Décryptage

Morcheeba de retour : le trip-hop a 30 ans !

26 mai 2021
Par Mathieu M.
Morcheeba de retour : le trip-hop a 30 ans !

Genre majeur de la musique des années 1990, le trip-hop continue d’exister dans le cœur des auditeurs, entre nostalgie et nouveaux projets. Morcheeba fait ainsi paraître son nouvel album, Blackest Blue, ce printemps 2021. L’occasion de revenir sur l’histoire d’un courant à la fois varié et cohérent.

Le trip-hop, un genre qui n’en est pas vraiment un

Si l’étiquette « trip-hop » n’a jamais été vraiment reconnue par les groupes majeurs du genre, ce courant musical anglais du début des années 1990 existe bel et bien, en tout cas d’un point de vue géographique et culturel. Le port de Bristol, en Angleterre, a toujours baigné dans les musiques d’ailleurs, en particulier caribéennes. Les échanges commerciaux avec la Jamaïque, l’immigration de population venue des îles et une certaine ouverture ont fait de cette ville le creuset de plusieurs scènes musicales.

Ainsi, dans les années 1980, plusieurs sound systems, ces regroupements de DJ et de MC que l’on trouve d’habitude à Kingston, se fédèrent dans la cité britannique. Le dub et le dancehall ont alors la faveur d’un public qui vient danser et écouter des remixes. Au sein d’un des collectifs, Wild Bunch, deux musiciens influencés par le hip-hop se rencontrent : ils se nomment Daddy G et Mushroom, et avec le graffeur 3-D, ils décident de fonder un groupe, Massive Attack.

massive attack blue linesDès son premier album, Blue Lines, le trio (renforcé de Tricky) définit l’esthétique du trip-hop. On y retrouve le beat ralenti du rap, les basses chaloupées du dub, quelques notes de jazz, l’usage de samples soul et surtout une ambiance que nul autre genre n’avait saisi sur disque jusqu’ici. Entre pluie et lumière, entre mélancolie et groove, cette nouvelle musique balaie tout sur son passage.

Alors que l’Europe est secouée par l’acid house et le grunge, le trip-hop calme le jeu, fait la part belle aux voix féminines angéliques, soudain traversés de flows masculins désabusés, ou des chants reggae d’Horace Andy. Associé à la musique électronique, l’esthétique de Massive Attack s’éloigne des dancefloors, invite à la contemplation et à l’engagement politique : le groupe figure dans le cercle proche du street artist Banksy, par exemple.

L’âge d’or du trip-hop : les années 1990

De Bristol émergent au milieu des années 1990 deux autres figures majeures, qui vont se voir accolées l’étiquette trip-hop. Tricky, d’abord, propose sur Maxinquaye une relecture du tube Karmacoma de son ancien groupe Massive Attack, qu’il baptise Overcome. Ce premier album révèle aussi le titre Hell is Round the Corner, basé sur le même sample que Glory Box, le tube de l’autre formation bristolienne culte de l’époque : Portishead.

portishead dummyConstruite autour des paroles sombres et littéraires de Beth Gibbons, sur sa voix déchirante nimbée de samples classieux venus du jazz et de la soul, et agrémentée des traits de guitare électrique d’Adrian Utley, la « manière » Portishead a fait gagner au trip-hop une popularité nouvelle. Pendant deux ans, entre la sortie de Dummy et celle de Portishead, le son de Bristol aura envahi les charts, les bandes originales de film et les publicités.

Le trip-hop et ses ramifications

massive attack protectionAprès les débuts de Portishead et de Tricky, et le deuxième album de Massive Attack, Protection, en 1994, le mouvement a continué à nourrir la musique, en particulier britannique, avec l’arrivée d’artistes du même tonneau. Toute une scène électronique, dite « downtempo », a émergé par le truchement de labels spécialisés, comme Ninja Tune (avec les jazzy The Herbaliser et Amon Tobin) ou Mo’Wax (qui a diffusé l’Américain Dj Shadow ou le Japonais Dj Krush, sans oublier les Français de La Funk Mob, futurs Cassius). Leur son constituait une déclinaison plus instrumentale du trip-hop, plus proche du rap aussi, si bien qu’on a parlé, à propos de leur courant, « d’abstract hip-hop ». Une esthétique qui a continué par la suite avec des beatmakers ou dj comme Wax Tailor ou RJD2.

D’autres ont suivi le mouvement impulsé à Bristol en y ajoutant une patte spécifique. C’est le cas de Morcheeba, formé à Londres par les frères Paul et Ross Godfrey avec la chanteuse Skye Edwards. Aux frontières de la pop et de la soul, le trio s’est imposé avec un son lumineux et des mélodies imparables, au moment même où Massive Attack, par exemple, assombrissait le trip-hop des origines sur l’album Mezzanine. Avec des disques comme Big Calm, Fragments of Freedom ou Charango, Morcheeba a incarné ce versant apaisant et sensuel du genre à la charnière du troisième millénaire. Le groupe a réussi à durer malgré les changements de line-up : son nouvel album, Blackest Blue, montre une évolution dans la continuité de son esthétique.

blackest blue

Le son du trip-hop a eu une influence majeure sur certains artistes des années 1990, pourtant non affiliés. Björk, qui a collaboré avec Tricky, a notamment été associé au genre lorsqu’elle était au faîte de sa gloire, avec les chefs-d’œuvre Post, Homogenic et Vespertine. Alain Bashung, au moment de réaliser Fantaisie militaire, embaucha l’ingénieur du son de la période « rock » de Tricky et le guitariste de Portishead pour créer les textures de ce disque resté son magnum opus.

Le trip-hop : du déclin au renouveau

LondiniumLes années 2000 n’ont pas épargné les artiste trip-hop, qui ont souvent disparus médiatiquement, où se sont transformés : Massive Attack a produit un album en 2010, Portishead en 2008, mais sont beaucoup moins influents que par le passé. Tricky, lui, persévère encore, sans trahir son authenticité. Archive, auteur d’un des chefs-d’œuvre du genre, Londinium, est devenu une formation de rock planant, Moloko ou Goldfrapp, associés au courant à leurs débuts, ont été vers la pop, et des artistes comme Terranova, Agent 5.1 ou Smoke City n’ont pas résisté au changement des modes. Les Belges d’Hooverphonic, auteurs de Mad About You, ont eux réussi à rester une figure majeure de la scène européenne.

Aujourd’hui, le trip-hop n’a plus son aura des années 1990, mais continue tout de même à exister par endroit. Martina Topley-Bird, mythique chanteuse employée sur le premier album de Tricky, sortira un nouvel opus en septembre prochain, Forever I Wait, produit avec 3D de Massive Attack. Et des artistes comme FKA Twigs, London Grammar ou Lana Del Rey n’ont pas oublié les pères fondateurs au moment de réinventer la pop à la fin des années 2010 !

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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