Longtemps indisponible avant que quelques “prescripteurs“ ne reconnaissent le niveau d‘excellence et de créativité de cet album sorti en 1974, « Nino & Radiah » fête aujourd’hui ses 50 ans. Un album totem (pour plusieurs raisons) dans la discographie de ce grand monsieur qu’était Nino Ferrer, et qui ressort dans une très chouette édition complétée de titres inédits, d’hommages et de sa cultissime pochette revue et dessinée par l’excellent auteur de BD Blutch.
La fin des yeah-yeah !
En 1974, l’auteur de Mirza, de Le Téléfon, des Cornichons, de Mao et Moa, de Je veux être noir et autres croustillantes compositions ou adaptations plus ou moins assumées de titres de R&B US avait déjà pris ses distances avec le showbiz et l’industrie.
Dandy exigeant, musicien érudit, celui qui a toujours considéré la fièvre des yéyés comme un phénomène de foire dont il tentait tant bien que mal de se détacher avait déjà pris une direction artistique bien différente à l’orée des Seventies.
Les deux précédents virages à 180 degrés qui précèdent Nino & Radiah (que nous célébrons aujourd’hui) – Métronomie et Nino Ferrer & Leggs – en sont les parfaites illustrations.
Si sa verve sarcastique a toujours été présente dans le legs musical que Nino Ferrer nous a laissé, les albums évoqués ci-dessus épousent parfaitement l’époque. On retrouve ces vibrations de rock psyché/expérimental, de jazz-funk et autres “envolées” qui tranchent radicalement avec les formats et le registre des chansons auxquelles nous avait habitués Nino Ferrer dans les années soixante. Une époque où le 45 tours et les titres de trois minutes maximum étaient légion.
Un tube, sinon rien !
Concernant Nino & Radiah, dont on célèbre le cinquantenaire cette année, comme souvent avec les albums devenus “cultes”, le démarrage des ventes fut laborieux.
Ce disque fut un véritable four commercial avant que la maison de disques re-presse et ressorte l’album en y intégrant « Ze tube » : Le Sud. Un titre qui changera la destinée de l’album et peut-être probablement celle de l’artiste lui-même. Si on se fie à la littérature autour de l’œuvre du génial Nino Ferrer, l’histoire est assez rocambolesque : bras de fer avec sa maison de disques pour que ce titre totem dans sa discographie finisse finalement par être ré-enregistré en français.
Car la version originale de ce tube rentré dans l’inconscient collectif français fut initialement enregistrée en Angleterre et en langue anglaise (comme le reste des titres de l’album d’ailleurs). Avant le Sud, il y avait donc The South pour ceux qui ne maîtrise pas la langue de Shakespeare !
A l’époque, Nino Ferrer n’en démord pas. Sa maison de disques ne veut pas publier l’album Nino & Radiah s’il est intégralement chanté en anglais. Il enregistre donc plusieurs versions du Sud en français mais refuse de l’inclure dans l’album, car Nino est un musicien intègre qui, à juste titre, veut avoir le “final cut”.
Finalement, Le Sud sort indépendamment du LP, en single (45 tours vinyle à l’époque) et… fait un carton !
C’est autour de ce tube que sont publiées aujourd’hui, en parallèle de cette réédition, des versions revisitées par Guts, Florian Pellissier et le brillant producteur arrangeur Patchwork. Tous trois grands fans de Nino Ferrer.
Un casting de luxe
Quant au reste de cet album majeur, les accointances de Ferrer avec les musiques afro-américaines sont limpides. Soul, jazz, funk et groove en tout genre. Les musiciens embauchés pour cet enregistrement appartiennent à un groupe de Long Island basé momentanément à Paris et connu sous différents noms dont le plus célèbre a rendu hystériques bon nombre de DJ hip-hop et autres collectionneurs de vinyles rares : The Lafayette Afro Rock Band.
Avec cette equipe de cadors et la voix de Radiah Frye qui doublonne celle de Nino Ferrer, l’album, bien que cinquantenaire, réserve pleins de surprises.
Des titres à rallonges (les succulentes 8 minutes de Hot Toddy), des vibrations mi-folk, mi-funk du meilleur goût (Moses), des clins d’œil à des titres qui ont façonné Nino Ferrer (Mint Julep) et bien évidement, les versions anglophones et francophones de l’emblématique refrain que vous allez avoir toute la journée dans la tête.