A l’heure de la mondialisation des échanges et du partage instantané, comment expliquer qu’il y a 25 ans, le bouche à oreille et une promotion évoluant au fil de l’emballement du public engendrerait un tel phénomène et un imprévisible engouement populaire pour des musiques et des chansons cubaines datant du début de siècle ? A l’occasion de l’anniversaire du Buena Vista Social Club, l’un des albums les plus vendus au monde ces 30 dernières années, retour sur cette incroyable success story.
Si les plus jeunes peuvent peut-être difficilement comprendre et encore moins s’en souvenir, d’autres générations se rappellent probablement la déferlante musicale de ces “papys cubains” qui figuraient au casting du Buena Vista Social Club quelques années avant le passage dans le nouveau millénaire.
Visas refusés et fringants pépés
Fidel Castro était encore debout à prononcer des discours fleuves, la maison blanche toujours méfiante à son égard, le bloc de l’Est en pleine décomposition et la France n’était pas encore championne du monde de football. Quant aux musiques cubaines, si elles résonnaient depuis bien longtemps dans les Antilles (françaises, anglo & hispanophones) jusqu’en Afrique subsaharienne, elles étaient inévitablement supplantées par les productions anglo-saxonnes. Médiatiquement et commercialement.
A l’origine, sous l’impulsion de trois hommes (le producteur Nick Gold, le réalisateur Wim Wenders et le musicien Ry Cooder), cet album devait prendre le chemin d’une rencontre à La Havane entre musiciens cubains et maliens. Les sempiternels problèmes de visa (que les acteurs de l’industrie des musiques du monde connaissent bien) ont malheureusement bloqués les artistes africains en chemin. Ne restait donc pour nos trois mousquetaires qu’une seule solution possible dans un processus de production déjà bien amorcé : enregistrer in situ des cubains du cru. Une idée toute bête qui fut le point de départ d’une longue série d’album sortis après le succès de Buena Vista Social Club.
1996 : année zéro
C’est au mitant des années 90 que des musiciens, dont les carrières (principalement locales) n’étaient que lointains souvenirs, se retrouvèrent sur “convocation” de Ry Cooder et du producteur aux idées précieuses et au nom prédestiné (Nick Gold).
Dans les mythiques studios Egrem de La Havane, Compay Segundo, Ruben Gonzales, Omara Portuando, Ibrahim Ferrer, Eliades Ochoa, Pio Leiva et d’autres membres plus jeunes de cette fine équipe, jouent et enregistrent une musique qu’ils connaissent par cœur. On la résume sous le terme générique de son cubain, mais les connaisseurs y entendent tout un tas de registres et de traditions musicales pré-révolution castriste. Rumba, Danzon, Changüi, Bolero, Guajira et bien d’autres sous-genres typiquement cubains qui ont fait la réputation des musiciens de l’île chez les voisins caraïbéens, les cousins d’Afrique centrale et de l’ouest, comme ceux de quelques grandes villes nord-américaines (New York, New Orleans, Miami…).
Du barrio à la radio
Si ce patrimoine culturel que les cubains fredonnent sans s’en rendre compte est modestement présenté aux touristes de l’époque que les plages de Varadero n’intéressent pas, on n’entend pas encore Compay Segundo ou la diva Omara Portuando sur les radios occidentales. C’est aussi à cette époque que Cuba, en mal de ressources suite à l’effondrement de l’URSS, ré-ouvre ses portes aux visiteurs étrangers. Ces conjonctions favorables couplées au bon alignement des étoiles géopolitiques auront sans aucun doute participé au succès du Buena Vista. De là a dire que c’est une opération des services secrets communistes pour sortir de la guerre froide la tête haute, je laisse aux complotistes de tout poils la pertinence de ces bruits de couloirs.
Dans les faits, on a assisté à une success story qui prit tout le monde de court, à commencer par l’industrie du disque la première. De mémoire de disquaire, l’enthousiasme pour ces musiciens “authentiques” se traduisait par des quantités d’albums sans égal transitant des cartons de la maison de disque aux foyers des nouveaux converti(e)s. S’en est suivi une véritable “vague latine” à l’échelle planétaire sur plusieurs années et un intérêt croissant pour les musiques dites du monde.
A l’occasion des 25 ans de l’album, on signalera la ressortie en salle du film de Wim Wenders consacré à cette réjouissante aventure et coté disque (vinyle et CD), plusieurs éditions sont proposées incluant des bonus, des nouveaux contenus et des titres inédits. Attention, certains tirages sont limités.