Caroline Madjar est une journaliste franco-britannique née à Paris et vivant à Londres où elle exerce en tant qu’International Managing Editor pour l’agence Cover Media. Passionnée de musique, elle mixe ses vinyles pop et rock préférés aux platines de certains pubs de la capitale britannique. Son polar vient de voir le jour. Rencontre.
Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce polar ?
Caroline Madjar : Ça m’a pris un an pour écrire Le Regard du Hérisson… mais l’idée est venue au début des années 2000 ! Il m’a d’abord fallu longtemps pour prendre confiance en moi pour (oser) passer à la phase d’écriture, mais l’idée revenait sans cesse. Donc je me suis dit « Autant ouvrir Word, comme ça mon cerveau passera à autre chose ». Je n’étais pas satisfaite de moi, donc je l’ai laissé dans un coin, mais d’autres idées venaient se greffer. Ça peut venir simplement en prenant le bus, le genre de trajet que je passe en étant dans la lune, puis mon regard s’arrête sur quelqu’un et je m’imagine où va cette personne, d’où elle vient, ce qu’elle fait dans la vie, etc. Ou une situation chopée au pub, dans la rue, que j’extrapole. Parfois ça collait avec l’histoire. Et j’ai fini par me dire que le pire n’était pas de me trouver nulle, mais c’était d’avoir commencé quelque chose et ne pas le finir. L’autoflagellation, ça peut être pas mal finalement.
Pourquoi un polar ?
C.M. : J’adore les polars. J’en dévore depuis que je suis petite. Agatha Christie, les Juge Ti, Conan Doyle, Michael Connelly… J’aime quand, en plus de l’histoire racontée, on (le lecteur) prend aussi part à l’histoire, d’une certaine façon, en tentant de trouver le coupable. Je ne suis pas fascinée par le crime en lui-même. Ce qui m’intéresse c’est le pourquoi. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Le Regard du Hérisson. Pourquoi tue-t-il ? Pourquoi prendre les yeux de ses victimes ?
Avez-vous un rapport particulier avec le quartier des Batignolles ?
C.M. : J’y ai vécu quelques années. Et c’est en vivant dans ce quartier que l’idée du Regard du Hérisson est venue. J’avais entendu une rumeur, en allant un jour chez l’épicier, sur un meurtre qui aurait eu lieu dans une rue non loin de chez moi (rumeur que je n’ai jamais cherché à vérifier) et les idées sont venues de là. J’avais envie de décrire un quartier, des gens. On dit souvent que les grandes villes sont impersonnelles et qu’il n’y a pas de vie comme dans un village. Je ne pense pas que cela soit vrai. Si on parle aux commerçants, aux gens, qu’on s’intéresse un minimum à eux – et c’est le cas aussi à Londres où je vis depuis plus de 12 ans – on peut avoir (d’agréables) surprises. Je crois qu’on l’a tous constaté pendant la pandémie dans les premiers temps. Il a bien fallu s’entraider, qu’on soit dans une grande métropole ou pas. Donc communiquer avec le voisin, apprendre à le connaître et à s’ouvrir aussi aux autres.
Pourquoi ce choix de coupler écrit et musique ? Et comment avez-vous choisi les titres de la bande-son ?
C.M. : J’écris en musique. J’en écoute tout le temps et je passe aussi des disques de temps en temps. Ça donne une ambiance, une atmosphère, un sentiment, une humeur. On est perpétuellement entouré de musique (qu’on aime ou pas), au supermarché, dans les transports, en été quand toutes les fenêtres sont ouvertes. La bande-son du Regard du Hérisson est composée de chansons que j’écoute. J’ai essayé de les faire correspondre au caractère des personnages. Ce qu’on écoute en dit parfois plus sur nous que tout ce qu’on peut expliquer. Que la commissaire Mandrot aime bien Iggy Pop, par exemple, est révélateur d’une partie de son caractère. Pour le tueur, la musique est, selon moi, la dernière et seule chose qui le raccroche au réel, à l’humanité, c’est-à-dire que même s’il a complètement vrillé, il reste un être humain. Les monstres n’existent pas.
Ce roman est-il en partie autobiographique ? Vous inspirez-vous de personnages de votre entourage pour créer les vôtres ?
C.M. : Il y a, je crois, toujours une part autobiographique. J’ai situé les actions dans des lieux que je connais, j’ai choisi des chansons que j’écoute. La bande-son est le personnage qui me ressemble le plus. À part ça, l’avantage d’une fiction c’est que tout est possible. Ancrer quelque chose dans le réel le rend crédible et on peut s’y identifier. Et si vous cherchez un bon bar ou pub à Paris, Londres ou l’Ile d’Yeu, vous pouvez pousser la porte de ceux cités dans Le Regard du Hérisson les yeux fermés ! La bière y est fraîche, les plats sont bons (et pas hors de prix) et le personnel vous accueillera très bien.
Grandir avec autant d’influences musicales et littéraires, n’est-ce pas un frein pour sa propre création ? Ou comment trouver son propre style ?
C.M. : Je crois qu’au contraire, ça élargit les horizons. Au début, je n’osais pas forcément faire ce que je voulais des personnages qu’on trouve dans Le Regard du Hérisson. Lire beaucoup et écouter (beaucoup aussi) de musique, c’est également s’intéresser aux auteurs en tant que personne, à leurs influences, ajouter d’autres livres à lire et musiques à écouter, découvrir leurs parcours et passer de « mais pourquoi ?!? » à « et pourquoi pas ? ». Ça change toute la perspective, et pas uniquement pour écrire un livre. En tout cas, pour moi.
Aujourd’hui, vous écoutez quoi ?
C.M. : Wet Leg, Lemon Twigs, Billie Eilish, Unloved, Elliott Armen, Freya Beer, John Murry, Enda Mulloy, Voodoo Radio, Cronin, un groupe de l’East London qui s’appelle Feral Five et vient de sortir son LP, Truth Is The New Gold. J’aime beaucoup le nouveau Matmatah, Miscellanées bissextiles, ainsi que la dernière livraison de Lawrence via son groupe Mozart Estate, intitulée Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. Et puis j’attends le prochain Noel Gallagher qui, je pense, sera une bonne surprise par rapport aux précédents.
Que fait Caroline Madjar lorsqu’elle n’écrit pas ?
C.M. : Elle écrit pour vivre, puisqu’elle est journaliste ! Sinon, je passe des disques avec une bande de DJs assez déjantés, les SuperSevens. Le principe est de passer des 45-T chacun notre tour pendant 20 minutes. Il n’y a pas de style musical imposé. La seule contrainte : on doit passer des vinyles format 45-T. C’est une fois par mois dans un pub de Londres. On fait aussi des sessions pour Voices Radio, qui est une station indépendante à King’s Cross. Sinon, on peut me trouver au pub, où je me pose souvent… pour écrire. À Londres, quand on n’a pas de jardin ni de terrasse, il y a toujours un beer garden à proximité – et il ne pleut pas tout le temps !