L’excellente exposition présentée à la Philharmonie de Paris autour du musicien nigérian Fela Anikulapo Kuti, (Rebellion Afrobeat) nous ouvre la voie pour un tour d’horizon sur ce genre musical à part entière. Né en Afrique de l’ouest dans le sillage des orchestres de hi-life des années 50 et 60, l’afrobeat est aujourd’hui devenu phénomène mondial. Passé, présent et futur d’une musique pas comme les autres
Communément appelé AFROBEAT, la musique mise au point par Fela avec le concours de son compère le batteur Tony Allen a fait du chemin depuis les turbulentes sixties à ce début 2023. En 5 décennies, d’autres générations ont pris le relais, faisant évoluer le genre et le style, le fusionnant naturellement avec les vibrations de chaque époque ou d’autres coins de cet immense continent qu’est l’Afrique.
Alors c’est quoi exactement l’afrobeat ? Un grand écart qu’on va essayer de vous expliquer ci-dessous et tenter de faire le lien avec Tony Allen, la famille Kuti, Peter King, Antibalas, Les frères Smiths ou d’autres porte-drapeaux de l’afrobeat. Qu’il soit « canal historique » ou « son-afro du moment ».
Il était une fois…
Né en Afrique de l’ouest dans le sillage des orchestres populaires de JuJu et de Palm Wine music, de Hi-Life ghanéen & nigérian des années 50 et 60, mais aussi du jazz et du funk importé du continent nord-américain, l’afrobeat est aujourd’hui devenu un phénomène mondial dont les formes ont parfois aussi muté avec l’époque. D’orchestres conséquents, polyrythmiques et le plus souvent cuivrés d’hier, on entend aujourd’hui sous étiquette AFROBEATS des artistes qui épousent les codes électro, modern pop, hip-hop ou RnB.
Si certains boomers, souvent férus de jazz, ont eu la chance de voir les quelques rares concerts de Fela sur le sol français, les quadras et les quinquas d’aujourd’hui ont redécouvert le genre dans les années 2000. Au début de 21eme siecle, le succès grandissant de Femi (le fils ainé), les 1ere rééditions de la gargantuesque discographie du père et la culture du sample ont définitivement fait remonter d’un cran la popularité mondiale et l’engouement de l’Afrobeat. Et aujourd’hui, c’est la jeunesse qui ne jure que par Wizkid, Rema, Yemi Alade, C.Kay et autres Burna Boy et découvre que Made Kuti avait donc un grand-père nommé Fela. Des jeunes artistes qui revendiquent le terme Afrobeat eux aussi.
Fela Kuti : Père spirituel, rebel & funky
Je ne pense pas trop prendre de risque en affirmant que l’afrobeat en effet, c’est Fela. C’est donc tout logiquement ce musicien né en 1938 à Lagos, Nigeria et disparu en 1997 qui est au centre de la chouette exposition visible à la Philharmonie de Paris jusqu’au mois de juin 2023 qu’on vous invite à aller voir.
Saxophoniste formé dans une prestigieuse université londonienne, Fela Kuti a théorisé l’afrobeat pour le mettre immédiatement en pratique à la suite d’une tournée aux États-Unis en plein bouillonnement à la fin des sixties. Prenant conscience de la révolution qui grondait dans les rangs afro-américains, des politiques verrouillées quand elles ne sont pas ouvertement racistes ou corrompues, des mensonges d’état et d’une partie du peuple laissé sur le bas coté, il retourne sur ses terres natales avec un discours bien plus radical qu’auparavant.
Les gisements de pétrole de la région attisent les convoitises et malgré une géopolitique complexe et discutable, les nigérians voient leurs niveaux de vie augmenter. Un effet d’aubaine pour la vie culturelle d’une mégapole comme Lagos qui devient avec quelques autres grandes capitales du continent, une ville ou la vie nocturne bat son plein et ou l’industrie musicale se develloppe. Un discours engagé et rebel porté par une musique qui empreinte autant à ses racines yoroubas qu’aux vibrations afro-américaines, funk en tête, et c’est tout naturellement que l’afrobeat de Fela se fera bande son officieuse des nuits de Lagos. Le pouvoir local tente de le bâillonner (prison, fermeture de son club, pressions diverses…) mais la machine est lancée et son célèbre slogan avec : Music Is A Weapon (La musique est une arme).
Vibrations mondialisées
C’est probablement cette posture combative couplé aux puissants grooves de cette musique hors norme (pour rappel, les morceaux de Fela font rarement moins de 10 minutes) qui a séduit quelques années après la disparition du Black President une kyrielle de groupes de par le monde. Des musiciens qui se prennent au jeu de l’afrobeat dans sa forme “classique” comme d’autres le font avec le reggae, la soul, le punk ou la cumbia.
Antibalas et Kokolo à New York, Soul Jazz Orchestra à Toronto, Les freres Smiths a Paris, Shaolin Afronauts en Australie,Kokoroko à Londres…Et les disques et performances des enfants du “patron” (Femi, Seun & Made Kuti) portent tous à leur manière un héritage musical qui séduit aux quatre coins de la planète. Section de cuivres XXL, basses et guitares funk, percussions organiques et claviers chaleureux et hypnotiques sont les éléments qu’affectionnent tous ces musiciens qui avec plus ou moins d’originalité utilise le même langage que les pères fondateurs.
Le boom des beats afros
Est-ce parce que le Nigeria, historiquement doté d’une puissante industrie du disque, en passe de devenir dans quelques années le pays le plus jeune et le plus peuplé d’Afrique que Burna Boy, Wizkid, Rema & Co squattent le top des ventes / streams, font des featurings avec Ed Sheeran, Jorja Smith, sont invité par Beyonce ou d’autres stars de la pop internationale, remplissent Bercy Arena, Madison Square Garden, stades géants et finissent par s’imposer dans le décor de la pop mondiale ?
Reprenez votre souffle car les chiffres vont vous le couper. Si certaines productions n’ont musicalement que quelques lointains cousinages avec l’afrobeat des anciens, d’autres ont tout de la suite logique mise au gout du jour et des vibrations du moment, voir de celles du futur. Propos revendicatifs scandés en pidgin nigérian, rythmiques souples et hypnotiques, shows marathon et des concerts démesurés, basses profondes et bien évidemment, le dancefloor rempli comme une rame de la ligne 13.
Qu’on y voit un lien ou pas avec l’afrobeat d’hier, ce qui est certain en revanche c’est l’influence de ces “sons” sur le reste de la production planétaire.
Le terme Afrobeats synthétise donc aujourd’hui cette nouvelle vague d’artistes africains contemporains, de culture urbaine et connecté au reste du monde. Un terme devenu générique et qui balaye d’un coup toute les idées reçues et raccourcies sur les musiques modernes d’Afrique. Des musiques qui comme le rock, le rap, la musique classique occidentale ou le jazz ne peuvent qu’être plurielles, evidement.
Music is The Weapon scandait Fela il y a 50 ans, le slogan est visiblement toujours d’actualité !