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Hommage à Michel Blanc : l’acteur-auteur

04 octobre 2024
Par Thomas Chouanière
Hommage à Michel Blanc : l’acteur-auteur
©UGC

Bien avant Dany Boon ou Olivier Barroux, Michel Blanc a réussi à mener de front une double carrière : acteur populaire et réalisateur inspiré, il laisse une filmographie extrêmement variée, faite de films dramatiques (« Monsieur Hire »), de comédie sociale (« Marche à l’ombre »), et bien sûr, de succès publics immenses (« Les Bronzés »). Portrait de cet OVNI du cinéma français, décédé ce 4 octobre 2024.

Du café-théâtre au grand écran

Dans le sillage de Mai 68, un parfum d’autogestion chatouille les narines du théâtre français. À Paris, Coluche, Patrick Dewaere ou Miou-Miou émergent du côté du Café de la Gare, avec un fonctionnement basé sur le collectif et l’absence de hierarchie. Une bande de lycéens de Pasteur, à Neuilly-sur-Seine, leur emboîte bientôt le pas. Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Christian Clavier et Michel Blanc montent le théâtre du Splendid, rue des Lombards. Leur envie de jouer des sketchs et des pièces de leur propre création rencontre rapidement le public, fan de leur authenticité et de la proximité avec les comédiens qui fait l’attrait des cafés-théâtres.

Le Septième art s’intéresse rapidement à cette bande de jeunes qui en veulent : Michel Blanc apparaît dans plusieurs comédies (On aura tout vu, Attention les yeux) aux côtés de ses collègues du Splendid, avant de décrocher un rôle dramatique un peu plus en vue, avec La Meilleure Façon de marcher (1976), premier film de Claude Miller, dont la distribution concentre les grands noms du café-théâtre.

En 1977, le succès renouvelé d’une pièce du Splendid, Amours, coquillages et crustacés, déclenche la « Splendid-mania ». Narrant les vacances au Club Med’ de Parisiens issus de différents milieux, le texte fait émerger le personnage de Jean-Claude Duss, dragueur invétéré, peu à l’aise avec les climats équatoriaux, les moustiques, les femmes et la vérité. Le rôle s’inspire de certains traits de personnalité de Michel Blanc, notamment son hypocondrie chronique, imputable à un souffle au cœur détecté dans son enfance.

Sous la direction de Patrice Leconte, Dominique Lavanant, Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel, Bruno Moynot, Luis Rego, Michel Creton, Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot, Christian Clavier et Michel Blanc triomphent dans les Bronzés, en 1978. Les membres du Splendid coscénarisent ce film, bientôt suivi par Les Bronzés font du ski, et incarnent, comme Dewaere ou Coluche, la relève du cinéma français.

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La naissance d’un auteur : Michel Blanc dans les années 1980

Attiré par le Septième art, Michel Blanc délaisse davantage que ses compères le café-théâtre (il ne participe ni à Papy fait de la résistance ni au Père Noël est une ordure au Splendid) mais entame une fructueuse collaboration avec Patrice Leconte, dans des films inspirés des comédies de mœurs d’alors. Viens chez moi, j’habite chez une copine et Ma femme s’appelle reviens (deux films dont Michel Blanc signe les dialogues), et Circulez y’a rien à voir, le voit affiner son personnage public de loser devant l’éternel, légèrement lourdaud avec les filles, en y apportant cela dit de jolies nuances.

C’est assez naturellement que ce caractère burlesque et son côté hypocondriaque ont nourri son premier film comme réalisateur : Marche à l’ombre. Vrai film générationnel, ce portrait d’un duo de musiciens sans le sou qui vaquent du mieux qu’ils peuvent dans Paris obtient un grand succès, lançant la carrière de Gérard Lanvin et de Sophie Duez. Un an plus tard, Michel Blanc dialogue Les Spécialistes, de Leconte, caper movie avec Lanvin toujours et Bernard Giraudeau, en y incluant cette touche de pittoresque qui fait mouche à chaque réplique.

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Ne voulant pas se laisser enfermer dans son personnage, Michel Blanc refuse plusieurs projets s’apparentant, selon ses propres dires à un « Marche à l’ombre 2 ». À la place, il accepte de jouer le mari (jaloux) de Miou-Miou dans Tenue de soirée, film grinçant sur l’orientation sexuelle signé Bernard Blier, avec un Gérard Depardieu gargantuesque. Ce rôle lui vaut le prix d’interprétation à Cannes en 1986. Sa mise à nu (au sens propre du terme) se poursuit avec le jubilatoire Une nuit à l’Assemblée nationale, pochade politique signée de l’inénarrable Jean-Pierre Mocky, dans lequel Blanc incarne un naturiste radical. Sic.

La consécration de Michel Blanc comme acteur caméléon se matérialise avec Monsieur Hire en 1989, adaptation de Simenon et remake plus ou moins déguisé du Panique de Duvivier. D’une admirable précision, le film, signé Patrice Leconte, fait porter à l’auteur de Marche à l’ombre le rôle éponyme, celui d’un voyeur solitaire, tombant amoureux de sa voisine d’en face (Sandrine Bonnaire), et se retrouvant accusé d’un meurtre. Outre son interprétation remarquable de ce personnage tragique, Michel Blanc partage, par le biais de scènes d’observation illustrées par le son d’un tourne-disque, l’une de ses passions méconnues : la musique classique.

Un acteur et un réalisateur installé

De retour sur les planches (Art de Yasmina Reza), de passage dans le cinéma britannique (Prospero’s Books d’après Shakespeare), ou aux côtés de la crème du cinéma français dans Uranus, Michel Blanc passe le début des années 1990 en diversifiant ses projets. Mais, en 1994, il surprend son monde en réalisant l’ingénieux Grosse fatigue. Il y interprète son propre rôle, et y ajoute une fantaisie : Michel Blanc se rend compte qu’il a un sosie, qui va peu à peu le remplacer et l’entraîner dans un cauchemar. Scénario astucieux, rupture de ton et casting au top (Carole Bouquet, la troupe du Splendid en cameo, Philippe Noiret) font de ce long-métrage à la frontière de la comédie et du thriller psychologique un vrai succès. Après celui de l’interprète masculin pour Tenue de soirée, Michel Blanc reçoit le prix du scénario au Festival de Cannes pour Grosse Fatigue, un doublé inédit.

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C’est donc en auteur accompli que Michel Blanc aborde le XXIe siècle : il tourne d’abord, en partie en Anglais, Mauvaise Passe. Daniel Auteuil est le personnage principal de ce film noir assez déroutant, autour d’un écrivain devenant gigolo dans la haute bourgeoisie britannique. En 2002, retour à la comédie réussi le temps d’Embrassez qui vous voudrez, film choral autour des problèmes de couple, de jalousie et d’orientation sexuelle d’une myriade de personnages réunis en vacances au Touquet. Adaptant en finesse l’humour british de Joseph Connolly, auteur du roman d’origine, Michel Blanc fait découvrir au grand public deux acteurs qui compteront toute la décennie (Mélanie Laurent et Gaspard Ulliel) au milieu d’un parterre de stars (Charlotte Rampling, Carole Bouquet, Karin Viard, Jacques Dutronc, Denis Podalydès, Vincent Elbaz). En 2018, Voyez comme on danse, dernière réalisation de Michel Blanc, reprend les mêmes personnages pour une suite qui a connu un succès public plus modeste.

En dehors des Bronzés 3, retour en fanfare des acteurs du Splendid et succès de l’année 2006, Michel Blanc l’acteur a fait de ses nombreux passages à l’écran des réussites artistiques dans les années 2000-2010. Chez Téchiné, il incarne à merveille les figures d’autorité (chercheur dans Les Témoins, avocat dans La fille du RER) tandis qu’il excelle en directeur de cabinet ministériel technique et addict au travail dans L’Exercice de l’État, pour lequel il obtient le César du meilleur acteur dans un second rôle en 2012.

Ces derniers temps, outre deux scénarios (Une petite zone de turbulences et le grinçant et politique Un petit boulot), Michel Blanc a délivré de jolies performances dans des comédies sociales comme Docteur ? (un médecin de nuit se fait aider par un livreur en vélo la nuit de Noël), Les Petites Victoires (un illettré esseulé s’inscrit, à 65 ans, à l’école de son village pour éviter qu’elle ne ferme) ou encore Marie-Line et son juge (un juge sans permis se fait conduire en voiture par une serveuse, incarnée par Louane, moyennant finance). Autant de témoignages du sérieux et de la générosité avec lesquels Michel Blanc, le visage le plus familier du cinéma français, abordait chaque emploi, comique ou plus sombre, depuis des décennies. 

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Article rédigé par
Thomas Chouanière
Thomas Chouanière
Journaliste
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