Née d’une réaction aux grandes maisons de disque et aux recettes commerciales toutes faites, la musique dite « indé » traverse toutes les musiques actuelles, du rock au rap en passant par la scène francophone. Depuis les années 1960, de multiples sous-genres ont ainsi émergé, entre expérimentation et farouche autonomie. On décrypte.
Psyché, pionniers et punk : une indépendance née de la contre-culture
Au début des années 1960, la musique pop, et en particulier le rock, envahit l’Occident. Les Beatles, Rolling Stones, Who et autres Beach Boys inventent un tout nouveau langage, qui correspond au goût des adolescents et des jeunes adultes. Rapidement, les pionniers sont rejoints par des formations plus commerciales, qui
à leur tour conquièrent le monde.
D’autres artistes vont eux faire le choix de se réapproprier la pop pour mieux la transformer, faisant fi des modes, ou en créant d’autres. En 1967, le Velvet Underground montre la voie, avec un rock décadent, bruitiste et romantique, qui suscite bien des vocations. Dans les mêmes années, Iggy Pop avec les Stooges amplifie le caractère électrique et rebelle de la pop, tandis que David Bowie multiplie les expérimentations de look et de sons tout au long de ses premiers albums… En Californie, les musiciens psychédéliques (comme le Jefferson Airplane, The Grateful Dead ou les Big Brother & The Holding Company de Janis Joplin) bouleversent la relation aux maisons de disque à travers une certaine indépendance. À proximité, Frank Zappa et son acolyte Captain Beefheart font du rock une forme d’art à part entière, mêlant expérimentation et humour pour mieux subvertir le genre.
De ce creuset, et de l’apport d’autres cultures musicales, comme l’afrobeat nigérian de Fela, le krautrock allemand de Can et d’Amon Düül II, le dub et le reggae jamaïcains, le funk et le free jazz afro-américain, naît l’idée que les genres peuvent être transformés de l’intérieur, et s’ouvrir à des sonorités nouvelles. Les premiers à généraliser ce caractère farouchement indépendant sont les punks. Ils se réapproprient le langage du rock garage des années 1960, en métamorphosent le message à grand renfort de nihilisme, et font des émules : le punk est facile à jouer, contrairement aux styles dominant les seventies (le hard rock, le rock progressif notamment).
Sex Pistols, Clash, Ramones et autres Damned parviennent ainsi à jeter le trouble dans la bienveillante musique pop. Encore à l’époque, le mouvement réussit à être récupéré par les grandes maisons de disque. Pourtant, l’indépendance farouche et le mépris des conventions dont se targuent les punks marquent la pop à jamais : des musiciens, mais également des disquaires, managers et producteurs, vont se reconnaître dans la devise « Do It Yourself » et lancer leur propre structure.
L’après-punk, vraie naissance de la musique indépendante
Rough Trade, Factory, 4AD, Beggars Banquet, Hearpen (label de Père Ubu), et dans une moindre mesure, Virgin… Les pochettes de disque de post-punk s’ornent de nouveaux noms, à la fin des années 1970. De nombreux aventuriers ont en effet décidé de presser eux-mêmes les albums et singles de quelques formations qu’ils aiment. Ce seront les premiers labels à pouvoir se revendiquer « indépendants ». En Angleterre avec la cold wave de Joy Division, le ska de The Specials, la dark pop de Young Marbles Giants, aux États-Unis avec le punk blues de The Gun Club, le folk rock de Violent Femmes ou le hardcore des Dead Kennedys ou de Minor Threat (futur Fugazi), les groupes signés en indé métamorphosent punk et post-punk sans rien céder côté authenticité et autonomie artistique.
Dans les années 1980, la musique indépendante commence à être de plus en plus acceptée, démocratisée. Des stars du milieu deviendront des vedettes sur le plan international. Preuve en est, le succès de la pop littéraire et désespérée des Smiths, puis celui du rock nerveux des Pixies, Sonic Youth ou Nirvana, démontre qu’en subvertissant des genres précis, en les mêlant (le grunge de Nirvana renvoie à la fois au métal et au punk), la voie de l’indépendance continue d’écrire de nouvelles pages de la musique.
The Smashing Pumkins, Oasis, Blur, Beck, The Divine Comedy… Tout au long des années 1990, de nombreux projets indépendants (à l’origine) réussiront des incursions fracassantes dans les charts. Même le rap connaîtra pareil mouvement, certains artistes choisissant de se détacher des sonorités habituelles (Company Flow et Cannibal Ox par exemple) ou bien trouvant des sujets originaux à traiter (TTC, La Caution, Klub des Loosers en France).
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Aujourd’hui : une musique indépendante dominante
Depuis 2007, Radiohead, l’un des groupes favoris de la critique internationale, sort ses disques de manière indépendante. Une liberté contractuelle qui est venue après la liberté artistique totale de la bande à Thom Yorke. Aujourd’hui, les frontières sont plus floues, à l’heure d’Internet, entre structures indépendantes, major et autoproduction. Pour autant, l’esthétique indé, ce besoin de renverser les conventions, se retrouve chez nombre de formations, qui prônent un « do it yourself » subversif, et transcende les normes.
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Preuve en est, en ce début d’année, on peut découvrir l’indie pop mâtinée de free jazz et de krautrock des Black Country, New Road, qui sort son deuxième album, Ants From Up There. Ou se remémorer l’esthétique post-punk, à travers la version modernisée qu’en propose White Lies avec As I Try Not to Fall Apart. Ou encore croiser à la fois le romantisme noir des Smiths, les sons de la disco et la pop 80’s de Metronomy sur leur nouveau disque, Small World. Sans oublier le folk barré d’Animal Collective (Time Skiffs), la pop éthérée de Beach House (Once Twice Melody) et les innovateurs indie de Big Thief (Dragon New Warm Mountain I Believe in You), coqueluche de la critique… Tous prolongent le vœu des pionniers des années 1960-1970, en composant des chansons ovniesques à forte valeur créative ajoutée !