Après des années de silence, l’histoire de Death Row vient de connaître un bouleversement : son ex-artiste star, Snoop Dogg, vient de le racheter, pour en faire une nouvelle structure. Fondé en 1991 par Dr. Dre et Suge Knight, cette structure sulfureuse a contribué à forger la légende du rap West Coast, et promu des figures comme 2Pac. On rembobine.
Death Row, une naissance au firmament
« One, two, three and to the four/Snoop Doggy Dogg and Dr. Dre is at the door ». Novembre 1992, l’Amérique entend pour la première fois le flow irrésistible de Snoop Dogg, le nouveau protégé du producteur (et rappeur à ses heures) Dr. Dre. Ce dernier a invité le grand échalas charismatique sur un single resté légendaire, Nuthin’ But a G Thang, bientôt n°1 des charts rap, et qui assure à l’album The Chronic une immense popularité. Sur la pochette de ce disque, l’un des meilleurs de tous les temps, figure la mention « Death Row Records », avec le macabre logo du label, représentant un condamné à mort sur la chaise électrique.
L’histoire de cette maison de disque a commencé quelques années auparavant. Dr. Dre a fait connaître sa signature sonore à travers son groupe, N.W.A., et travaille sur les productions du MC le plus célèbre de la bande, Eazy E. L’autre figure de proue de la formation, Ice Cube, décide de claquer la porte de leur maison de disque, Ruthless Records, révélant ses griefs envers leur impresario, Jerry Heller. Également dans N.W.A., The D.O.C. convainc alors Dre qu’il se fait cruellement exploiter par ce même label. Le divorce est consommé, grâce à l’intervention d’un certain Suge Knight. Par des méthodes louches, celui-ci réussit à récupérer le contrat liant The D.O.C. et Dr. Dre à Ruthless Records. Dès lors, N.W.A. se brise en plusieurs morceaux : Eazy E reste chez Ruthless, tandis qu’Ice Cube signe chez Priority Records, Dr. Dre fondant Death Row avec Suge Knight.
Ce dernier est un homme vraiment à part. Ancien joueur pro de football américain, il profite de son physique imposant pour percer dans le business de la musique. Sa méthode ? L’intimidation. Son premier coup d’éclat ? Pour le compte d’un client, il réussit à récupérer les royalties d’un tube de Vanilla Ice et à se faire une réputation de manager. Dès le lancement de son label, il réalise une belle prise : Dr. Dre amène dans ses valises Snoop Dogg, principal MC de The Chronic, et futur auteur d’un album du même tonneau : Doggystyle.
Un âge d’or sur fond de rivalité
Après The Chronic et Doggystyle, Death Row fait paraître Above the Rim, une bande originale où se rassemble la fine fleure du gangsta rap californien, et notamment deux nouvelles signatures du label : 2Pac et le groupe Tha Dogg Pound. Le son g-funk, ce mélange de basse samplée très groovy et de synthés torpides, devient alors la norme à la radio, sous l’impulsion de Death Row et dans le sillage des productions de Dr. Dre.
À l’été 1995, aux The Source Awards, Suge Knight monte sur scène pour recevoir un prix récompensant la B.O. d’Above the Rim. Il adresse à cette occasion une pique à l’autre grand manager du hip-hop de l’époque : Puff Daddy. Celui-ci a pris l’habitude de s’inviter sur les morceaux et dans les clips de ses poulains, et notamment d’un certain Notorious B.I.G., qui vient tout juste d’exploser. Le leader de Death Row raille ce comportement, proposant aux artistes présents à signer sur son label.
C’est le début d’une guerre ouverte entre West Coast et East Coast, et d’une rivalité entre Death Row… et le reste du monde. Sur l’album de Tha Dogg Pound, Dogg Food paru en 1995, un morceau met, en particulier, le feu aux poudres : New York New York, en featuring avec Snoop Dogg et Michel’le, déclenche l’ire des rappeurs de la côte Est, surtout à cause de son clip provocateur.
Il faut dire que Suge Knight a réussi à attirer à lui 2Pac, en payant sa caution à la suite de son emprisonnement. Il laisse donc ce jeune homme brillant, déjà auteur de trois albums, monter face à son rival rapologique, Notorious BIG. En février 1996, Death Row fait presser All Eyez On Me, l’extraordinaire quatrième opus de M. Shakur, porté par le single California Love produit par Dr. Dre.
Un déclin rapide
Malheureusement, l’emploi systématique par Suge Knight de membres de gang pour assurer la protection des artistes, ses difficultés à ne pas menacer physiquement bon nombre de rivaux qui traînent à New York, et son goût pour la violence font de l’âge d’or de Death Row une parenthèse de courte durée. À la suite d’une soirée litigieuse, Suge Knight conduit la voiture dans laquelle 2Pac est abattu à l’automne 1996. Craignant pour leur vie, et face aux manières pour le moins cavalières de leur manager, Dr. Dre quitte Death Row (il fondera Aftermath et publiera son deuxième album, 2001, trois ans plus tard) et Snoop Dogg lui a emboîté le pas en signant chez No Limit Records, spécialiste du gangsta rap dans le sud des Etats-Unis, suite au décès de Tupac.
Dès lors, après trois classiques incontournables du rap américain, Death Row va rapidement décliner, malgré la sortie du premier album posthume de 2Pac (The Don Killuminati : The 7 Day Theory) et du très bon deuxième opus de Snoop Doggy Dogg, Tha Doggfather. Ne produisant plus que des compilations, ou exploitant jusqu’à la moelle les chutes de studios de ses anciens artistes, le label ne parvient pas à se renouveler. Il mettra la clé sous la porte en 2006, son catalogue passant sous la coupe de plusieurs holdings avant le rachat par Snoop Dogg en 2022.