À l’occasion de l’annonce du lauréat du Prix BD Fnac France Inter 2024, L’Éclaireur a échangé autour de l’album avec le scénariste Laurent Hopman et le dessinateur Renaud Roche.
Ce Prix BD Fnac France Inter vient confirmer l’excellent succès critique et public depuis la sortie de l’album. Que représente cette récompense pour vous ?
Renaud Roche : Ça paraît étrange, mais il y a un côté un peu surréel pour moi. Depuis octobre, j’ai l’impression d’être pris dans un tourbillon. On a beaucoup de dédicaces, ça se passe toujours très bien, et on rencontre des personnes très enthousiastes, c’est vraiment touchant. Les prix, ça vient officialiser toute cette situation. Ça me renforce dans mon choix de carrière, aussi. J’ai exploré plusieurs milieux et j’aime celui de la bande dessinée, même si j’avais toujours retardé mon arrivée dans ce dernier. Aujourd’hui, on a l’impression que les planètes s’alignent. Ça me donne du courage et de l’énergie pour la suite et pour continuer dans cette voie.
Laurent Hopman : La bande dessinée est un travail solitaire par essence. Donc rencontrer le public et avoir un prix aussi prestigieux, c’est une grosse surprise. Grosse surprise également d’avoir été choisi, puisque c’est notre premier livre. Cette décision est un soutien à la création, c’est donner sa chance à un petit éditeur et à des auteurs inconnus en les récompensant de la sorte.
Quelle est l’origine du projet ? La volonté de raconter une histoire qu’on connaît sans vraiment la connaître ?
L.H. : Oui, c’est ça ! Tout le monde sait que Star Wars a été un film révolutionnaire. Mais quand on a découvert à quel point sa création avait été chaotique et difficile, ça nous a donné envie de raconter son histoire. Du point de vue humain, elle est finalement méconnue. Parfois, la détermination, la persévérance et l’audace peuvent payer, même quand tout semble contre soi, quand tout semble difficile et insurmontable. C’est ça qui nous a touchés, c’est le fait que George Lucas est parvenu à surmonter tous ces obstacles.
Comment s’est déroulée votre collaboration, entre le scénario et le dessin ?
R.R. : On toujours eu de très bons échanges. À chaque fois que je faisais des suggestions liées à la mise en scène, ou même aux propos, on en discutait très ouvertement. Ça a fait gonfler le projet au fur et à mesure, mais on était tous les deux convaincus que ça allait l’améliorer.
« Ce qui nous a touchés dans cette histoire, c’est le fait que George Lucas arrive à surmonter tous ces obstacles. » Renaud Roche, dessinateur
Que représente Star Wars pour vous ?
L. H. : Pour moi, ça a été une découverte tout petit, puisque j’ai vu le premier film en salles, en 1977. J’ai été profondément marqué par cet univers qui était en rupture totale avec ce qui se faisait à l’époque au cinéma. À partir de là, ça a été une passion. Rejouer le film avec des figurines, faire travailler son imagination… Puis découvrir les films suivants, les uns après les autres, avec toujours autant d’émerveillement.
R. R. : Je n’étais pas né au moment du premier, mais comme beaucoup de personnes de ma génération, je l’ai découvert avec les VHS. J’ai un souvenir ému de ce coffret avec le casque de Dark Vador. En revanche, j’ai vécu de près toute l’excitation, toute l’effervescence déjà à l’annonce de la prélogie. J’ai fait les séances des épisodes I, II et III aux séances de minuit et quoiqu’on pense des films en eux-mêmes, c’était une super expérience de les vivre !
Le travail de documentation a-t-il été un long processus pour tout comprendre à l’univers Star Wars, avant l’écriture du scénario ?
L. H. : En tant que fan, j’avais déjà une bonne connaissance de Star Wars. Mais au moment de rentrer dans le scénario, c’était effectivement crucial de reprendre toute la documentation et de reconstituer le fil de l’histoire, en vérifiant toutes les sources, en s’assurant qu’on ne raconte pas de bêtises ! Il fallait être fidèle, et remettre le nez dans une montagne de documentation, tout repasser, tout relire. On trouve parfois des informations très intéressantes en marge de l’histoire officielle, dans une interview de quelqu’un qui parle d’autre chose. C’est passionnant de regarder ce que tous les intervenants ont pu dire quand ils parlent des films qui sont sortis un ou deux ans plus tard, ou même avant. Il y a beaucoup d’anecdotes un peu plus inédites qui viennent de ces sources-là.
Avez-vous découvert des informations que vous ignoriez totalement, ou qui ont modifié certaines de vos croyances sur le sujet ?
L. H. : Oui, on se rend compte qu’il y a beaucoup de conflits dans la création de Star Wars, notamment entre George Lucas et le monteur qu’il avait engagé sur le tournage en Angleterre et qui était censé monter au fur et à mesure le film, et avec qui ça ne collait pas du tout. Des petits détails comme ça où on reconstitue le puzzle. Ce n’était pas juste une difficulté, mais une multitude de difficultés. Quand elles s’accumulent, ça transforme le tournage en véritable enfer.
Concernant le dessin, il y a un splendide découpage artistique et un choix intéressant de la couleur, ou de son absence…
R. R. : Cette volonté d’épuration dans le trait, de sobriété, compte tenu de la densité du récit et pour garder un dynamisme, une fraîcheur, une vie, était importante et volontaire pour aider à la lecture. Concernant la couleur, là aussi, pour des questions d’une part de temps, de densité de projet, ça aurait été compliqué de tout faire en couleur. Et puis même au-delà de ça, ça nous aurait privés de cet élément narratif supplémentaire. Tout est signifié et signifiant. Ça donne du sens à certains éléments et ça enrichit la narration et la lecture. C’était peut-être pas évident au début, on a peut-être un peu hésité, tâtonné, mais ça s’est mis en place petit à petit et c’est finalement devenu organique. J’ai vraiment essayé de faire en sorte que tout ait du sens.
Certaines pages sont très émouvantes, comme celles où George Lucas découvre la musique de John Williams. Y avait-il un élément que vous aviez hâte d’illustrer ou d’écrire ?
L. H : J’avais hâte de raconter le clash qu’il y a eu entre Francis Ford Coppola et le patron du studio Universal, avec Coppola qui finit par sortir son chéquier en disant « je rachète le film ! ». Des moments comme ça, c’est fascinant.
R. R : Les pages sur Williams, je les attendais de pied ferme ! On a beaucoup de pages qui se passent dans des bureaux, c’est pas forcément ce qu’il y a de plus excitant à dessiner et à mettre en scène, même si c’est intéressant en termes de défi. Mais là, il y avait un orchestre et tout ce que ça implique sur le plan épique et émotionnel. Il ne fallait pas se rater, car c’était des pages essentielles et je suis ravi qu’on nous en parle souvent. De façon plus personnelle, j’ai adoré toutes ces pages qui décrivent les versions antérieures du scénario. Il y avait une liberté visuelle quasiment totale.
Il y a également une plongée dans le système hollywoodien de cette époque. Star Wars aurait pu ne pas exister…
L. H. : C’était une des difficultés du scénario. Il y a des histoires très compliquées de contrats, des rapports de force, des chronologies complexes… Il faut les simplifier sans les dénaturer, en gardant quand même l’essence de ces conflits, sans trop rentrer dans le détail. C’est crucial de parler de ça, parce que l’argent est le nerf de la guerre à Hollywood. Il faut aborder cette dimension-là, car si on ne l’avait pas fait, on n’aurait pas eu un tableau complet des problèmes que Lucas a rencontrés.
Était-ce difficile de condenser tous ces éléments en un seul album ?
L. H. : Ça s’est fait assez naturellement, mais c’est la construction de tous ces éléments qui amènent une fluidité et une compréhension. Il faut qu’on sente la tension, le drame, qu’on se demande même si Star Wars va se faire !
C’est un récit profondément optimiste, qui montre la force des rêves. Est-ce le thème principal, selon vous ?
L. H. : Oui. C’est vraiment un parcours humain de voir Georges Lucas commencer tout en bas, sans rien, et puis petit à petit, gravir les échelons et rester authentique, fidèle à sa vision sans se compromettre. Il termine son aventure telle qu’il l’a commencée. Il y a évidemment le parcours du héros où il a gagné plein de batailles, a évolué, grandi… Mais sa personnalité profonde n’a pas changé. Ça reste toujours quelqu’un d’honnête, quelqu’un de droit. Et c’est en ça qu’il est un modèle.
R. R. : L’idée, c’est justement d’essayer de mettre l’accent sur l’émotion des personnages pour que, tout de suite, il y ait une connexion, une empathie qui se crée entre le lecteur et le récit.
« Il faut qu’on sente la tension, le drame, qu’on se demande même si Star Wars va se faire ! » Laurent Hopman, scénariste
À travers l’album, on découvre de nombreux autres réalisateurs emblématiques en train de créer leurs propres légendes. Aimeriez-vous vous intéresser à l’un d’eux à l’avenir ?
L. H. : C’est une époque assez incroyable. Coppola, c’est peut-être le premier nom qui vient à l’esprit avec Spielberg quand on pense à cette période. Il y aurait certainement des histoires formidables à raconter sur la création de certains de leurs films emblématiques.
R. R. : Dans le second tome, on va justement évoquer Indiana Jones, développer l’amitié entre George Lucas et Steven Spielberg, et accentuer cette collaboration mythique, qui a donné lieu aux plus grands films de l’histoire.
L’idée est donc de consacrer un tome pour les trois films Star Wars ?
R. R. : Oui, en tout cas le deuxième, ça va être autour de L’Empire contre-attaque (1980) et des Aventuriers de l’Arche Perdue (1981), qui ont été conçus quasiment au même moment. Ensuite, avec le troisième tome, Le Retour du Jedi (1983) et l’époque de l’ascension et de la construction, je dirais, de son statut et de la place que Lucas s’est faite à Hollywood.
L. H. : C’est plus sombre. Comme L’Empire contre-attaque, finalement. Il y a vraiment un parallèle à faire.