L’Honneur perdu de Katharina Blum fait partie des œuvres majeures d’Heinrich Böll, prix Nobel de littérature (1972). Puissante critique contre les abus de la presse mais également contre le système policier, ce livre mérite une attention particulière, notamment par ses échos avec notre propre actualité.
L’Honneur perdu de Katharina Blum de Heinrich Böll : Résumé
Joie et légèreté sont à leur paroxysme dans cette Allemagne de 1974. Rien d’étonnant en ces temps où le carnaval bat son plein !
Invitée chez sa marraine, Mme Woltersheim, Katharina Blum y fait la connaissance d’un certain Ludwig Götten. Immédiatement, l’alchimie explose. Tous deux dansent ensemble une partie de la nuit avant de passer le restant chez la jeune femme. Seulement, au petit matin, plus rien ne sera pareil. Ludwig a disparu tandis que Katharina se fait arrêter par la police pour être interrogée.
En quelques heures, cette dernière passe d’innocente sans histoire à complice d’un homme recherché par la police pour ses (soi-disant) activités terroristes.
Quel est le vrai du faux dans toute cette histoire ? Et qui est vraiment Katharina Blum : la femme dépeinte dans LE JOURNAL ou celle décrite par les Blörna ?
Très vite, sa vie (« redorée » par la plume de Tötges) se retrouve étalée dans ses moindres détails à l’intérieur des pages des éditions quotidiennes du JOURNAL, et en quelques heures seulement, sa réputation est ruinée.
« On s’occupe des industriels, des anarchistes, des directeurs, employés et pilleurs de banque, mais qui se soucie de notre corps national de la bande magnétique ? Les église n’ont-elles rien à dire là-dessus ? La conférence épiscopale de Fulda ou le comité central des catholiques allemands sont-ils désormais incapables de la moindre initiative ? Et pourquoi le pape garde-t-il le silence ? Personne ne se doute-t-il donc de ce que des oreilles innocentes sont contraintes d’entendre, depuis le pudding au caramel jusqu’à la pornographie la plus éhontée ? »
Finalement L’Honneur perdu de Katharina Blum raconte ceci : la métamorphose d’une femme qui, sur quelques jours (entre le 20 et 25 février 1974), fera quelque chose qu’elle n’aurait jamais fait avant. Mais chers lecteurs, avant d’être celle de Katharina Blum, cette histoire est celle d’Heinrich Böll et de plusieurs de ses contemporains. En effet, au début des années 1970, l’auteur a subi de violentes attaques de la presse et notamment du quotidien allemand Bild-Zeitung, véritable organe de presse à sensation. Vous noterez également lors de votre lecture que nous sommes en plein dans les « années de plomb », années marquées par la répression qui s’oppose aux mouvements révolutionnaires comme celui de la Fraction armée rouge. Portez donc attention au personnage de Ludwig Götten et aux mécanismes du système policier de l’époque.
Une étude de la violence
« Comment peut naître la violence et où peut-elle conduire ? »
Donnée comme deuxième titre au livre, cette question est celle à laquelle répond Heinrich Böll : Comment une jeune femme qui n’a en rien un caractère prédisposant à de quelconques violences, peut-elle arriver au meurtre ? Car oui, celle-ci finira par tuer de sang-froid… Et pas n’importe qui : Werner Tötges, le principal instigateur et rédacteur du JOURNAL.
Katharina est montrée par ce dernier comme une femme (communiste, car née d’un père mineur) à la vie douteuse, dépravée et recevant des « visiteurs » la nuit tombée. Il ira même jusqu’à détourner les propos de sa malheureuse mère malade, sur son lit d’hôpital, lui otant le dernier souffle de vie. Ainsi, « Pourquoi fallait-il que ça en arrive là, pourquoi fallait-il que ça finisse comme ça ? » est transformé dans LE JOURNAL en « Ça devait arriver, ça devait finir ainsi ». Mais bien sûr, qui serait assez stupide pour lui reprocher ce travail des mots, lui qui en sa qualité de reporter est le plus à même de pouvoir aider les gens simples à s’exprimer ?
Par un récit savamment mené, le lecteur voguera entre le sentiment d’injustice et de jubilation. Injustice pour tout ce qui arrive à cette pauvre Katharina. Jubilation pour ce dernier acte, celui qui emmène l’âme de Tötges se confronter aux plus hautes instances.
Un écho actuel
Ce livre fut également adapté par Margarethe von Trotta et Volker Schlöndorff au cinéma, qui eurent la volonté de réaliser un film porte-parole des années 1970 en Allemagne. En effet, en montrant les mécanismes de la presse à scandale et son énorme monopole, ils prouvent que la démocratie est en danger : humilier des personnes qui, somme toute, sont innocentes, poussent dans plusieurs cas à des violentes révoltes… Élémentaire, mon cher Tötges !
« C’est alors seulement que, tirant de son sac les deux éditions du JOURNAL, Katharina demanda si l’Etat – ce fut le terme qu’elle employa – ne pouvait rien faire pour la protéger de toute cette boue et lui rendre son honneur perdu. »
Assez atypique dans son style d’écriture, le roman est construit comme un compte-rendu de l’affaire Katharina Blum, conçu notamment à partir de sources principales comme les procès-verbaux des différents interrogatoires menés, et de sources secondaires (remaniées à souhait). Un parti pris qui donne ce je-ne-sais-quoi de particulier, rendant quasi-clinique l’histoire qui se déroule sous nos yeux.
Paru en 1974, L’Honneur perdu de Katharina Blum offre encore aujourd’hui un écho impressionnant avec la presse actuelle : fake news, détournement des propos, manipulation. Et ce, d’autant plus avec l’arrivée des médias sociaux qui donnent à la presse à scandale un incroyable terrain de jeu.
*Copyright visuel de fond : photographie de Baptiste sur Unsplash
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Parution le 7 janvier 2021 – 168 pages