Décryptage

Aux origines du ragga/dancehall

18 mai 2022
Par Mathieu M.
Aux origines du ragga/dancehall

Avec le nouvel album de Sean Paul, Scorcha, le ragga fait son grand retour sur les ondes. L’artiste représente en effet le courant mainstream de ce dérivé scandé du reggae, né en Jamaïque et popularisé par des artistes dits « dancehall », comme Yellowman et Barrington Levy, avant de devenir un style très répandu grâce à Capleton ou Damian Marley. Retour sur les quarante d’histoire du ragga/dancehall.

Un prolongement du reggae : le dancehall

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L’histoire du ragga commence avec l’invention du reggae, au cours des années 1960 : adaptant le ska et le rocksteady (forme jamaïcaine de rhythm’n’blues), des artistes de Kingston créent une nouvelle musique. L’instrumentation est rock (guitare, batterie, basse, orgue), et une base en contretemps donne à cette musique une rythmique très originale. Les mélodies du chant, en particulier de vocalistes comme Bob Marley, Jimmy Cliff ou Horace Andy, rendent le genre très accessible. Dès les années 1970, le reggae déferle en Europe, en Angleterre et aux USA, et séduit tous les continents, par son message de paix et de spiritualité très parlant dans les pays en voie de développement.

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Le genre évolue très vite : dans les seventies, les producteurs créent par exemple le dub, une version instrumentale du reggae, où le « riddim » est transformé à coup d’effets de studio, comme la reverb ou le delay. Parallèlement, les sound system, ces installations éphémères où l’on passe des disques de reggae, promeuvent les « DJ » ; ces animateurs chargés d’annoncer les titres deviennent des artistes à part entière. En particulier leur manière de scander, le « toasting », influence la naissance d’un genre : le dancehall. Ce nom s’inspire des salles de bal où l’on danse sur les rythmes syncopés dans toute la Jamaïque.

Du dancehall au ragga

Englishman-barrington-levy-dancehallLe premier grand artiste du dancehall se nomme Barrington Levy. Sur son album Englishman, à la fin des années 1970, le jeune homme de 16 ans utilise à bon escient une rythmique reggae roots en le croisant avec un style vocal volontairement ensoleillé, légèrement scandé. Parfois, son « flow » suit l’une des pistes instrumentales, pour mieux souligner le groove du morceau.

Dès lors, le dancehall va se développer dans ce sillage, avec des interprètes comme Eek-A-Mouse (à écouter : Wa Do Dem) mêlant le toasting des DJ et les techniques de chant plus traditionnels du reggae. Leur innovation est aussi thématique : à la spiritualité du reggae roots et du style rockers, les artistes comme Yellowman ou General Echo substituent une certaine obscénité dilettante –  « Slackness » dans le patois local.

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En 1980, le recul du reggae chanté atteint son nadir : la plupart des artistes les plus populaires en Jamaïque sont DJs et pratiquent le dancehall, dans sa dimension scandée. Un artiste comme Horace Andy choisit même de donner au genre un album, Dance Hall Style, en 1982. Au milieu des années 80, le courant scandé gagne même le hip hop américain (Yellowman enregistre avec Run DMC), son cousin germain : les New-Yorkais comme les Jamaïcains s’adonnent aux battles et aux danses autour de sound-system, tenus par des gaillard(e)s qui ont comme seul but d’être les plus flamboyant(e)s derrière le micro. Bientôt, les artistes dancehall voient arriver en studio de nouvelles machines digitales, permettant entre autres l’usage de samples et de riffs synthétiques au kilomètre. Le ragga naît de cette innovation technologique. Un même « riddim » est ainsi repris par de nombreux DJs, qui lui apportent leurs paroles et leur flow.  

Le premier tube de cette ère électronique sera (Under Me) Sleng Teng, produit par King Jammy pour le DJ Wayne Smith. Son riddim fera le tour de la Jamaïque, répandant le style raggamuffin dans la sphère dancehall. Chaka Demus, Lady Saw ou Shabba Ranks bénéficieront de ce type d’arrangement pour imposer leur flow. Le dernier cité, avec Mr. Loverman, étendra le ragga-dancehall aux ondes internationales, quelques années avant Shaggy, qui donne une version R&B du genre à travers ses tubes It Wasn’t Me, Boombastic ou Angel.

Les plus grandes stars du reggae des années 1990 en Jamaïque, Sizzla et Buju Banton, s’adonneront à un reggae dancehall particulièrement réussi tout au long de leur carrière.

L’exportation du ragga-dancehall dans le monde entier

nas-damian-marley-Distant-relatives-regga-dancehallLa France connaîtra une vraie phase ragga dans les années 1990, à travers des artistes en réalité proche du dancehall originel, comme Tonton David. Le style de Lord Kossity ou de Raggasonic, parmi les pionniers, explosera auprès du public rap. La tradition s’est d’ailleurs perpétuée : Kalash, star aux Antilles, mêle ragga, rap et zouk sur ses disques, et collabore avec la crème du rap français, de Booba à Niska en passant par Damso.

Aux États-Unis, depuis les années 1990, le ragga est une forme d’expression courante, associée là aussi au rap. Les Fugees, par le biais de Wyclef Jean, ont apporté cette scansion typique dans le hip hop U.S. Et les plus grands maîtres américains ont tôt fait d’inviter les principaux artistes du genre : Assassin figure en featuring de titres de Kendrick Lamar ou Kanye West, Mavado a croisé XXXTentacion ou Iggy Azalea, et Burna Boy représente le dancehall made in Nigéria avec des featurings auprès de Justin Bieber, Stormzy ou Pop Smoke…

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Deux artistes ont également contribué à ce décloisonnement : Capleton et Damian Marley. Le premier, signé chez Def Jam, a livré deux albums majeurs de dancehall rappé, Prophecy et I-Testament, devenant un proche du Wu-Tang Clan. Le deuxième, l’un des enfants de Bob Marley, émerge aux yeux du grand public en 2005 avec Welcome to Jamrock, album où il accueille Nas. Les deux se rencontrent à nouveau cinq ans plus tard pour le disque commun Distant Relatives.

On retrouve d’ailleurs Damian Marley en 2022 sur le prochain disque de la star mondiale du ragga-dancehall : Sean Paul. Ce natif de Kingston a rencontré un grand succès international en 2002-2003 avec son album Dutty Rock. Son talent à populariser une musique assez codifiée s’est remarqué sur des titres comme Get Busy, ou ses featurings Baby Boy (avec Beyoncé) et Breathe (avec Blu Cantrell). Aujourd’hui, il est souvent associé à des artistes comme Sia ou Dua Lipa. Paul a opéré un retour après huit ans d’absence dans les bacs à l’occasion de la sortie de Scorcha, un opus qui va rendre l’été 2022 plus ragga que jamais !

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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