de l’Armée de l’air française, elle prononce un discours elle aussi, prônant les mêmes valeurs et le même rêve. Elle sera la seule femme à prendre la parole sur les marches du Lincoln Memorial ce jour-là.

Pour lire la vidéo l’activation des cookies publicitaires est nécessaire.

À la même époque, elle soutient la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, qui deviendra la LICRA en 1980). Ce n’est pas un hasard non plus que l’antisémitisme frappant la communauté juive la touche. Elle a ressenti, à travers son mari pendant la guerre, combien cette haine était violente.

Son engagement social

La Grande Dépression de 1929 a fait exploser le chômage en France, laissant de côté une grande partie de la population. La misère, Joséphine ne la conçoit pas, elle qui l’a vécue aux Etats-Unis. Dès 1931, elle apportera son aide auprès des soupes populaires pour les clochards de Paris. En 1932, elle est la marraine du Pot-au-feu des Vieux, œuvre qui distribue de la nourriture chaude aux personnes âgées dans le besoin (les Restos du Cœur avant l’heure).

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, n’ayant pas d’enfant, Joséphine Baker a le rêve de former une famille de toutes les couleurs. Elle adopte de façon successive 12 enfants : Teruya et Akio (adoptés au Japon), Jari (Finlande), Luis (Colombie), Jean-Claude, Moïse et Noël (France), Brahim et Marianne (Algérie), Koffi (Côte d’Ivoire), Mara (Venezuela), Stellina (Maroc). Les enfants sont élevés dans le respect de leurs origines et de leurs religions. Avec sa « tribu arc-en-ciel », elle veut prouver que toutes les races peuvent vivre ensemble dans une harmonie parfaite. Elle transforme le château des Milandes où elle vit en Dordogne en un village de la fraternité.  

Pour lire la vidéo l’activation des cookies publicitaires est nécessaire.

Voilà pourquoi la panthéonisation de Joséphine Baker, effective en 2021, était d’une évidence. Il est toujours bon de rappeler combien certaines personnes font l’Histoire de manière singulière : par leur audace, leur courage, leur soif de liberté et de justice. Telle était Joséphine, la plus française des Américaines. Une figure engagée dont les combats et les colères résonnent plus que jamais aujourd’hui.

À partir de
30€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Plusieurs livres dédiés à Joséphine Baker sortent à l’occasion des 50 ans de sa mort. Nous vous invitons vivement à vous y plonger afin de mieux découvrir les mille et une vies de cette légende.

À partir de
17,90€
En stock
Acheter sur Fnac.com
À partir de
9,90€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par
Manue
Manue
Disquaire à la Fnac Saint-Lazare
Sélection de produits