A l’occasion de son 40e anniversaire, Yentl se dévoile un peu plus à travers une édition DeLuxe. On y retrouve notamment des versions alternatives ou des démos exceptionnelles enregistrées par Barbra Streisand et Michel Legrand au piano. Rémy Batteault, rédacteur en chef du magazine Regard en Coulisse, nous explique pourquoi ce film musical est devenu culte.
Yentl en quelques mots…
1904. À la mort de son père, Yentl, jeune juive polonaise enfreint les règles de la Torah en se travestissant en homme pour pouvoir étudier le Talmud. Elle rencontre Avigdor dont elle tombe amoureuse, mais ne peut lui révéler sa véritable identité…
Quelle est la place de ce film dans l’histoire du musical ?
Rares sont les comédies musicales réalisées par des femmes, encore moins par des divas ultra célèbres… Yentl est donc un exemple particulier, le fruit par ailleurs d’un acharnement de la part de Barbra Streisand. L’histoire débute en 1962 lorsqu’elle lit la nouvelle de Isaac Bashevis Singer. Les droits achetés, elle n’avait pas prévu de le réaliser elle-même. Toutefois, avec sa maîtrise absolue de son travail, par exemple sur ses enregistrements discographiques, et avec sa curiosité et son talent, il semblait compliqué pour un réalisateur de travailler sereinement. Lors du tournage de Funny Girl (1968), elle avait pour habitude de mettre son grain de sel un peu partout, ce qui a pu agacer William Wyler, qui était loin d’être un novice ! Milos Forman, devant les idées arrêtées de la star, lui conseille de réaliser le film elle-même. Il en aura fallu de la pugnacité pour qu’elle y parvienne.
Pourquoi le film Yentl est-il devenu culte ?
Yentl, depuis sa conception même, avait tout pour devenir un film culte. A sa tête une star mondiale, ultra diva s’il en est, l’histoire d’une émancipation très forte doublée d’une réflexion sur les attirances sexuelles, une œuvre profonde au lyrisme amplifié à l’envi par la musique de Michel Legrand qui remportera un Oscar – sans oublier les paroliers Marilyn et Alan Bergman. Dans ce film, la star est omniprésente (ce lui fut d’ailleurs reproché, elle est quasiment de tous les plans) et omnisciente. Rien ne lui échappe et son sens de la perfection, qui n’a pas dû être simple à gérer au quotidien pour l’équipe, donne une aura au film. L’investissement moral de la réalisatrice dans cette histoire très ciblée (l’étude du Talmud est un sujet pour le moins pointu) se révèle payant. L’édition du 40e anniversaire contiendra l’intégralité de la bande de démonstration des chansons. En effet, afin de tenter de convaincre les producteurs, Barbra enregistra chez ses paroliers l’intégralité des airs du film, accompagnée au piano par Michel Legrand, tout en racontant l’histoire résumée. Autant dire un document à haute valeur ajoutée pour les nombreux fans !
Yentl a 40 ans, l’âge de Barbra Streisand lors du tournage. Ce rôle a-t-il constitué un tournant dans sa carrière ?
Ce fut un tournant pour elle qui, au travers du personnage central, évoque son propre père, cet homme qu’elle n’a pas connu puisqu’il est mort quand elle avait un peu plus d’un an et qui hantera toute sa carrière. Les indices de hasard s’accumulant, comme si son père lui envoyait des signes ad patres, Barbra Streisand n’avait plus le choix : réaliser le film. Consciente que, dans la nouvelle, le personnage est à peine sorti de l’enfance, elle le vieillit de manière à pouvoir incarner, sans être ridicule, une jeune femme de 28 ans. Notons que dans une comédie musicale, l’adaptation cinéma de Hello Dolly, elle incarnait une femme d’âge mûr alors qu’elle n’avait que… 25 ans lors du tournage. Ce film est un pari, le tournage du dernier plan, tel que la star le raconta lors de son tour de chant, le résume. La mise en place est complexe : on part du visage de Yentl sur un bateau, la caméra s’envole dans les airs. La lumière doit être parfaite, à l’instar de la technique de prise de vue qui se doit d’être fluide. Tout allait de travers, le ciel n’était pas dégagé et d’un seul coup, comme si son père avait choisi d’intervenir et de lui faire un beau cadeau, la mer resplendit d’une lumière magnifique. Ils n’ont pas le droit à l’erreur, le plan ne peut être tourné qu’une fois. Et il est magnifique. L’autre pari est le succès du film, alors qu’on lui promettait un four retentissant. Toutefois Hollywood n’aime pas trop les fortes têtes et choisit, contre toute attente, de l’ignorer aux Oscars, sauf pour la musique de Legrand.
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